Entre l’illusion de rétablir l’Empire ottoman et la réalité des évolutions du jour, la Turquie saura-t-elle profiter de sa dernière chance de jouer un rôle positif en Syrie ?
Le site d’information Réseau international a publié une analyste d’un expert libanais des questions politiques et internationales. D’après l’analyste libanais Amin Hoteit, la Turquie joue désormais un rôle important dans le déroulement des événements à Idlib, en ce sens que l’attitude de la Turquie pourrait désormais s’avérer décisive dans le processus de reprise de la région d’Idlib aux terroristes. En fait, il s’agit d’une superficie de plus de 10 000 km², presque équivalente à celle du Liban, rappelle l’expert politique libanais.
Idlib est une région où la présence de près de 65 000 hommes armés empêche le gouvernement légitime syrien d’exercer sa souveraineté et de protéger les civils qui doivent pouvoir bénéficier de leurs droits en tant que citoyens syriens, rappelle Amin Hoteit.
Le général libanais reconnaît quand même à Ankara un double rôle dans le déroulement des évolutions dans la province d’Idlib dans le Nord-Ouest syrien.
La Turquie pourrait y assumer un rôle positif, de façon à permettre à l’armée syrienne de gagner du temps et de réduire les pertes et les dégâts au cours de l’opération de libération d’Idlib. Mais le rôle de la Turquie peut aussi se concevoir d’une autre manière. Elle pourrait aussi jouer un rôle négatif en inversant la tendance et en prolongeant ainsi la durée de la bataille ; ce qui risque, par contre, d’augmenter les coûts et les pertes à Idlib.
Mais au final, quel rôle jouera la Turquie ?
D’après l’analyste libanais, pour répondre à cette question, il faut se rappeler les principaux motifs et objectifs qui ont conduit la Turquie à se lancer dans une agression, selon lui criminelle, contre la Syrie.
Le général à la retraite libanais estime que les ambitions turques en rapport avec la guerre en Syrie ne sont pas restées les mêmes pendant ces dernières années.
Depuis 2011, l’action de la Turquie était motivée par son rêve de rétablir l’Empire ottoman, qui s’étendait de l’Algérie à la Syrie en passant par la Libye, l’Égypte, une partie de la Palestine et la Jordanie. Aujourd’hui, elle se borne à trois principaux objectifs en Syrie.
Et c’est ainsi que l’analyste politique libanais les explique :
« Le premier objectif est de nature stratégique et à caractère défensif ; il comporte deux volets :
Le premier volet concerne les Kurdes. La Turquie cherche à empêcher les Kurdes d’implanter une entité autonome dans le nord de la Syrie, de peur que celle-ci n’ait un impact sur l’intégrité du territoire turc. Environ 15 millions de Kurdes habitent en Turquie et ils représentent ainsi 15 % de la population du pays.
Le second concerne la sphère stratégique vitale de la Turquie qui se manifeste notamment à travers sa rivalité avec l’Iran et l’Arabie saoudite. Sortir les mains vides de Syrie équivaudrait, pour la Turquie, à une réduction de son espace stratégique à ses frontières nationales. La Turquie refuse cette perspective et s’efforce de l’empêcher par tous les moyens. »
L’analyste libanais explique par la suite le deuxième objectif principal d’Ankara en Syrie :
« Le deuxième objectif est de nature politico-stratégique et vise à garantir aux Frères musulmans une présence substantielle au sein du pouvoir en Syrie par l’une des deux manières suivantes :
– Obtenir un tiers des portefeuilles ministériels et des sièges à l’Assemblée du peuple ;
– Obtenir le pouvoir dans la région du Nord-Ouest syrien dans le cadre du fédéralisme désiré par l’Occident ou d’une décentralisation élargie qui conviendrait aux objectifs turcs. »
Le troisième objectif principal de la Turquie en rapport avec la Syrie est, selon l’expert politique libanais, de nature économique et commerciale, avec un niveau élevé d’exportation des produits turcs vers la Syrie, sans oublier les affaires relatives au pétrole et au gaz.
« La Turquie veut mettre la main sur l’économie syrienne pour l’empêcher de la concurrencer, faisant de la Syrie un énorme marché des produits turcs et une artère pour les orienter vers les marchés du monde arabe en général et vers les pays du golfe Persique en particulier. »
Du point de vue de l’expert libanais, ces objectifs comptent énormément pour la Turquie, ce qui explique qu’elle fasse preuve d’intransigeance lors des sommets internationaux consacrés à l’affaire syrienne.
« C’est pour ces raisons que la Turquie se montre intransigeante sur la question d’Idlib et fait tout pour entraver le processus de sa libération par l’armée arabe syrienne.
