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Une alliance "anti-Armée de Turan"

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Le Caucase du Sud

« La République islamique d’Iran a réagi avec force aux récentes prises de position de Bakou. La raison en est essentiellement la réémergence de la Turquie en tant que puissance majeure dans le Caucase du Sud », écrit Emil Avdaliani, professeur à l’Université européenne de Tbilissi et directeur des études sur le Moyen-Orient au groupe de réflexion géorgien « Geocase ».

Dans un article publié sur le site de Nation Interest, Avdaliani estime que les tensions vont probablement augmenter dans le Caucase du Sud alors que la Turquie cherche à acquérir plus d’influence et que l’Iran essaie d’y rétablir l’équilibre en travaillant avec la Russie pour aider l’Arménie à stabiliser sa position d’affaiblissement.

L’auteur rappelle que pour la deuxième année consécutive, le Caucase du Sud voit les tensions monter alors que les États voisins de la région se bousculent pour avoir de l’influence dans une région de plus en plus importante pour l’énergie et comme point de transit entre l’Europe et l’Asie centrale.

L’Occident a également été notoirement absent. En 2020, l’Europe et les États-Unis étaient au mieux inactifs pour aborder la deuxième guerre du Haut-Karabakh entre l’Arménie et la République d’Azerbaïdjan. Maintenant, l’Occident est distrait des tensions entre la République d’Azerbaïdjan et l’Iran, qui pourraient avoir des ramifications plus larges pour un futur réalignement dans le Caucase du Sud, selon Emil Avdaliani.

L’auteur ajoute que, selon lui, l’Iran était mécontent des résultats de la guerre de 2020 qui a modifié le statu quo établi depuis la première guerre du Haut-Karabakh au début des années 1990. L’Iran a maintenu un équilibre délicat des pouvoirs où il a soutenu l’Arménie, mais a également maintenu des liens positifs avec la république d’Azerbaïdjan, en particulier sous la présidence de Hassan Rohani. Une République d’Azerbaïdjan plus forte pourrait, selon Avdaliani, être une menace et une Arménie faible sera également préjudiciable aux projets de l’Iran de pénétrer dans la région et d’atteindre les ports géorgiens de la mer Noire comme l’une des routes alternatives pour le commerce avec l’Europe.

L’analyste géorgien estime que par cet équilibrage, Téhéran visait à maintenir sa place particulière dans la géopolitique du Caucase du Sud où la Russie était historiquement dominante et la Turquie aspirait à élever sa position.

Le statu quo permettait également à l'Iran de tirer parti de l’un des leviers géopolitiques dont il disposait en servant de voie de transit pour Bakou, qui a dû contourner la province la plus méridionale de l’Arménie pour atteindre son enclave de Nakhitchevan.

Avdaliani estime que cet édifice géopolitique s’est effondré à la suite de la guerre de 2020. L’Arménie a été lourdement vaincue par une République d’Azerbaïdjan ascendante, qui tente d’unir ses forces à celles de la Turquie pour créer un nouveau statu quo le long de la frontière Nord de l’Iran. Des troupes russes et, dans une moindre mesure, turques sont désormais stationnées sur le sol azerbaïdjanais. Mais dans le prolongement de sa politique étrangère pragmatique, le ministre iranien des Affaires étrangères de l'époque, Mohammad Javad Zarif, a reconnu et félicité la République d’Azerbaïdjan pour sa victoire lors d’une visite à Bakou fin 2020.

D’après l’auteur, l’alliance stratégique de la Turquie et de la République d’Azerbaïdjan est considérée en Iran comme un élément fournissant à Ankara une rampe de lancement pour une implication turque plus large dans le bassin caspien et en Asie centrale.

Les exercices militaires conjoints de la République d’Azerbaïdjan avec la Turquie et le Pakistan, les restrictions et prélèvements imposés par Bakou sur les camions iraniens qui se rendaient en Arménie ainsi que les liens militaires d’Israël avec Bakou ont également suscité la colère de Téhéran.

Les tensions, cependant, semblaient gérées dès le début. De part et d’autre, les limites au-delà desquelles ils n’iraient pas. L’Iran a utilisé les tensions croissantes pour envoyer un signal à la République d’Azerbaïdjan, et Bakou a compris le message.

Dans cette optique, « ce n’est pas la présence d’Israël qui a poussé la République islamique d’Iran à réagir avec force aux récentes prises de position de Bakou, mais plutôt la réémergence de la Turquie en tant que puissance majeure dans le Caucase du Sud », écrit Emil Avdaliani.

Alors que l’Iran cherche des alliés naturels pour limiter l’influence turque, l’Arménie et la Russie sont des candidats probables. Tous deux craignent l’influence turque et détestent les ambitions d’Ankara dans la mer Caspienne, l’espace considéré par Moscou et Téhéran comme une zone exclusive où, selon la Convention sur le statut juridique de la mer Caspienne signée en 2018 par les États riverains, aucune force militaire extérieure n’est autorisée à être présente. Ces inquiétudes sont compréhensibles, car la République d’Azerbaïdjan et la Turquie ont récemment organisé des exercices dans la Caspienne.

La Russie et l'Iran craignent également les ambitions de la Turquie en Asie centrale et son influence sur l'ouverture des ressources énergétiques de la région au marché européen. Début 2021, la République d’Azerbaïdjan et le Turkménistan ont convenu de régler leur différend autour du champ de Dostluq dans les eaux caspiennes. La Turquie a rapidement lancé l’idée de tenir des négociations à trois. La réduction des tensions entre les deux pays de la Caspienne supprime un autre obstacle sur la voie de l’ouverture potentielle du pipeline transcaspien, un projet vanté pendant des décennies, mais resté non réalisé en raison d’opposition russes et iraniens. En effet, l’auteur croit que la Russie et l’Iran considèrent le gaz turkmène comme hautement compétitif et que son apparition sur le marché européen limiterait les exportations russes et perturberait les projets de l’Iran d’approvisionner l’Union européenne. 

D’après l’analyste géorgien, il n’est donc pas étonnant que le ministre iranien des Affaires étrangères, Hossein Amir-Abdollahian, se soit rendu à Moscou lors des récentes tensions. L’Iran et la Russie voient de plus en plus la nécessité de s’opposer à l'alliance croissante entre la Turquie et la République d’Azerbaïdjan. Pris en sandwich entre les deux puissances, la République d’Azerbaïdjan devra soit réduire ses ambitions après la deuxième guerre du Haut-Karabakh, soit approfondir son alliance avec la Turquie. Quoi qu’il en soit, la capacité longtemps acclamée de Bakou à mener une politique étrangère habile parmi plusieurs acteurs sera compromise.

Bien que la récente escalade entre l’Iran et la République d’Azerbaïdjan ait été contrôlée, Bakou a annoncé le 13 octobre avoir conclu un accord diplomatique avec l’Iran.

Dans ce contexte, un réalignement constant sera à l’ordre du jour, ce qui signifie que de nouvelles ententes pourraient émerger l’Iran et la Russie sur la nécessité d’interdire l’influence turque.

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SOURCE: FRENCH PRESS TV