Même le Sultan, de plus en plus inquiet à l'idée d’être, un de ces quatre, chassé du Nord syrien par les frappes syro-russes l’a pressenti, il est désormais difficile de se maintenir en Syrie à titre de puissance d’occupation : Interviewé par CBS, le président turc qui se trouve à New York en attendant que Biden le convoque pour un tête-à-tête, ce qui n’a pas encore eu lieu, a lancé ceci : « Ce serait bien si les États- Unis se retirent de Syrie un peu comme d’Afghanistan et de laisser le soin de s’occuper de la Syrie à l’Iran, à la Turquie et à la Russie. ». Pour quiconque connaît effectivement les vicissitudes de la politique syrienne d’Erdogan il va sans dire, le Sultan cherche à « légaliser » l’occupation du Nord syrien. Mais en Russie, va-t-il réussir pour la seconde fois à convaincre Poutine à jouer son jeu ?
Le président turc Recep Tayyip Erdogan est attendu mercredi à la station balnéaire de Sotchi pour une rencontre avec son homologue russe Vladimir Poutine.
72 heures avant cette rencontre, un événement significatif s’est produit en Syrie : l’aviation russe a bombardé des parties importantes du nord-ouest d’Idlib et des villages de la banlieue d’Afrin, attaques au cours desquelles des dizaines d’hommes armés syriens affiliés à Ankara ont été tués, rapporte Reuters, ajoutant que dans le même temps, l’armée turque a déployé de nouveaux renforts en effectifs militaires à la frontière avec la Syrie, s’y mettant ainsi en ordre de bataille.
C’est dans un tel contexte que le journal turc Karar a choisi un titre assez intéressant pour qualifier ce rendez-vous : « La Plus difficile table ronde avec Poutine ».
Les évolutions à Idlib et les attaques russes contre les insurgés syriens soutenus par Ankara semblent intéresser également le journal Yeni Türkiye du Parti de la justice et du développement (AKP) qui évoque « une autre attaque juste avant une rencontre Erdogan-Poutine ». « Les lourdes attaques aériennes russes contre les opposants à Assad Idlib transmettent un message important à Ankara ; en effet, c’est toujours de cette manière que la Russie a mis la Turquie sous pressions ces dernières années », ajoute le média turc.
Quoi qu’il en soit, les analystes politiques disent qu’il ne faut pas attendre grand-chose de cette rencontre, « puisque la Turquie n’a pas rempli ses engagements à Idlib ». « De grands différends divisent actuellement Erdogan et Poutine », a écrit le journal Yeni Akit. L’analyste du journal conservateur pro-Erdogan, Abdurrahman Dilipak, estime que « les raids de l’aviation russe sur les insurgés syriens à Idlib et des accords préliminaires russo-américains à propos de la Syrie ont rendu les conditions encore plus difficiles pour Erdogan et son entourage.
L’on n’a pas oublié que les visites d’il y a quelques mois des ministres des Affaires étrangères et de la Défense russes à Ankara ont été annulées à la dernière minute et que le président russe n’a pas caché sa froideur au cours de la visite de son homologue turc à Moscou. Mais les conditions sont actuellement encore plus compliquées, pour certaines raisons :
- Trois militaires turcs ont été tués à Idlib sans que le gouvernement turc ne donne des éclairages à ce sujet à l'opinion publique.
- Lors de la dernière visite du président syrien à Moscou, Poutine n’a pas manqué de mentionner à Assad, comme suit, l’effet contreproductif des « forces armées étrangères, sans décision de l’ONU, sans votre accord », une insinuation, selon les analystes, destinées à l’armée turque.
- Le ministre syrien des Affaires étrangères Fayçal Meqdad a carrément qualifié l’armée turque de « force d’occupation » et demandé son retrait du territoire syrien.
- Une délégation de responsables kurdes proches du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) a reçu l’accueil officiel à Washington, alors que le président américain Joe Biden n’a pas accepté d’avoir un tête-à-tête avec son homologue turc.
- Erdogan semble ne pas être très content des acquis de sa visite à Washington, et Poutine observe « intelligemment » les tensions turco-américaines.
- Les déclarations d’Erdogan à propos de la Crimée, notamment la minorité musulmane des Tatars de Crimée, ont eu une vaste répercussion dans les médias russes.
En outre, les déclarations récentes des responsables politiques de Moscou laissent conclure que le président Poutine et son équipe auraient prémédité une sorte de « partage des tâches » pour faire des remarques nécessaires à Ankara, ce qui est d’ailleurs perceptible dans les déclarations en série du président russe, de son ministre des Affaires étrangères et du porte-parole du Kremlin. Poutine et Erdogan restent toujours divisés au sujet de la Syrie. Quel est exactement l’objet de leurs différends ? Les sujets de discorde sont multiples :
- Le sort politique de la Syrie constitue de plus gros sujets de discorde entre Poutine, qui soutient la survie politique du gouvernement d’Assad, et Erdogan, qui appuie les opposants à Assad et est allé jusqu’à reconnaître la structure de facto d’un gouvernement provisoire composé d’insurgés.
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- Moscou se permet d’inviter au Kremlin des éléments affiliés au PKK et se lance même dans des missions de médiation entre Damas et ces derniers, dont l’existence en Syrie a toujours été intolérable pour Ankara.
- La Turquie ne souhaite vraiment pas que les choses changent à Idlib, alors que la Russie souhaite sérieusement qu’on puisse y sortir de l’impasse.
Certes, les questions susmentionnées ne représentent pas la totalité des différends opposant Poutine et Erdogan qui restent aussi divisés sur d’autres dossiers tels que la Libye, la sécurité de la mer Noire et l’Ukraine. Une chose est pourtant certaine : en ce qui concerne le dossier syrien, les conditions sont devenues de plus en plus compliquées pour Ankara. La Turquie devra s’attendre aux dégâts et pertes encore plus importants pendant les mois à venir, à moins que le gouvernement d’Erdogan ne revienne sur son approche générale envers la Syrie.