Une fois l’Arabie saoudite et l’Iran ont fini par la relance de leurs relations diplomatiques, certaines indices montrent que Le Caire s’emploie également à reconsidérer ses relations avec Téhéran.
Après la signature de la reprise des relations diplomatiques entre Riyad et Téhéran sous l'égide de Pékin le vendredi 10 mars à Pékin, le ministère égyptien des Affaires étrangères s'est contenté de dire que l'Égypte "suit l'accord avec intérêt et attend avec impatience sa contribution à l'apaisement des tensions dans la région".
Moins de 24 heures plus tard, suite à ce développement, la présidence égyptienne a déclaré dans un communiqué que l'Égypte "salue cette étape importante" et "apprécie l'approche adoptée par l'Arabie saoudite à cet égard". La présidence égyptienne espère que ce développement aura un effet positif sur les politiques régionales et internationales de l'Iran.
Trois jours seulement après l'annonce d'un accord sur le rétablissement des relations diplomatiques avec l'Arabie saoudite, le porte-parole du ministère iranien des affaires étrangères, Nasser Kanaani, a déclaré le lundi 13 mars que la région du Moyen-Orient avait besoin du potentiel positif de Téhéran et du Caire.
L'Égypte est un pays important et les deux États (l'Iran et l'Égypte) attachent de l'importance l'un à l'autre", a-t-il déclaré, ajoutant que "la région a besoin du potentiel positif de Téhéran et du Caire".
Il a indiqué que l'Iran et l'Égypte s'étaient entretenus en marge de la deuxième conférence de Bagdad pour la coopération et le partenariat, qui s'est tenue en Jordanie en décembre 2022, au cours de laquelle des entretiens brefs et positifs ont eu lieu avec le président égyptien Abdel Fattah El-Sissi. « Nous sommes fermement convaincus de la nécessité de prendre des mesures supplémentaires pour améliorer les relations entre les deux pays ». Il a déclaré que les relations politiques entre les deux pays sont toujours à double sens et que nous devons les envisager de manière bilatérale.
La neutralité souple de l'Égypte
Le chercheur militaire et ancien officier des forces armées égyptiennes, le général de brigade Safwat Al-Zayyat, estime que « les enjeux de la position égyptienne sur le caractère volatil des relations des pays du bassin du golfe Persique et l’Iran sont toujours corrects en adhérant à une neutralité souple, sans implication majeure.
Al-Zayyat explique que c'est ce sur quoi Le Caire travaillera à l'avenir, en particulier avec l'absorption de la leçon de s'écarter de cette approche dans la crise du Qatar et du golfe Persique, et sa marginalisation complète lorsque ses percées sont devenues apparentes.
Al-Zayyat a déclaré que l'Égypte était déjà impliquée dans un effort international conjoint pour sécuriser la navigation maritime et lutter contre la criminalité maritime organisée dans les régions du golfe Persique, le golfe d'Oman, la mer d'Oman et l'océan Indien, par le biais de trois forces opérationnelles conjointes (CTF). Il a souligné que l'important était l'ajout d'une quatrième force conjointe, la CTF 153, le 17 avril 2022, pour assumer des tâches de sécurité maritime et affronter le crime organisé dans une zone s'étendant du golfe d'Aden, en passant par Bab el-Mandeb jusqu'à la mer Rouge.
Il a ajouté que l'Égypte en assume la direction périodique depuis décembre dernier, et donc l'Égypte est limitée en vertu de sa participation à cet effort maritime international par les restrictions de définition de la menace et les règles strictes d'engagement de cette coalition internationale.
« Cela impose des dilemmes majeurs à l'Égypte, en raison de ses politiques équilibrées entre les parties au conflit dans la région », a-t-il noté.
Pressions américaines et israéliennes sur l'Égypte
Pour sa part, l'expert en relations internationales Mohamed Nashtawy estime qu'à l'heure actuelle, aucune position égyptienne claire ne s'est cristallisée, de sorte que nous pouvons attendre les prochains jours jusqu'à ce que nous voyions une position égyptienne claire sur ces accords irano-saoudiens, à moins qu'il n'y ait une pression américano-israélienne sur l'Égypte".