C’est également pour ces raisons qu’elle a parlementé à Téhéran lors du sommet tripartite des parrains des accords d’Astana, lorsque, après avoir essuyé un refus pour l’annulation de la libération, elle a essayé d’imposer une trêve de six mois pour démanteler les groupes armés, en fonction de la manière dont elle les classe dans la catégorie des terroristes et des non-terroristes.
Une fois sa demande rejetée, la Turquie a de nouveau plaidé pour la relance des dispositifs de désescalade qu’elle-même et les groupes armés qu’elle soutient avaient initialement violés et abandonnés.
À Téhéran, il était clair que la Turquie n’était pas parvenue à empêcher la libération d’Idlib, mais elle pensait avoir obtenu quelques jours de répit avant le début de l’opération, ou du moins l’avoir retardée de deux semaines, dans l’espoir que le sommet de Sotchi entre Poutine et Erdogan lui fournirait une occasion de réaliser ses aspirations et se réserver un rôle de choix dans la région qui lui permettrait de parvenir aux objectifs susmentionnés. »
Et l’on a constaté que le 17 septembre à Sochi, le président russe a insisté sur la nécessité d’éradiquer le terrorisme à Idlib, quelles que soient les circonstances, et a dit qu’il comptait sur un rôle positif de la Turquie dans ce sens.
Et la Syrie, finira-t-elle par faire des concessions à la Turquie ?
Le général libanais à la retraite y répond par la négative. La Syrie, allié de l’axe de la Résistance et épaulée par la Russie, ne peut souffrir un compromis avec la Turquie, pays avec lequel elle partage seulement le premier volet du premier objectif susmentionné, parce qu’il rentre dans les intérêts nationaux de la Syrie.
« Quant aux deux autres objectifs, la Syrie ne peut renoncer à ses droits souverains, ni à son indépendance, ni à aucun de ses intérêts économiques. Dans cette perspective, le peuple syrien est libre de choisir ses représentants et l’État doit protéger les intérêts économiques du peuple dans un contexte de coopération et de coordination profitables à tous les partenaires, dans une relation d’égal à égal et sans favoritisme », précise Amin Htaite.
Vu ses faits qui ne correspondent pas forcément aux objectifs de la Turquie, l’expert constate le désarroi dans lequel se trouve la Turquie concernant la Syrie :
« D’un côté, la Turquie fait partie du processus d’Astana, ce qui l’oblige à respecter la souveraineté, l’unité et l’indépendance de la Syrie et l’oblige à étouffer ses aspirations, et de l’autre, elle ne peut se résoudre à renoncer à ses ambitions et ses buts multiples, ce qui pourrait la conduire à affronter toute partie cherchant à la mettre sur la touche. »
À cet égard, Hoteit affirme ne pas s’attendre à « une position volontariste et spontanée de la Turquie qui contribuerait à résoudre la question d’Idlib d’une manière qui soit compatible avec l’unité, l’indépendance et la souveraineté de la Syrie sur tout son territoire, sans terrorisme ni occupation ».
Il est donc judicieux, selon lui, de traiter la position de la Turquie à la lumière de ses objectifs et des réalités qui s’imposent, sans manquer de s’opposer à ces objectifs à travers des efforts conjoints ; autrement dit, une force combinée. Et la force combinée à laquelle il fait référence consiste en « l’intensification des efforts militaires sur le terrain, de telle sorte que la Turquie juge qu’un affrontement militaire lui serait préjudiciable, quels que soient les méthodes d’intervention qu’elle invente et les masques dont elle s’affuble ».
L’analyste libanais insiste aussi sur le rôle des forces de sécurité et de renseignement qui devraient, selon lui, convaincre les insurgés, les Syriens en particulier, que leur retour dans le giron de l’État est seul à même d’assurer leur avenir.
À ce propos, Hoteit rappelle « l’habileté syrienne à parvenir à se réconcilier et à conclure des règlements avec les insurgés armés, ainsi que la force politique et diplomatique dont disposent la Russie et à l’Iran pour faire pression sur la Turquie et obtenir son appui au processus de libération d’Idlib en restant pour le moins neutre, voire en participant d’une manière positive.
C’est cela qui explique, selon l’expert libanais, la grande importance de la récente rencontre Poutine-Erdogan. La rencontre qui a eu lieu entre les dirigeants russe et turc à Sotchi, constituait, selon le général libanais à la retraite, la dernière chance avant le lancement des opérations de libération d’Idlib ; ce processus que la Syrie et ses alliés ne peuvent ni compromettre ni abandonner, car cela détruirait dans une large mesure les acquis réalisés durant la guerre menée par la Syrie pour se défendre contre les agressions dont elle est la cible.