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Le ciel turc fermé aux avions russes... Pourquoi maintenant ?

US Rep. Ilhan Omar (D-MN) (L) talks with Speaker of the House Nancy Pelosi (D-CA) during a rally with fellow Democrats before voting on H.R. 1, or the People Act, on the East Steps of the US Capitol on March 08, 2019 in Washington, DC. (AFP photo)
Le président russe Vladimir Poutine et son homologue turc Recep Tayyip Erdogan lors du sommet du G20 à Hangzhou, en Chine en 2016. ©Reuters

ll y a quelques jours, la Turquie a annoncé une "étape intéressante et sans précédent", la première du genre depuis 2015, en fermant son espace aérien aux avions civils et militaires russes transportant des soldats russes à destination de la Syrie, ce qui a ouvert la porte pour discuter si cela indique un état d'escalade ou d'« entente », comme l'a dit le ministre turc des Affaires étrangères, Mevlut Cavusoglu.​​​​​​​

D'une manière générale, la décision d'Ankara semblait aller dans l'intérêt de la partie occidentale qui s'oppose à la Russie, sur fond de l'intervention russe en Ukraine.

En effet, le moment de l'annonce de la fermeture de l'espace aérien turc sur la Russie soulève des questions, car il intervient à un moment où la Russie intensifie ses bombardements contre des zones du nord-ouest de la Syrie, où les forces turques sont déployées. D’autre part, les opérations russes en Ukraine sont devenues plus claires, en s’étendant au sud, et ce, pour prendre le contrôle total de la région du Donbass et couper des liens entre Kiev et la mer Noire, ce qui n’est pas du goût de la Turquie.

Quelques jours après le début de la guerre en Ukraine, Ankara a activé la convention de Montreux. Elle a empêché davantage de navires russes de pénétrer dans la mer Noire, tout en affirmant qu'elle n'avait pas l'intention d'imposer des sanctions à Moscou et ne fermerait pas son espace aérien non plus.

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La Turquie a précédemment appelé au respect du territoire, de l'unité et de l'indépendance de l'Ukraine.

S'exprimant lors d'une conférence de presse à l'issue du Sommet extraordinaire des chefs d'État et de gouvernement de l'OTAN, tenu le 24 mars de l’année en cours le président turc Recep Tayyip Erdogan a déclaré : « Nous avons un partenariat stratégique avec l'Ukraine en plus de nos relations profondes, multidimensionnelles et étroites. Aussi, nous attachons de l'importance à un dialogue constructif avec la Russie, un autre de nos voisins, sur la base d'une confiance mutuelle. Nous sommes en contact étroit avec les deux pays en vue de mettre un terme immédiat à la guerre ».

Alors que les observateurs considèrent la décision de la Turquie de fermer son espace aérien à la Russie comme un levier contre Moscou, les analystes russes estiment qu'il est peu probable que la Turquie ait l'intention de compliquer la situation de Moscou en Ukraine.

Pour le chercheur turc Omer Ozkilcik, Ankara cherche ainsi à augmenter la pression sur la Russie afin qu’elle prenne plus au sérieux les négociations avec l’Ukraine, mais aussi à accroître son influence face à la Russie en Syrie.

Dans une interview accordée à la chaîne de télévision arabophone al-Hurra, le chercheur turc a ajouté que la guerre en Ukraine offre de nouvelles opportunités à la Turquie et aux terroristes pour faire face à l'équilibre des forces en Syrie.

La Russie est engagée dans une guerre coûteuse en Ukraine, alors qu’elle souffre de la pression de sanctions économiques sévères.

De plus, conformément à la convention de Montreux, la Turquie a fermé le Bosphore et la Russie n'est plus en mesure d'étendre sa présence militaire en Syrie par voie maritime.

« La capacité d'approvisionner par voie aérienne une énorme unité comme celle de la Russie en Syrie est limitée. En fermant son espace aérien, la Turquie oblige la Russie à utiliser une route d'approvisionnement aérienne plus longue, passant par l'espace aérien de l'Irak et de l'est de la Syrie où les États-Unis ont une supériorité aérienne », explique Ozkilcik.

Et les Russes ?

Jusqu'à présent, il n'y a eu aucun commentaire officiel de la part de Moscou sur la décision prise par Ankara. Mais au cours des trois derniers jours, les frappes aériennes russes contre des régions du nord-ouest de la Syrie, qui comprend le gouvernorat d'Idlib et la banlieue d'Alep et de Lattaquié, se sont intensifiées.

Un analyste politique proche du ministère russe des Affaires étrangères, Rami al-Shaër, exclut qu'il y ait des tensions dans les relations entre la Turquie et la Russie, et que cela ait poussé la première à fermer son espace aérien aux avions se dirigeant vers la Syrie.

« L'accord sur le passage aérien à travers l'espace aérien turc pour sécuriser le pont aérien militaire qui assure les besoins de la force militaire russe en Syrie est prolongé tous les trois mois. Aujourd'hui, la période a expiré et les circonstances internationales ont changé », a affirmé al-Shaër a à chaîne d’information Al-Hurra. Et de poursuivre : « La Turquie est sous pression depuis le début de la guerre avec la Russie, et c'est la principale raison de l'annonce de Cavusoglu selon laquelle la Turquie ne renouvellera pas l'autorisation pour les avions russes d'utiliser le corridor aérien turc. La Russie peut se passer du corridor aérien turc, mais cela prolongera le temps de vol pour rejoindre la Syrie d'environ une heure et demie ».

Al-Shaër a souligné que la décision turque n'affecterait pas les relations bilatérales russo-ukrainiennes dans tous les domaines, y compris la coordination militaire en Syrie et Poutine et Erdogan devraient bientôt démentir toute rumeur sur la tension par téléphone.

La Turquie est censée rester ouverte aux vols commerciaux à destination et en provenance de la Russie, refusant de suivre l'Union européenne en fermant son espace aérien aux vols russes, compte tenu de l'importance des touristes russes pour son économie.

À son tour, Omer Ozkizilcic, analyste de la politique étrangère et de la sécurité à Ankara, ajoute que le moment de l'annonce turque était principalement basé sur une évaluation de la guerre en Ukraine.

« Après qu'il soit devenu clair que la guerre en Ukraine continuerait, le gouvernement turc a pris cette décision pour renforcer sa position envers les négociations avec Moscou. Et, selon des sources locales, l'armée de l'air russe a mené une manœuvre militaire dans le ciel d'Idlib où elle a fourni à ses combattants des munitions air-air. Ankara a considéré cela comme une provocation », a-t-il expliqué. 

De son côté, le politologue turc Taha Odehoglu considère que la fermeture de l'espace aérien turc aux Russes est en relation avec l'escalade qui se déroule dans le nord de la Syrie.

La décision turque est intervenue quelques jours après la visite d'une délégation du Congrès américain, où elle a rencontré des responsables turcs au cours de laquelle les deux parties ont abordé des dossiers épineux, en particulier les missiles S-400.

Le chercheur ajoute que la décision turque porte des messages à l'OTAN et aux États-Unis, affirmant qu'Ankara est un acteur clé dans les dossiers de la région.

D'autre part, des messages ont été adressés aux Russes : « Jouer la carte du nord de la Syrie aura des conséquences désastreuses et la Turquie est la seule fenêtre pour les Russes sur le monde, après l’imposition des sanctions croissantes par l’Occident », a-t-il conclu.

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SOURCE: FRENCH PRESS TV