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Yémen : pourquoi Israël veut normaliser avec Riyad

US Rep. Ilhan Omar (D-MN) (L) talks with Speaker of the House Nancy Pelosi (D-CA) during a rally with fellow Democrats before voting on H.R. 1, or the People Act, on the East Steps of the US Capitol on March 08, 2019 in Washington, DC. (AFP photo)
Le détroit de Bab el-Mandeb. ©Wikimedia Commons

Se disant optimiste de la perspective de la normalisation des relations avec l’Arabie saoudite, le ministre israélien des Affaires étrangères Yaïr Lapid a déclaré au journaliste de Jerusalem Post : « Parvenir à un accord pour normaliser les relations entre Israël et l'Arabie saoudite sera un processus long et prudent, mais Israël pense que cela peut arriver. »

Certains chercheurs pensent que la crise yéménite est uniquement influencée par les forces sociales ou le jeu de rôle d'acteurs régionaux tels que l'Iran et l'Arabie saoudite, tandis que les faits stratégiques suggèrent que le régime sioniste, en tant qu'acteur régional, a joué un rôle déterminant dans le processus et l’aggravation de la crise yéménite.

Bien que le régime sioniste n'ait pas pris de position officielle sur l'agression contre le Yémen, les documents et les déclarations existants font état de la coopération et la coordination de l'Arabie saoudite, des États-Unis et du régime sioniste en vue de porter atteinte à Ansarallah. Selon ces documents, le régime sioniste a tenté de rejoindre la coalition pro-Riyad de manière informelle par son assistance militaire et même opérationnelle.

Les informations divulguées montrent que la présence d'officiers sionistes à la base saoudienne de Tabuk a eu lieu avec l'accord de l'Arabie saoudite et des États-Unis le 20 avril 2016, selon lequel le régime sioniste et les officiers de l'US Air Force gèrent pratiquement le processus du bombardement aérien au Yémen et un grand nombre de pilotes sionistes et américains participent aux vols et mènent des attaques depuis la base King Faisal à Tabuk.

La coopération du régime sioniste avec l'Arabie saoudite dans la crise au Yémen est telle que Thierry Meyssan, analyste français, déclare à ce sujet: « Israël est le commandant des soi-disant forces arabes conjointes au Yémen et le quartier général de la guerre contre le Yémen n’est pas en Arabie saoudite, mais de l'autre côté de Bab el-Mandeb et aux mains de ceux qui frappent le Yémen avec des bombardiers saoudiens. Les soldats et pilotes israéliens travaillent en étroite collaboration avec le régime saoudien et assistent l'armée saoudienne, bien que ces relations ne soient pas publiques ».  

De tels faits montrent que le régime sioniste, comme d'autres puissances régionales, a des intérêts politiques, militaires et économiques dans la crise yéménite.

Un jour après le début de la guerre de la coalition saoudienne contre le Yémen, le journal israélien Yediot Aharonot a publié un article d'Alex Fishman, l'expert en sécurité, qui disait : « La guerre de l'Arabie saoudite contre le Yémen sert les intérêts d'Israël et est une occasion précieuse de récolter les fruits stratégiques vitaux pour la sécurité d'Israël, il doit donc la soutenir. »

La crise yéménite présente des opportunités et des défis pour le régime sioniste. Les opportunités incluent les intérêts politiques et géopolitiques. Le bénéfice politique le plus important de la crise serait la convergence de l'axe arabo-hébreu. Les soulèvements arabes de 2011 ont eu pour résultat le renforcement du pouvoir régional de l’axe de la Résistance. Dans ce contexte, avec l’éclatement de la crise au Yémen et le rôle sans pareil d’Ansarallah, qui se définit dans les blocs des zones régionales au sein de l’axe de la Résistance, l’influence régionale de cet axe s’est accrue sous la houlette de l’Iran.

Cette question et la perception de la menace par le Front de réconciliation arabe et le régime sioniste ont fourni des raisons pour que les deux se rapprochent l'un de l'autre et ont fourni une bonne occasion d'accroître les relations du régime sioniste avec les Arabes, en particulier les émirats du golfe Persique.

Cette opportunité est importante pour le régime sioniste dans toutes les dimensions économiques, politiques, militaires, sécuritaires et géopolitiques ; parce qu'en augmentant les points communs entre le régime sioniste et les pays arabes (en particulier l'Arabie saoudite et les Émirats arabes unis), les possibilités de l’établissement de relations formelles entre eux se renforcent, ce qui élargira en fait la profondeur géopolitique du régime sioniste, augmentera le coefficient de sécurité nationale de l’entité et balisera le terrain à l’intégration d’Israël dans les programmes géostratégiques de la région.

À ce propos, un expert sioniste des questions cybernétiques a écrit : « Israël veut normaliser les relations avec l'Arabie saoudite, et sait donc que la route de Riyad passe par Sanaa, et s'il veut faire un cadeau au prince héritier d'Arabie saoudite, Mohammad ben Salmane, cela ne se fera qu'avec son aide contre les Houthis. »

Outre les intérêts politiques, la crise yéménite a plusieurs intérêts géopolitiques pour le régime sioniste, de telle sorte qu'il a pu prendre le contrôle de certaines des îles stratégiques du Yémen, comme Socotra, avec l'aide des pays arabes, en particulier les Émirats arabes unis. Le site d'information JForum a rapporté que le régime sioniste avait établi une base d'espionnage sur cette île très stratégique et y avait déployé du matériel d'espionnage et de télécommunications.

