Alors que la guerre en Ukraine en est à son cinquième mois, les États-Unis et les pays européens font désormais face à une pénurie d'armes, ce qui a affecté la réponse de l'Occident aux besoins en armements de l'Ukraine.
Dans un rapport, le journal britannique The Financial Times faisant référence à la question, a écrit qu'en mai, lorsque Washington a commandé 1 300 missiles anti-aériens Stinger pour remplacer ceux envoyés en Ukraine, le directeur général de Raytheon, la société qui les fabrique, a répondu : « Cela va nous prendre un peu de temps. Paris, quant à lui, a envoyé 18 obusiers César à Kiev – un quart de son stock total d'artillerie de haute technologie – mais il faudra environ 18 mois à la société française Nexter pour en fabriquer de nouveaux.
La guerre en Ukraine a révélé une grave pénurie de réserves de munitions en Occident
La guerre d'Ukraine a révélé la modicité des stocks de défense occidentaux - en particulier des fournitures peu prestigieuses mais cruciales telles que les obus d'artillerie qui ont été le pilier des combats.
Selon le rapport du journal britannique, le manque de capacité de production, les pénuries de main-d'œuvre et les problèmes de la chaîne d'approvisionnement - en particulier les puces informatiques - signifient de longs délais pour les réapprovisionner.
Laxisme occidental face aux potentielles menaces militaires
Les pénuries, selon les responsables de la défense et les analystes, révèlent la complaisance de l'Occident face aux menaces potentielles depuis la fin de la guerre froide, désormais manifestée par un désir hors de portée de soutenir l'Ukraine avec un soutien militaire.
« L'Ukraine a été une leçon sur la façon dont la guerre est encore souvent gagnée grâce aux éléments classiques de l'artillerie, des troupes au sol et de l'occupation », a déclaré Jamie Shea, ancien directeur de la planification des politiques de l'OTAN, aujourd'hui chercheur associé à Chatham House, un institut de réflexion basé à Londres.
« L'équilibre militaire qui est passé de l'ancien aux tendances dernier cri doit revenir en arrière pour vivre de nouveau son époque précédente », a-t-il insisté.
Selon toujours Le Financial Times, ces pénuries peuvent maintenant empiéter sur la capacité de l'Occident à répondre aux besoins en armement de Kiev dans sa guerre avec les Russes et les pro-russes ukrainiens.
La production annuelle totale d'obus d'artillerie de 155 mm des États-Unis, par exemple, ne pourrait répondre tout au plus qu’à deux semaines de combat en Ukraine, selon Alex Vershinin, un expert américain en approvisionnement qui affirme que le conflit marque « le retour de la guerre industrielle ».
« C'est comme la grande crise des obus de la Première Guerre mondiale », a encore déclaré Jamie Shea, rappelant un scandale de 1915 lorsque l'utilisation massive d'artillerie dans la guerre des tranchées a épuisé les stocks britanniques, une pénurie qui a entraîné de nombreuses pertes de troupes et la démission du Premier ministre de l’époque HH Asquith.
Ben Wallace, le ministre britannique de la Défense, a déclaré que les pays occidentaux auraient du mal à mener une guerre prolongée comparable à l'assaut de la Russie contre l'Ukraine, car leurs stocks de munitions « sont insuffisants pour les menaces auxquelles nous sommes confrontés ».
Evoquant les exercices militaires et un jeu de guerre simulé l'année dernière, où les munitions du Royaume-Uni se sont épuisées après huit jours, le journal note : « Personne ne croit que l'Occident est sur le point d'épuiser son armement de base en approvisionnant l'Ukraine."
Quelle est la raison de cette pénurie ?
Plus loin dans son rapport, The Financial Times se penche sur les vraies raisons de cette pénurie et écrit : « Le budget de la défense russe de 66 milliards de dollars l'année dernière, même lorsqu'il est combiné aux 293 milliards de dollars de dépenses de la Chine, est éclipsé par le budget combiné des membres de l'OTAN estimé à plus de 1,1 trillion de dollars ! »
Même ainsi et malgré l’énorme budget de l'OTAN dans le domaine de la défense, une grande partie de ces dépenses a été consacrée à des systèmes avancés, tels que des avions de combat, qui n'ont pas été déployés par l'Occident dans ce conflit, précise le journal.
L'Occident ne s’occupait que du Moyen-Orient depuis ces 20 dernières années
« Une grande partie de la défense occidentale au cours des 20 dernières années a été orientée vers les interventions militaires au Moyen-Orient. Ainsi la défense occidentale n’est plus aujourd’hui préparée pour des batailles avec des chars lourds et d'artillerie comme celles en Ukraine. »
Pour le journal britannique, les problèmes d'approvisionnement ont été également aggravés par l'accent mis pendant des décennies sur la fabrication des armements modernes, l'efficacité financière et la consolidation industrielle, ce qui a encore entrainé des pénuries en jouant contre les planificateurs et les stratégistes militaires désireux de maintenir des stocks d'armes coûteux (tels des chars...)
Au Royaume-Uni, la faiblesse des stocks a obligé récemment à acheter des obusiers à un tiers, apparemment un revendeur privé belge, pour les envoyer en Ukraine.
Aux États-Unis, le Pentagone travaille aujourd’hui avec seulement cinq principaux sous-traitants de la défense, ce, alors que dans les années 1990, leur nombre était de 51.
Aveuglé par l’idée reçue alimentée depuis longtemps selon laquelle l'Occident ne mènerait plus jamais de guerre industrielle, pour reprendre les mots d’un conseiller occidental à la défense, chez les pays occidentaux, presque personne n'a maintenu la capacité d'augmenter la production nationale d'équipements clés.
Les fabricants d'armes occidentaux se démènent désormais pour s'approvisionner en composants et matériaux rares pour fabriquer des armes et des munitions qui, jusqu'à récemment, étaient à peine demandées. Certains des composants électroniques des missiles Stinger, fabriqués pour la dernière fois à grande échelle il y a 20 ans, ne sont plus disponibles dans le commerce, selon Raytheon.
Alex Cresswell, directeur général de Thales UK, qui fabrique les missiles antichars NLAW loués en Ukraine, a déclaré que « le Royaume-Uni a épuisé ses stocks mais n'investit pas suffisamment pour éviter l'obsolescence ».
En ce qui concerne les systèmes de lance-roquettes guidés multiples fabriqués par Lockheed Martin que Kiev a plaidé pour pouvoir lancer des frappes derrière les lignes ennemies, les États-Unis ont envoyé environ un tiers de leur stock total de 20 000 à 25 000 missiles. Mais ils ne peuvent pas facilement les remplacer par des versions plus anciennes, car elles utilisent des armes à sous-munitions interdites dans leurs ogives, a déclaré Mark Cancian, un ancien responsable du Pentagone.
De nombreux experts militaires suivent de près la guerre en Ukraine pour avoir une vision claire de la structure de la guerre moderne. La première leçon à tirer était l'importance et la nécessité de maintenir les stocks d'armes de base dans les arsenaux de leurs pays respectifs, conclut le rapport du journal britannique.