De la marginalisation de l’Iran à l’incitation de la Turquie, comment les erreurs américaines ont conduit au conflit dans le Caucase du Sud ?
Dans les conflits qui se sont de plus en plus aggravés entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie, les Etats-Unis sont bien plus responsables que l’on peut s'imaginer. C’est sur quoi revient Eldar Mamedov, conseiller politique de l'Alliance progressiste des socialistes et démocrates au Parlement européen dans une note pour la revue américaine American Conservative.
« Le 27 septembre et presque définitivement après l’agression de l’armée azerbaïdjanaise, les hostilités ont repris plus sérieuses que jamais entre les deux ennemis de longue date de la région contestée de la Transcaucasie, l’Azerbaïdjan et l’Arménie.
Le conflit Nagorno-Karabakh a certes des motivations locales mais les Etats-Unis l’ont rendu encore plus difficile par leurs choix particuliers, eux qui se croyaient à l’apogée de leur puissance pendant la guerre froide et capables de s'engager dans tout conflit n’importe où dans le monde. Après l'effondrement de l'Union soviétique en 1991 et l'indépendance des pays du Caucase du Sud sont, les Etats-Unis ont tracé les priorités de leur politique à savoir l’intégration immédiate de ces nouveaux pays indépendants dans l'ordre mondial libéral dirigé par les États-Unis, le transfert de leurs abondantes ressources énergétiques sur les marchés mondiaux, la promotion de la Turquie en tant que modèle régional d'un pays laïque et pro-occidental et l'élimination de la Russie post-soviétique mais aussi et surtout la suppression de l'Iran des projets d'intégration régionale. Et cela sans prendre en compte les réalités historiques et culturelles de la région et leurs impacts possibles sur le conflit du Haut-Karabakh. »
De cette décision résulte entre autres la marginalisation de l’Iran, et cela malgré tous les liens de longue date avec l’Arménie et l’Azerbaïdjan note Eldar Mamedov pour qui l’insistance obstinée américaine sur la mise à l’écart de l'Iran des scénarios possibles de la région, bien qu’elle puisse être justifiable pour le cas de la Syrie où l’Iran pourrait menacer Israël, n’est absolument pas raisonnable pour le cas du Caucase du Sud compte tenu de la perspective stratégique totalement différente de cette zone.
« Contrairement à l'attente, l’Iran, en tant que république chiite, ne s’est pas aligné sur les positions de son coreligionnaire, l’Azerbaïdjan et a décidé de jouer plutôt la médiation entre ses deux voisins. Pourtant, il n’a pas été invité à rejoindre le Groupe de Minsk, chargé par l'Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE) de s’occuper du conflit du Haut-Karabakh. Une décision surprenante qui a trahi l’hostilité américaine envers l’Iran. Les Etats-Unis ont encouragé en revanche la Turquie à intervenir dans le Caucase du Sud, espérant qu’elle pourra contrer le «fondamentalisme islamique» qu’ils attribuaient à l'Iran. Or, à l'inverse de l'Iran, la Turquie a pris le parti de ses frères azerbaïdjanais et à l'exception d'un bref effort en 2009, elle n'a jamais essayé d'établir de relations diplomatiques avec l'Arménie et a maintenu fermées ses frontières avec l'Arménie en signe de solidarité avec Bakou.
Le dirigeant turc Recep Tayyip Erdogan, devenant progressivement plus autoritaire et nationaliste chez lui, s'est intéressé au développement à l'étranger. Il a utilisé son alliance avec l'Azerbaïdjan pour démontrer la puissance turque dans le Caucase du Sud. Quant à l'Azerbaïdjan, il avait trouvé satisfaction puisque la Turquie soutenait ses offensives militaires », a poursuivi l’analyste, avant d’avertir contre une union Turquie-Azerbaïdjan qui pourrait rendre de plus en plus difficile la réconciliation régionale : « Dès 2010 les responsables azerbaïdjanais ont commencé à opter pour une approche selon laquelle non seulement les combattants actifs dans la zone Nagorno-Karabakh mais aussi tous les Arméniens étaient considérés comme ennemis du « peuple turc ». Ankara, n'a non seulement rien fait pour faire renoncer son allié azerbaïdjanais à de tels verbiages provocateurs, mais aussi il lui a apporté son soutien inconditionnel, allant même jusqu'à l’y encourager manifestement. Nombreux sont les rapports crédibles et dignes de confiance qui affirment le transfert par la Turquie de milices sunnites extrémistes de la Syrie vers le territoire azerbaïdjanais. Ce qui pourrait tout simplement susciter des différends d’ordre confessionnel dans une société pour la plupart chiite. »
Et Eldar Mamedov de conclure : « Il n'est pas facile de dire comment l'histoire du Caucase du Sud aurait pu être façonnée si les États-Unis avaient fait des choix différents il y a 30 ans. Ce qui est certain c'est que les priorités de Washington dans la région n'ont pas conduit à une plus grande paix et stabilité. »