Une telle décision donnerait au régime sioniste la possibilité de surveiller les activités des forces d’Ansarallah au Yémen, le trafic aérien et maritime au sud de la mer Rouge et les activités de l'Iran à Bab el-Mandeb, et en plus d'approfondir sa profondeur stratégique, protéger la sécurité de ses navires et ceux de ses alliés.

En outre, l'importante présence militaire des Émirats arabes unis sur l'île stratégique de Périm offre de nombreuses opportunités géopolitiques et géostratégiques au régime sioniste. DEBKAfile, le site Internet du renseignement militaire du régime sioniste, écrit à cet égard : « La création d'une base d'hélicoptères de combat et l'opération prévue des Émirats arabes unis à Périm à la mi-juin entraîneront un changement radical dans l'équilibre des forces dans la région. La base aérienne de l'île de Périm donnera le contrôle de la mer Rouge à Abou Dhabi, Riyad et Tel-Aviv. »

De plus, la crise yéménite a été l'occasion pour le régime sioniste de faire avancer sa stratégie de balkanisation du Moyen-Orient et de partition des pays arabes, et de se créer un nouvel allié dans la région et de changer les réalités géopolitiques de la région en créant des divisions entre les pays arabes.

Dans un livre publié en 1982, Oded Yinon, ancien haut fonctionnaire du ministère israélien des Affaires étrangères et conseiller d'Ariel Sharon, a conçu un modèle pour la balkanisation du Moyen-Orient et la division des pays arabes en pays plus petits et plus faibles afin d'augmenter le coefficient de sécurité nationale du régime sioniste.

« A travers la désintégration sectaire, Israël cible les nations arabes non seulement territorialement mais aussi sociologiquement. Israël transforme des nations en petits États incompatibles afin de les garder toutes sous contrôle », a-t-il noté.

Avec l'aide des Émirats arabes unis, le régime sioniste a pu soutenir le Conseil de transition du Sud, qui veut la sécession du Yémen du Sud.

Si cela se réalise, Tel-Aviv pourrait profiter des avantages stratégiques du sud du Yémen, qui sont des ports et des îles importants et stratégiques dans le golfe d'Aden et la mer Rouge, en raison des bonnes relations du Conseil de transition du sud avec le régime sioniste.

Dans ce droit fil, Ari Heistein, chercheur sioniste a écrit dans un article paru dans The National Interest : Israël doit soutenir les ambitions du Conseil de transition du Sud au Yémen pour obtenir l'indépendance du Sud. Cela est nécessaire pour garantir la protection de ses intérêts face à des changements potentiellement importants, en particulier dans la politique saoudienne. Un Yémen du Sud indépendant peut grandement protéger les intérêts d'Israël... parce que le contrôle du Conseil de transition du Sud signifie qu'Israël a un allié potentiel idéalement situé autour de Bab el-Mandeb.

Cependant, le début de la crise yéménite et la montée en puissance d’Ansarallah ont créé des défis politiques, militaires et géopolitiques pour le régime sioniste, à tel point que, selon les dirigeants du régime sioniste, la menace d’Ansarallah contre la sécurité nationale israélienne n'est plus seulement une crainte ou une estimation théorique, mais elle est devenue une réalité, surtout après la défaite de l'agression saoudo-américaine au Yémen.

De plus, le rôle d'Ansarallah au Yémen pourrait empêcher le régime sioniste de profiter de ses dons géopolitiques ; de telle manière qu'Ansarallah, selon sa politique anti-occidentale antisioniste, empêchera la réalisation du projet de transfert de pétrole des pays arabes vers les pays européens via l'oléoduc Eilat-Ashkelon s'il prend le pouvoir au Yémen. De plus, en coupant l'accès du régime sioniste à l'océan Indien via la mer Rouge, il empêchera les sous-marins du régime sioniste d'accéder facilement au golfe Persique pour menacer l'Iran.

En outre, le sud d’Israël, et en particulier le port important et stratégique d'Eilat, est à portée de main des missiles et drones d’Ansarallah, ce qui peut également être gênant pour le régime sioniste et ouvrir un nouveau front contre l’entité sioniste. Actuellement, Ansarallah possède des missiles de croisière, des missiles balistiques et des missiles anti-navires, en plus de plusieurs drones, dont certains peuvent atteindre une portée allant jusqu'à 1 500 kilomètres.

Le journaliste militaire sioniste Nir Dori a écrit dans un article que « maintenant, il y a une autre nouvelle menace, et c'est le déploiement de l'Iran au Yémen et le transfert d'armes avancées au mouvement armé Houthis, et ce danger menace non seulement les navires marchands, mais aussi transforme le Yémen en un site de lancement de missiles balistiques en direction d’Israël ».

Selon les universitaires sionistes, la menace la plus tangible que les Houthis font peser sur le régime sioniste est sans aucun doute sa capacité de cibler les territoires occupés et de créer des obstacles à la sécurité maritime du régime sioniste.

Ce faisant, bien que le régime sioniste n'ait pas pris de position officielle sur l'agression de la coalition pro-Riyad contre le Yémen, il a joué un rôle direct dans ces développements et a même été en contact avec des acteurs nationaux yéménites, notamment le Conseil de transition du sud.

La crise yéménite a ouvert la voie au régime sioniste pour infiltrer les ports et les îles stratégiques du pays ; il peut à la fois protéger sa sécurité navale et celle de ses alliés dans la région, accroître son poids géopolitique par une présence militaire dans l'océan Indien et accroître son pouvoir dissuasif en mer Rouge et dans le golfe d'Aden.

Bien sûr, ces opportunités auront des conséquences à long terme pour le régime sioniste, surtout si Ansarallah ne devient pas une puissance nationale au Yémen. 

 

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SOURCE: FRENCH PRESS TV