Cette visite inopinée du président syrien à qui les atlantistes reprochaient d’en avoir fait trop pour une Russie « qui ne daigne même pas de l’inviter au Kremlin », ne cesse de faire couler l’ancre : on y voit évidemment une reconnaissance puis une revendication pleine et entière de l’alliance Syrie-Russie par Moscou dont les contacts avec les Américains inquiétaient et la Syrie et la Résistance puis aussi et surtout un désaveu clair à l’adresse de la Turque. En effet par sa place axiale au cœur de la politique russe, Ankara n’a cessé de faire tout et son contraire face à une Russie trop patiente. Or depuis que l’Amérique démocrate se montre peu tendre à l’encontre du Sultan, se jouant de temps à autre avec la valeur du Livre, quitte à faire baisser et rebaisser la popularité de l’AKP, pas besoin de trop se faire aux caprices d’Erdogan. Puis Ankara est imprévisible : À Idlib, les attaques anti russe couvent sous les cendres et le Sultan semble avoir livré à nouveau des batteries de la DCA à ses mercenaires terroristes.
« Dans la région de la ville d’Idlib, qui est la capitale de la province du même nom en Syrie, au moins trois systèmes de missiles antiaériens à moyenne portée MiM-23 ont été aperçus. Ces derniers ont été transférés par la Turquie en Syrie et transférés à des terroristes et des mercenaires, ce qui indique que la chasse aux avions militaires russes en Syrie a effectivement commencé, dit le site militaire russe Avia.pro récemment. Alors pourquoi encore faire tourner le couteau dans la plaie, froisser les alliés syriens et de la Résistance et empêcher que l’État syrien chasse-t-il la Turquie du nord de la Syrie ? La question pose de toute son acuité dans la mesure où des craintes existent de voir Ankara rétablir son corridor aérien d’Idib à Kaboul avec comme dans le cas libyen ou caucasien, l’injection d’une bonne dose de mercenaires non loin des frontières de la Russie.
Or une fois n’est pas la coutume, la presse turque semble avoir une assez juste perception du message indirect que Poutine a tenté d’envoyer à Ankara en affirmant que les “dix pour cent des territoires syriens qui restent occupés devraient être libérés" : L’approche des médias turcs envers la rencontre des présidents russe et syrien est d’une importance tout à fait particulière, puisqu’Ankara a toujours été l’une des parties impliquées dans l’affaire syrienne, et toute évolution dans ce pays déchiré par la guerre de longue date sera prise en compte par les analystes et les politiciens turcs. La plupart des journaux turcs ont couvert la nouvelle de la récente visite du président syrien en Russie et sa rencontre avec Poutine en première page, la qualifiant d’événement important. Les trois journaux Cumhuriyet, Sözcü et Karar, tous trois journaux critiques à l’égard du parti au pouvoir en Turquie, ont partagé une approche conjointe envers la récente réunion Poutine-Assad au Kremlin. Le journal Cumhuriyet, connu comme un important média proche du Parti républicain du peuple (CHP) estime que les propos du président Poutine lors de sa rencontre avec son homologue s’inscrivaient en fait dans le contexte du vieil adage : “Battre l’un pour en effrayer l’autre”.
“Toute force étrangère présente en dehors des Nations unies, en dehors de la supervision des Nations unies et en dehors de la volonté et de l’invitation du gouvernement syrien doit quitter [le territoire syrien]”, écrit le quotidien Cumhuriyet, citant Poutine. Il poursuit que les deux destinataires de ce discours sont Washington et Ankara : “Ankara doit clairement comprendre les propos de Poutine. Il veut que les troupes américaines et turques quittent la Syrie. ‘Poutine n’a pas mentionné les noms des pays. Mais il a intelligemment utilisé des descriptions qui ne se sont utilisées que pour les Américains et les Turcs.’
Mais pourquoi la Turquie devrait-elle s’inquiéter ? Le meurtre de trois officiers turcs à Idlib il y a quelques jours et la colère croissante des Syriens face aux actes extrémistes des terroristes parrainés par l’armée turque à Afrin et dans d’autres villes occupées sont indéniables et tout cela joue en défaveur de la Turquie. Au fait, en dépit d’une politique de séduction, Ankara n’est pas aimé dans le Nord syrien. À ceci s’ajoutent les erreurs commises à l’interne.
Certes, l’ambiguïté de la politique russe de la Turquie a réservé toutes ces années une marge de liberté importante à Ankara en Syrie, mais dire que le Kremlin irait donner son feu vert à ce que la Turquie impose son calendrier au Levant est un pas qu’aucun analyste ne franchirait. Disons que l’énergie nucléaire et la construction de la centrale nucléaire d’Ak Kui Malatya par des scientifiques et des ingénieurs russes, le transfert de gaz russe sous la mer Noire vers la Turquie et l’Europe (Turk Stream), l’achat du système de missile russe S400, la coopération politique et sécuritaire entre la Turquie, la Russie et la République d’Azerbaïdjan dans le Caucase du Sud ou encore les actions de dizaines d’entreprises turques de construction et de sous-traitance en Russie ne pèsent pas assez lourdes face à l’aspect géostratégique des relations Syrie-Russie.
Le gouvernement proche du parti de la Justice et du Développement (AKP) souhaite toujours la chute du gouvernement de Bachar Assad et a dans la foulée rassemblé plus de 150 000 terroristes syriens sous son égide et protège toujours la structure illégale et informelle du gouvernement intérimaire de l’opposition syrienne. Pourtant, Moscou soutient constamment la survie du gouvernement de Bachar Assad. La Turquie occupe des parties entières de la Syrie dans le sens des intérêts de l’OTAN et ce n’est pas la Russie qui ne comprendrait pas ceci.
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Bien que la Turquie et la Russie aient également des divergences dans le cas libyen, le différend politique, sécuritaire et de défense le plus important entre Moscou et Ankara est indubitablement la question syrienne, la Russie cherchant là à contrer tout court toute avancée de l’OTAN.