À quoi rime cette visite à l'improviste du président Assad au Kremlin qui a royalement surpris les analystes, une visite où le président russe a tenu d'abord à féliciter son homologue syrien pour son anniversaire, signe que les liens mutuels Assad-Poutine sont plus que protocolaires, puis à lui présenter ses vœux cette fois à l'occasion de sa réélection qui « témoigne de la confiance renouvelée des Syriens envers leur président » et enfin à dénoncer « ces terroristes et ces forces étrangères qui occupent sans mandat de l'ONU ni le feu vert de Damas les parties entières de la Syrie » et « qu'elles empêchent de la sorte la mise sur les rails de la reconstruction du pays »? Un premier niveau d'analyse se concentrerait évidemment sur ce qui risque de se dérouler en Syrie post-reprise de Deraa, cette province stratégique que les accords russes de 2018 Russie-Israël-USA avaient rendue plus ou moins sûre pour les agents « syriens » d’Israël avant que la Russie de 2021 en retire son soutien et ce, en soutien évidemment à l'armée syrienne mais aussi et surtout à la Résistance avec qui Moscou commence réellement à envisager une « alliance ». Revenant sur la récente visite de Lapid, MAE israélien à Moscou et son point de presse très particulier avec Lavrov, où il s'était emporter par un coup de colère quand un journaliste russe lui avait posé la question suivante : « Allez-vous négocier avec Assad la restitution du Golan ? »
Le journal israélien JP écrivait il y a deux jours : « Au fait la Russie n'a jamais cessé de jouer sur le terrain de l'axe Iranien... Au Golan, elle nous a roulés dans la farine quand elle a promis à Israël de maintenir à une distance de 80 kilomètres des frontières israéliennes le Hezbollah, un Hezbollah que nous avons vu émerger peu après sous notre nez et notre barbe, déguisé en soldats syriens, un Hezbollah qui en est désormais à étendre au Golan syrien ses bases balistiques, ses dispositifs de guerre électroniques contre le ciel israélien voire nos colonies... Et Aujourd'hui cette même Russie nous fait le même coup à Deraa, cette autre province longeant le Golan d'où son pseudo-cessez le feu est sur le point de mettre à la porte nos alliés parmi les druzes syriens. D'ailleurs la Russie a fait en sorte que la Jordanie voisine accompagne ce plan et qu'elle refuse même d'accorder l'asile aux rebelles qui n'ont plus rien à faire ni à Deraa al Balad ni à al Yadudah. Une délégation sécuritaire syrienne de haut niveau devrait se rendre en Jordanie dans les prochains jours, dirigée par le général Ali Ayoub , ce qui ne va certainement pas servir les intérêts d'Israël. »
Au fait le JP a raison : la rencontre Poutine-Abdallah II a contribué plus à rapprocher Amman et Damas qu'Amman et Tel-Aviv et en ces temps de coopération énergétique tous azimutes entre la Jordanie, la Syrie et le Liban, la visite s’inscrirait dans le sillage de la reprise du dialogue entre Damas et certains pays voisins pour conclure un accord visant à alimenter le Liban en gaz et en électricité via l’Égypte et la Jordanie, en passant par la Syrie.
Le journal énumérait aussi au nombre des péchés du Kremlin son feu vert aux déploiement des radars « iraniens » dans l'est de la Syrie, « radars capables mêmes de verrouiller sur nos avions furtifs ou encore de ces dispositifs iraniens de guerre électroniques qui ont privé Israël de pouvoir refaire ses attaques aux drones contre les installations énergétiques syriennes à Homs ou ailleurs, comme pour prévenir tout ce trafic énergétique qui se forme entre l'Iran, la Libye, la Jordanie et l'Égypte et ce, sur le dos d'Israël » : « c'est le coup le plus fatal contre les capacités aériennes d’Israël en Syrie car outre une DCA renforcée qui intercepte en vrac nos missiles air-sol, l'apparition des dispositifs de guerre électronique iraniens prive Israël de pouvoir mener sa guerre aérienne à coup de drone » !
Évidemment cette litanie du JP sur les actes de « traîtrise » russes à l'endroit d'Israël pourraient avoir son pendant turc, surtout que le président russe a implicitement fait allusion à la Turquie, une des deux puissances étrangères présentes sans mandat syrien dans le nord de la Syrie. Il est vrai qu'après Deraa, la Syrie pense naturellement à se faire restituer Idlib où le Sultan, en dépit des années d'occupation, commence à émettre les signes d'essoufflement.
Il est loin le temps où la Russie tolérait les agissements de l'armée turque à Idlib et les frappes russes vont croissant de façon exponentielle. Selon Avia.pro, « au cours des deux dernières semaines, des chasseurs et des bombardiers russes ont lancé des attaques massives contre des positions terroristes dans les provinces syriennes d'Idlib et de Lattaquié. Dans le même temps, plusieurs sources rapportent que la Russie et la Syrie se préparent dans un futur proche à lancer une offensive sur la partie sud d'Idlib afin de reprendre le contrôle du territoire. Il est à noter qu'un grand nombre d'attaques des forces aérospatiales russes sont livrées en hauteur, ce qui devrait simplifier l'offensive de l'armée syrienne ». Et bien cette remarque cadre parfaitement avec les propos du président Poutine qui affirmait il y a quelques heures à son hôte Assad que « 90% de la Syrie est sous le contrôle de l'État » mais la reconstruction ne peut réellement commencer sans les 10% restant.
La Russie s'apprête-t-elle à appuyer la Syrie pour qu'elle nettoie aux côtés de ses alliés de la Résistance Idlib? Visiblement. Mais il y a encore plus : Al-Mayadeen évoque dans un récent rapport un contact téléphonique USA/Russie presque simultanément avec la visite d'Assad au Kremlin. Le rapport parle des « coordinations russo-américaines en Syrie ». Dans le temps, ce mot « coordination » renvoyait à toutes sortes d'hypothèses y compris les pires qui laissaient entendre que Moscou aurait contourné l'État syrien et sa volonté. La trêve de 2018 à Deraa en est une. Mais c'était avant que l'axe de la Résistance mette échec et mat les États-Unis et qu'en acheminant du pétrole en Méditerranée brise en mille morceaux la loi César et qu'il oblige les USA à aller frapper à la porte d'Assad pour qu'il autorise le transit du gaz égyptien au Liban.
Remarquons que ce transit à son prix à payer et que ce pourrait ne pas être que le désengagement US en Syrie. Le coup de fil échangé entre Poutine et Biden pourrait bien avoir transmis ce massage à l'Américain. On en saura davantage dans les jours qui viennent surtout qu'une information faussement démentie par le Pentagone faisait déjà état d'un retrait américain d'al-Omar... Le JP avait raison : « il se pourrait que la Syrie soit le second pays où les Américains y lâcheraient prise, pris qu'ils sont entre les missiles M-600 syriens et les drones irakiens, les Américains pour laisser Israël se brouiller seul.