Alors que les plans européens visant à imposer un embargo sur les ressources énergétiques de la Russie ont échoué, l’Europe devrait s’attendre à un autre coup plus dur se traduisant par une alliance gazière géante Iran-Russie… Les États de l'UE ne sont pas pressés d'interdire aux entreprises russes d'assurer des marchandises sur le marché britannique Lloyd's of London. En outre, la Fédération de Russie a été autorisée à effectuer certains vols internationaux qui lui étaient auparavant inaccessibles en raison de restrictions, écrit le Financial Times. Début juin, l'Union européenne a décidé d'interdire l'assurance des navires qui transportent du pétrole depuis la Fédération de Russie. Cependant, Londres n'a pas rejoint l'interdiction. La restriction ne concernait que les pétroliers qui se rendent au Royaume-Uni. Selon le FT, les États-Unis ont peur d'introduire un embargo à part entière. Fin juillet, Bruxelles a apporté des modifications aux restrictions imposées aux entreprises publiques russes, exprimant des inquiétudes concernant la sécurité énergétique mondiale, a encore indiqué le Financial Times.
En effet « le déplacement du pétrole russe du marché mondial, ainsi que toute restriction sur celui-ci, provoquera une pénurie de ressources énergétiques », a déclaré Boris Martsinkevich, rédacteur en chef du magazine analytique en ligne Geoenergetika. « Une telle décision de l'Occident doublera automatiquement le prix de l'or noir par rapport à l'actuel - de 100 à 200 dollars le baril. Les États-Unis, la Grande-Bretagne et les pays de l'UE n'intensifieront pas la guerre des sanctions avec la Fédération de Russie, car ils se rendent compte des conséquences.
La décision ne peut être reconsidérée que si l'accord OPEP + de septembre n'est pas prolongé, bien qu'il n'y ait aucun signe pour cela », a-t-il encore noté. « La Russie vend environ 10 % de tout le pétrole sur le marché mondial, ce qui est un indicateur très sérieux. Une sortie des approvisionnements pourrait faire chuter l'économie mondiale. L'Occident, bien sûr, essaiera de compenser la part de Moscou avec l'aide d'approvisionnements en provenance d'Arabie saoudite et des Émirats arabes unis mais il n'y arrivera pas», a poursuivi Boris Martsinkevich. Mais est-ce tout dans cette marche arrière? Lundi, la presse occidentale s'inquiétait d'une autre "facheuse" tendance qui se dégage du train des sanctions US contre la Russie et qui tend à "effacer toute rivalité" entre "les producteurs de gaz sanctionnées que sont la Russie et l'Iran", quitte même à les "pousser à créer une sorte de hub gazier", le noyaux d'une OPEP de gaz auquel ni la Russie ni l'Iran ne pensait avant les sanctions. Or ces craintes ne sont pas loin d'être justifiées rien qu'à en juger la teneur des propos des responsables iraniens, ces derniers jours.
L’expert iranien en énergie, Habibollah Zafarian est d’avis qu’après la guerre en Ukraine, l’opportunité s’est présentée à l’Iran pour profiter du gaz surplus de la Russie et devenir un hub gazier dans la région. L’expert iranien a évoqué les potentialités de coopération irano-russes, dans le cadre de l’accord de 40 milliards de dollars signé entre la Société nationale de pétrole de l’Iran et la compagnie pétrolière russe Gazprom, rappelant que le commerce gazier, vu ses intérêts stratégiques et économiques, s’avère une affaire très importante. Selon lui, « les politiques globales de l’économie de résistance insistent, surtout, sur l’exportation du gaz tandis que le document de perspective 1404 (année iranienne, mars 2025-mars 2026, ndlr) de l’industrie pétrolière, note précisément que l’Iran devra se donner une part entre 8 à 10% du commerce du gaz mondial, la part actuelle de l’Iran étant moins de 2%. »
L’Iran, ajoute-il, doit se lancer dans le commerce gazier avec ses voisins pour ainsi se transformer en un hub gazier dans la région ; ses réserves en gaz et sa situation géographique privilégiée, lui permettent justement de jouer un rôle influent dans ce domaine. Pour se faire, indique l’expert, « l’Iran doit acheter en gros, le gaz surplus des pays de la région et le vendre à un prix plus élevé aux pays demandeurs. Ses trois voisins, à savoir le Turkménistan, le Qatar et l’Azerbaïdjan comptent actuellement du gaz surplus qu’ils veulent exporter alors que les autres pays de la région comme l’Arménie, la Turquie, l’Irak, le Pakistan, l’Afghanistan, le Koweït et les pays du bassin du golfe Persique surtout les Émirats arabes unis et Oman, en ont besoin. C’est donc une occasion en or pour que l’Iran devienne un pôle gazier entre les pays exportateurs et importateurs de gaz.
