Toute action militaire turque en Syrie aurait besoin, pour réussir, d’une supériorité aérienne vitale, estime l’expert turc des affaires militaires et politiques, Metin Gurcan.
Dans un article publié le 2 janvier, le chroniqueur d’Al-Monitor, ancien conseiller militaire turc en Afghanistan, en Asie centrale et en Irak (de 2002 à 2008), met l’accent sur l’importance de la supériorité aérienne pour la réussite de toute action militaire turque en Syrie :
« Si vous me demandiez quelle était la leçon la plus importante que la Turquie a tirée de ses deux opérations majeures en Syrie (Bouclier de l’Euphrate et Branche d’Olivier), ma réponse est sans équivoque : N’entrez pas en Syrie à moins que vous soyez sûr de votre supériorité aérienne. »
Metin Gurcan souligne que la Turquie est bien consciente du fait qu’une opération militaire dans le nord-est de la Syrie (de sorte que les soldats turcs maintiennent leur position et soient capables d’avancer) nécessiterait, de temps à autre, d’ouvrir l’espace aérien syrien aux avions turcs.
Dans ce sens, M. Gurcan souligne que la coordination avec Moscou pour utiliser l’espace aérien syrien est un élément clé. Il donne l’exemple de la bataille d’Afrin lorsque la Turquie a entamé le 20 janvier 2018 son opération baptisée « Rameau d’Olivier » :
« Au cours de l’opération Rameau d’Olivier, Ankara a bénéficié d’un soutien substantiel de la Russie quant à l’usage de l’espace aérien de la Syrie. Cependant, Moscou a pu contrôler et réguler le rythme des opérations turques en fermant de temps en temps l’espace aérien syrien aux forces aériennes turques. Par exemple, la fermeture par Moscou de l’espace aérien d’Afrin aux avions turcs du 18 au 24 mars a permis aux éléments kurdes des Unités de protection du peuple (YPG) de se retirer d’Afrin vers Tel Rifaat, sans être pris pour cibles par l’aviation turque. »
Par conséquent, Moscou peut autoriser ou non, Ankara à utiliser l’espace aérien de la Syrie, et cela permet à la Russie de définir le rythme et la durée des opérations militaires turques en Syrie.
L’auteur rappelle ensuite la visite à Moscou d’une importante délégation des ministères turcs des Affaires étrangères et de la Défense, le 29 décembre. L’ordre du jour des rencontres de la délégation turque avec les autorités russes n’a pas été annoncé par la presse, mais les déclarations tenues après la réunion laissent croire que la partie turque essayait de persuader Moscou de permettre à la Turquie d’utiliser l’espace aérien syrien en échange d'un refus d'Ankara de bombarder les Kurdes. Mais la réponse russe ne semble pas avoir satisfait pleinement Ankara.
La délégation russe était composée de plusieurs personnes : le ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov, le ministre de la Défense Sergueï Choïgou, le chef d’état-major Valéri Guérassimov, l’envoyé spécial du président russe pour la Syrie Alexandre Lavrentiev et le conseiller du président russe Youri Ouchakov. Cette composition "militaire" de la partie russe avait un message particulier à adresser à Ankara : pour faire reculer la Turquie, Moscou pourrait recourir à la force.
Metin Gurcan écrit: « Après la décision surprise du président américain Donald Trump de retirer ses troupes de Syrie, la situation change dans le ciel syrien. Ce qui est évident, c’est que l’armée de l’air américaine n’aura plus la même domination sur le nord-est de la Syrie. Qui sera le nouveau patron alors ? Sans aucun doute, la Russie. »
Et d’ajouter :
« Ankara, de par son expérience en Syrie, sait que Moscou ne rigole pas. La Turquie sait très bien qu’après avoir abattu un Su-24 russe par un F-16 turc, le 25 novembre 2015, à quel point une confrontation turco-russe dans l’espace aérien syrien peut être sérieuse. De plus, les Turcs n’ont pas oublié que quatre soldats turcs ont été tués à al-Bab, en Syrie, par une bombe larguée par des avions de guerre russes. »
Ankara demandera également une coordination avec les forces russes afin de persuader les forces d’Assad d’éviter de prendre pour cible des avions et des hélicoptères turcs. En effet, au cours de la troisième semaine de décembre, des sources locales ont laissé entendre que l’armée syrienne pourrait déclarer, sans même demander le feu vert de la Russie, une zone d’exclusion aérienne à la demande des forces kurdes des YPG dans le nord-est de la Syrie où Damas pourrait installer ses missiles antiaériens S-200 et S-300.
En tout état de cause, la Turquie oserait-elle utiliser l’espace aérien du nord-est de la Syrie malgré l’opposition de Moscou ? La réponse de Metin Gurcan est négative : « Non. Si Ankara avait envisagé une opération aérienne malgré l’opposition russe, la délégation turque ne se serait pas rendue à Moscou le 29 décembre. »