Cette trêve de 120 heures qu'Ankara a conclue avec Washington pour dit-on, permettre aux miliciens kurdes des YPG de se retirer des zones frontalières, ne pourrait cacher une réalité : Ankara a frôlé le risque d'enlisement sur fond d'un face-à-face avec l'armée syrienne et la Russie qui allait se produire, si l'offre de la trêve US ne volait pas au secours d'Ankara. Au fait dès le 13 octobre et l'accord conclu entre Damas et Kurdes syriens, suivi de l'arrivée éclair des forces syriennes à Manbij, à Hassaka, à Kobani, à Raqqa, ... l'opération " Source de paix" a marqué le coup surtout que ce déploiement rapide et spectaculaire se faisait accompagner par le soutien aérien de la Russie.
Une information reprise par Al Masdar News a fait même état de l'interception mardi dernier d'un F-16 de l’armée de l’air turque par un Su-35 russe alors que l'appareil turc tentait de frapper le siège des FDS à Manbij, dans le nord-est de la Syrie. C'est donc la mort dans l’âme que l'occupant turc concède à une trêve, ce qui ne l’empêche pas de chercher à ne pas perdre la face.
« La Turquie riposterait au cas où Damas commettrait une erreur », a ainsi lancé le vendredi 18 octobre Erdogan qui a souligné que les groupes « terroristes » [les miliciens kurdes, NDLR] n’avaient pas encore quitté la « zone de sécurité » et que la Turquie et les États-Unis pourraient faire beaucoup de choses dans le Nord syrien après le retrait de « terroristes ». Erdogan appellent-ils à l'aide des USA pour pouvoir maintenir la présence de ses troupes dans le nord syrien? Craint-il une action concertée kurdes-Damas-Russie contre la présence illégale de ses effectifs? Possible. « Si on reste les bras croisés face aux Kurdes, ils progresseront », a-t-il menacé tout en ajoutant aussitôt cette phrase bien significative :" Dans le cadre de notre opération "Source de paix", la Turquie n’est pas entrée en « guerre » contre les terroristes, mais plutôt en « conflit » car le terme « guerre » s’utilisait pour évoquer un conflit entre les deux pays et il semblait une certaine exagération pour la situation actuelle".
La marche arrière est manifeste, le président turc ayant réalisé les limites de son action contre l'État et l'armée syriens et choisissant par conséquent d'éviter la débâcle. Quelques heures avant qu'Erdogan prenne la parole, le président Assad avait donné le ton : Lors d'une rencontre avec le vice-ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Vershinin et envoyé spécial de M. Poutine pour la Syrie, le président syrien Bachar Assad a exigé la fin de l’agression de l’armée turque tout comme le retrait de toutes les forces étrangères non mandatées, qu'elles soient turques, américaines, françaises et autres, les qualifiant d’« occupantes » : « Ces forces sont considérées comme occupantes conformément au droit et aux chartes internationaux, ce qui réserve à la nation syrienne le droit de les combattre par tous ses moyens ».
Une semaine après l'offensive turque déclenchée avec le feu vert des États-Unis pour que la Turquie puisse occuper le nord-est et étende son influence jusqu'aux frontières irakiennes et ce, dans l'objectif entre autres de couper l'une des trois voies de communication stratégiques Syrie -Turquie - les deux autres étant al-Tanf et Abou Kamal- la Turquie est stoppée net. Non pas parce que les USA le lui ont demandé, mais parce que l'armée syrienne et ses alliés en jouant la carte "kurde" sont parvenus à reprendre le contrôle des principales localités sensibles du nord est et de l'est de l'Euphrate : Manbij, Kobané, Raqqa entre autres. Lors de sa rencontre avec Assad, la partie russe a, pour sa part, rappelé son soutien à la souveraineté et l’intégrité territoriale de la Syrie, ajoutant que Moscou s’opposait à toute mesure violant cette souveraineté, compliquant la situation et entravant les efforts du règlement de crise.
C'est dire que la Turquie, aveuglée par sa confiance envers les Américains, s'est bien prise au piège. Au demeurant, Sergueï Vershinin a affirmé que le terrorisme -en l’occurrence les mercenaires qaïdistes et takfiristes qui servent de bouclier à l'armée turque- devrait être éradiqué en Syrie et que "le gouvernement devrait récupérer tous les territoires du pays, notamment dans les régions frontalières".
Où en est donc le couple US/Turquie une semaine après le début de "Source de paix"? La Turquie s'est arrêtée à 22 kilomètre en profondeur du sol syrien au lieu de 32 kilomètres qu'elle exige. Ses forces sont sous la surveillance rapprochée de la Russie. Quant à Washington, il n’est pas en position de dire aux Kurdes ce qu'ils ont à faire après les avoir perdus au profit de Moscou et de Damas.
Alors que fera la Turquie au bout de 120 heures? Tout sauf risquer un face-à-face directe avec l'armée syrienne.