Et l’expert de poursuivre qu’après les développements survenus sur le champ de conflit en Ukraine, des changements ont eu lieu sur le marché du gaz : le Qatar a accéléré son programme d’extension des champs gaziers et augmenté l’exportation du GNL, signant un traité avec cinq pays européens et américains pour le développement de ces champs gaziers. La Russie a, quant à elle, réduit au minimum son exportation du gaz vers l’Europe alors que les États-Unis s’emploient à augmenter leur exportation du GNL pour remplacer tant bien que mal une partie du gaz russe en Europe. L’opportunité s’est ainsi présentée à l’Iran pour qu’il établisse une coopération stratégique avec la Russie, fondée bien sûr sur ses intérêts nationaux et dans le cadre d’une alliance gazière gagnant-gagnant. Autrement dit, estime-t-il, le moment est propice pour que l’Iran et la Russie se mettent à la table et partagent entre eux le marché du gaz ; la Russie et l’Iran, étant respectivement le premier et le deuxième détenteur de gaz du monde, peuvent définir même, une stratégie optimale de développement du marché.
Faisant allusion à la tension entre la Russie et l’UE, il affirme que l’Iran peut simplement acheter le gaz surplus de la Russie : l’une des sérieuses propositions prévoit l’achat par l’Iran entre 15 et 20 milliards de mètres cubes de gaz à la Russie, qu’il recevra via le Turkménistan et vendra, ensuite, à un prix plus élevé aux pays voisins tels que le Pakistan et l’Irak. Et surtout, précise l’expert en énergie, ce modèle de coopération gazière russo-iranienne ne doit pas être de type Swap qui serait, en effet, un marketing pour le compte de la Russie alors que l’Iran devrait acheter le gaz russe et le vendre à ses propres clients. Abordant ensuite le projet d’exportation du gaz iranien à Oman et au Pakistan, il a déclaré que les Russes pouvaient investir dans la construction du gazoduc Iran-Pakistan-Oman. D’ailleurs, en vertu du contrat gazier avec Islamabad, l’Iran doit exporter 8 milliards de mètres cubes de gaz par an à ce pays, projet qui n’a pas encore achevé, mais qui peut être relancé à l’aide de la Russie. »
Lire aussi: Exercices conjoints Iran-Russie
Quant au réseau gazier de l’Arménie qui appartient au Gazprom russe, l’Iran peut augmenter son exportation du gaz à cette destination et même exporter son gaz à la Géorgie, via le territoire arménien, indique-t-il en réitérant la possibilité d’acheter le surplus du gaz russe pour augmenter l’exportation du gaz à la Turquie d’une part et à l’Irak et puis la Syrie de l’autre. L’expert iranien en énergie a fini par suggérer que l’Iran peut aider la Russie, en achetant le gaz qatari qui s’avère une alternative sérieuse au gaz russe sur le marché européen, et le vendre à ses propres marchés de destination, cette logique de partage du marché permettant aux marchés régional de l’Iran et européen de la Russie de stabiliser.