Alors que le commandant en chef de l'US Army se trouvait encore en Irak sur la base américaine Aïn al-Assad à haranguer les troupes US, deux incidents se sont produits jeudi et vendredi, à Najaf, haut lieu du chiisme duodécimal : le consulat iranien a été incendié suivi quelques heures plus tard d'un autre incendie visant cette fois, un lieu hautement sacré du chiisme à savoir le mausolée de l'un des proches du douzième imam ou l'imam occulte (que Dieu hâte sa venue).
Pour une Arabie saoudite dont l'ambassadeur en Jordanie avait promis dès jeudi et en réaction à l'attaque contre le consulat iranien à Najaf, "en faire voir de toutes les couleurs à l'Iran", c'est de loin une petite victoire surtout que vendredi après midi, le Premier ministre Adel al-Mahdi, l'homme par qui sont venus les premiers déboires de l'Amérique en Irak post invasion (2003), a pris de court le monde en présentant sa démission. L'axe de la Résistance que les USA et leurs nervis projettent la "décomposition", par scénario de guerre soft anti-Liban, anti-Irak interposés, vient-il de remporter là une première manche? Rien n'est moins sûr.
Dans sa lettre, le Premier ministre irakien Adel Abdel al-Mahdi annonce qu'il présentera sa démission au Parlement pour permettre aux "législateurs de choisir un nouveau gouvernement", au bout de deux mois de protestations sanglantes. Il dit aussi avoir agi de la sorte pour prêter l'oreille aux directives de la Marjaïa (Ayatollah Sistani) qui a appelé vendredi le Parlement à revoir sa politique et à éviter que "la dictature sanguinaire ne s'infiltre à nouveau en Irak".
« J'ai écouté avec beaucoup d’attention le sermon de ce vendredi 29 novembre du grand ayatollah Ali Sistani et j’ai décidé de présenter ma démission en réponse à son appel et afin de faciliter et accélérer son exécution le plus rapidement possible », a-t-il dit dans sa lettre de démission.
Mais pourquoi Abdel Mahdi démissionne?
Ce samedi, on s'attend à ce que le cabinet Mahdi présente sa démission, ce qui selon Ali al-Tamimi, juriste irakien cité par Fars, est inclus dans la Constitution irakienne : " Tous les membres du gouvernement, quelle que soit leur couleur politique, sont en demeure de présenter leur démission après quoi l'actuel gouvernement sera chargé de s'acquitter pendant un mois et pour un mandat non renouvelable, des affaires courantes. Que fera le président? Selon la Constitution, le président irakien devra trouver un candidat dans les rangs de la seconde fraction majoritaire au Parlement et en faire son Premier ministre. Or, cette seconde force politique au Parlement est issue des Hachd al-Chaabi. Il s'agit de la coalition al-Fath de Hadi al-Ameri".
Après les incidents de jeudi et de vendredi, les Hachd al-Chaabi, qui se sont bien gardés depuis le début des troubles en Irak à l'écart des événements sont officiellement en scène et ont pris la charge de la sécurité des lieux saints de Najaf et surtout celle du domicile de l'Ayatollah Sistani. Pour les Hachd al-Chaabi il est sûr et certain que les "daechistes déguisés en manifestants" n'hésiteraient pas à agir contre la sacralité des lieux saints d'où la nécessité de prendre le contrôle sécuritaire de la situation. Le contrôle sécuritaire de toutes les 18 provinces irakiennes est entre les mains de la Résistance irakienne et Najaf n'échappe pas à la règle. D'ailleurs, l'une des principales flèches pointées par les Américains sur Adel al-Mahdi a été cette même omniprésence militaire des Hachd dans leurs bases éparpillées à travers tout le territoire. Alors si les États-Unis croient pouvoir faire un coup d'État militaire en poussant le PM vers la porte, ils se trompent lourdement. Pour certains observateurs, la démission de Mahdi rend les choses nettement plus compliquées pour les Américains: car de deux choses l'une : ou bien le futur PM sera, comme le veut la Constitution, issu des Hachd, ce qui est la quintessence des craintes US/Riyad/Israël, ou alors ce sera au président kurde de gérer les affaires, ce que les ailes les plus antiaméricaines de la société à savoir les Sadristes ne toléreront pas longtemps. L'annonce de la nouvelle de la démission de Mahdi a été d'ailleurs accueillie de façon très particulière par des tirs de roquettes contre la zone verte ce samedi, non loin de l'ambassade US.
Alors que le vendredi 29 novembre, le chef du Parlement Mohamed al-Halbousi avait menacé de démissionner, ce samedi matin, il a tout intérêt à revenir sur sa décision et même à inviter les députés à rejeter la démission de Mahdi. "Il est tout de même extraordinaire de voir la Résistance jouer pour chaque carte US une contre-carte. Dans une perspective plus globale, chaque pas des Américains les enfonce davantage dans l'impasse, estime l'observateur Hadi Mohammadi. "Avec cette décision, le processus de nettoyage anti-US entre dans une nouvelle phase. Mahdi donne un nouveau souffle à ce grand processus de réforme. Les jours à venir seront décidément trop difficiles pour les Américains qui ont commencé un jeu très dangereux.