« L'Égypte a besoin de beaucoup d'argent et le Fonds monétaire international l'oblige à dévaluer sévèrement la monnaie locale, tandis que ses alliés au sein des pays du golfe Persique l’ont privé des ressources financières et donc Le Caire n'adopte pas position sur ces ententes à l’heure actuelle », a-t-il retranché.
"Il ne sert à rien de maintenir la rupture des relations entre l'Égypte et l'Iran"
L'ancien vice-ministre égyptien des affaires étrangères, Abdullah Al-Ashaal, estime qu'il n'y a aucun intérêt à maintenir la rupture des relations entre l'Égypte et l'Iran.
« Au contraire, Le Caire a des intérêts stratégiques à tirer du rétablissement de ces relations, qui sera dans l'intérêt des deux pays, en particulier de la partie égyptienne », a-t-il déclaré.
Al-Ashaal a énuméré "les avantages que l'Égypte peut tirer de la reprise de ces relations, en faisant référence à la sécurisation de la voie navigable du canal de Suez et à la sécurité du passage des navires par Bab el-Mandeb".
« La reprise des relations entre Le Caire et Téhéran contribue à un boom touristique qui pourrait dépasser les 10 millions de touristes iraniens par an, désireux de visiter les sanctuaires et les mausolées de la sainte famille prophétique. En outre, il est possible que les échanges commerciaux entre les deux pays se développent, ce qui aidera vigoureusement l'économie égyptienne chancelante », a-t-il déclaré.
Il a expliqué que la normalisation des relations entre l'Égypte et l'Iran ne signifierait pas l'entrée dans une crise avec les États-Unis ou les États riverains du golfe Persique.
« La reprise des relations avec l'Iran ne signifie pas qu'il faille rejoindre les blocs régionaux et internationaux dans lesquels Téhéran est impliqué. Au contraire, elle pourrait permettre au Caire de jouer un rôle positif dans les crises régionales dans lesquelles l'Iran joue un rôle effectif. Cependant, il ne semble pas y avoir de volonté politique de la part des autorités égyptiennes de restaurer le rôle régional du Caire, perdu depuis longtemps », a-t-il ajouté.
Al-Ashaal a déclaré qu'il était peu probable que les deux pays reprennent leurs relations diplomatiques étant donné l'influence croissante des États-Unis sur les décideurs en Égypte. « D'autant plus que l'Iran ne fera pas de concessions à cet égard et que c'est le Caire qui a rompu les relations en 1979 et que Téhéran a tendu la main pour la reprise des relations, que ce soit à l'époque du feu président Hosni Moubarak ou après la révolution de janvier, mais cela n'a pas porté ses fruits ».
Les pays travailleront pour contrecarrer tout rapprochement
« Il a des pays qui travailleront à contrecarrer tout rapprochement égypto-iranien, en raison du rôle de cette convergence dans la réalisation de changements géostratégiques dans la région, d'où Tel-Aviv sera touché » a affirmé Hassan Nafaa.
« Ce rapprochement, dont on l'espère, va freiner la normalisation arabo-israélienne, et limiter les répercussions des accords d'Abraham, ce dont se rendent compte les hommes politiques israéliens, qui s'estiment les plus touchés par la dernière étape, outre que ce rapprochement et la présence de voies diplomatiques, peut contribuer à apaiser la tension en Irak, au Yémen, en Syrie et au Liban, où il est possible par la voie diplomatique de parvenir à un règlement important qui contribue à résoudre les crises de ces pays », a-t-il estimé.
Il a évoqué l’impact de la reprise des relations irano-égyptiennes pour dire : « Le rapprochement entre les deux parties aura des développements positifs au niveau palestinien, car les pressions politico-militaires s'atténueront sur la Résistance palestinienne. »