Le ton monte entre l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis d’une part et le Qatar de l’autre, mais qui va prendre parti pour le Qatar si ce conflit, actuellement confiné au niveau médiatique, débouche sur une vraie guerre ?
Le rédacteur en chef du quotidien Rai al-Youm, Abdel Bari Atwan, a rédigé un article pour répondre à cette question.
« Le danger d’une confrontation militaire opposant l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis au Qatar est considérable. Cette hypothèse se nourrit de trois événements qui ont eu lieu pendant les 20 dernières années. En 1992 a éclaté la querelle frontalière de Khafous entre l’Arabie saoudite et le Qatar lorsque les forces saoudiennes ont attaqué un poste de police qatari. Un officier saoudien et deux soldats qataris ont été tués.
En juin 1995, le prince héritier du Qatar, le cheikh Hamad ben Khalifa Al Thani, a chassé du pouvoir son propre père, l’émir Khalifa ben Hamad Al Thani, alors que ce dernier était en visite à l’étranger.
Ce coup d’État doux, soutenu et reconnu par les États-Unis, a suscité la vive inquiétude des monarchies arabes du golfe Persique.
En février 1996, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, Bahreïn et l’Égypte ont tenté de renverser le cheikh Hamad ben Khalifa au profit de son père qui résidait dans un hôtel à Abou Dhabi.
Cette tentative a allumé la mèche des divergences entre l’Arabie saoudite et le Qatar, si bien que le Qatar a accusé Salmane ben Abdelaziz, actuel roi d’Arabie saoudite, et son frère, alors ministre saoudien de la Défense, d’avoir orchestré le coup d’État.
Dans tous les cas précités ainsi qu’en l’an 2014, lorsque l’Arabie saoudite et ses alliés arabes ont rappelé leur ambassadeur en poste au Qatar, il existait des médiateurs qui essayaient d’apaiser la crise, mais à présent, aucun médiateur n’est encore passé à l’action. Même le Koweït, connu sous le nom de “la colombe de la paix”, et son émir semblent fatigués de jouer le même rôle de médiateur, d’autant plus que les responsables koweïtiens sont, ces jours-ci, en litige avec l’Arabie saoudite en raison des politiques hostiles qu’elle adopte contre l’Iran et des divergences qui existent entre les deux parties concernant des champs gaziers et pétroliers.
Mais quelles sont les trois principales options par lesquelles le Qatar pourrait faire face à cette crise qui ne cesse de s’aggraver ?
Primo, le Qatar pourrait se soumettre à toutes les conditions posées par l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, l’Égypte et Bahreïn, dont la plus importante est de rompre ses relations diplomatiques avec l’Iran et de mettre fin à son soutien financier, médiatique et politique aux Frères musulmans. Il devrait également expulser tous les responsables du Hamas, dont et surtout Khaled Mechaal, Moussa Abou Marzouk, Mohamed Nazzal, Ezzat al-Rashq et Saleh al-Aruri.
Secundo, le Qatar pourrait rejoindre l’axe irano-irako-syrien en réaction à une éventuelle offensive, lancée par l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, l’Égypte et Bahreïn. En plus, le Qatar et la Turquie ont déjà signé un accord de coopération militaire et la Turquie possède une base militaire près de Doha, capitale qatarie.
Là, il est à noter que le président turc Recep Tayyip Erdogan éprouve un fort mécontentent vis-à-vis de l’administration Trump qui n’a fait aucun cas de sa demande d’extrader Fethullah Gülen qu’il accuse d’avoir planifié le coup d’État avorté en Turquie.
L’autre sujet de discorde qui a déjà assez divisé les Turcs et les Américains est que la Maison-Blanche a préféré les Kurdes à son allié stratégique et qu’elle ne veut nullement cesser de les financer et de les armer, en dépit des préoccupations d’Ankara.
Dans cette conjoncture, le scénario plausible serait un revirement de Recep Tayyip Erdogan en Syrie ; pour être plus clair, la Turquie pourrait changer d’allié en Syrie en se ralliant au Qatar.
Tertio, l’émir du Qatar pourrait se rendre aux États-Unis, avec à la main un chèque de 200 milliards de dollars ou plus. C’est ce qu’a fait Mohammed ben Salmane, vice-prince héritier d’Arabie saoudite, quand il a payé le prix que Donald Trump avait demandé en échange du soutien de Washington aux monarchies arabes du golfe Persique.
Parmi lesdites trois options, personne ne sait laquelle sera choisie par le Qatar, mais il ne devra pas tarder à en choisir une avant que cette crise ne mène à une offensive militaire.
En août 2013, Jeremy Shapiro, directeur de recherche du think tank European Council on Foreign Relations, à l’époque de Hillary Clinton, a rédigé un article pour le magazine Foreign Policy, dans lequel il a dénoncé les politiques ambivalentes du Qatar et son soutien au terrorisme et aux groupes terroristes.
Dans cet article, Jeremy Shapiro a écrit que Washington était capable de punir le Qatar sur toute une série de domaines : premièrement, les États-Unis sont capables d’ouvrir une enquête sur les droits des ouvriers étrangers qui travaillaient pour des projets d’infrastructure, liés à la Coupe du monde 2022. Ils pourraient également rendre public le dossier des pots-de-vin qu’avait payés le Qatar pour pouvoir accueillir la Coupe du monde 2022.
Jeremy Shapiro a ajouté que Washington disposait d’un tas de documents et de preuves révélant le soutien du Qatar aux groupes terroristes comme al-Qaïda et le Front al-Nosra.
Troisièmement, la Maison-Blanche a la capacité de revivifier les divergences entre l’Arabie saoudite et le Qatar en évoquant de nouveau le dossier des querelles frontalières. Et quatrièmement, Washington pourrait soutenir la branche de la dynastie Al Thani qui a perdu le pouvoir il y a un demi-siècle, en leur assurant un retour au pouvoir.
Jetant un coup d’œil à cet article, publié il y a quatre ans, il est facile à constater que les États-Unis ont déjà réalisé leurs trois premières menaces alors que la quatrième reste toujours latente.
Par ailleurs, les États-Unis ont récemment commencé à mettre en garde le Qatar contre le transfert de ses deux bases militaires vers un autre pays arabe comme l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis.
Là, une autre question importante se pose : en cas d’une confrontation militaire entre le Qatar d’une part et l’Arabie saoudite et son allié émirati de l’autre, la Turquie et l’Iran voleront-ils au secours de Doha ?
Les jours et les mois à venir nous apporteront sans doute une réponse à cette question. »