Les cours de brut stabilisés et la guerre évitée… L’accord sur le nucléaire iranien (ou PGAC) fonctionnait bien et Washington ne pourra pas le remplacer par une meilleure version.
Dans un article publié le mardi 14 août sur le site du magazine américain The National Interest, Lawrence J. Korb, expert au think tank américain Center for American Progress (CAP), passe au crible les cinq raisons pour lesquelles les importateurs du pétrole iranien ne veulent pas se soumettre aux sanctions de Donald Trump.
« Il n’est pas étonnant que le retrait précipité de l’administration Trump de l’accord sur le nucléaire iranien ait suscité l'ire de cinq autres de ses signataires et de plusieurs autres pays qui en bénéficiaient. Ce sérieux désaccord s'est amplifié avec la décision du président américain de rétablir les sanctions que l’administration Obama avait annulées contre l'Iran après la signature du PGAC.
Le premier paquet de sanctions a été mis en vigueur le 7 août 2018. Le deuxième, plus draconien, sera mis en place le 4 novembre et interdira toutes les exportations de pétrole iranien vers les autres pays. Ce dernier paquet est vivement rejeté par les différentes parties pour les cinq raisons suivantes:
Premièrement, le Plan global d'action commun (PGAC) fonctionnait beaucoup mieux que tout autre accord multinational. Selon onze rapports de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) qui a mené les inspections les plus sévères jamais imposées à un pays, l’Iran a respecté à la fois l’esprit et la lettre de l’accord et son programme nucléaire est exclusivement pacifique.
Depuis la signature de l'accord en 2015, Téhéran a également accepté de modifier son réacteur à eau lourde d'Arak, sous le contrôle de la communauté internationale, de manière à rendre impossible la production de plutonium à usage militaire dans cette installation. Il a réduit de 98% son stock d'uranium enrichi et de 13 000 le nombre de ses centrifugeuses.
Deuxièmement, l’Iran a augmenté ses exportations de pétrole d’environ d'un million à près de 3 millions de barils par jour. C’est grâce à cette hausse d’exportation que le prix mondial du pétrole est resté nettement inférieur à celui des années 2011 et 2012 où il avait dépassé les 100 dollars le baril. La réimposition des sanctions par les États-Unis fera grimper les prix du pétrole et risquerait même d’aboutir à une nouvelle période de récession sur le plan mondial, similaire à celle qui est survenue il y a dix ans.
Troisièmement, le PGAC a permis au gouvernement iranien du président Rohani de se faire réélire parce que l’accord permettait de booster l’économie iranienne.
Avant le retrait par Donald Trump de l’accord nucléaire, l’économie iranienne aurait dû connaître une croissance de 4,3% d'ici 2019. Or, cette croissance n'a pas dépassé les 1,8%.
Quatrièmement, la signature du PGAC a empêché une course aux armements nucléaires, voire une guerre au Moyen-Orient. Si l’Iran avait développé ses capacités nucléaires, les pays comme l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis auraient fait la même chose. En outre, Israël envisageait une attaque contre l’Iran.
Cinquièmement, le retrait des États-Unis de l’accord sur le nucléaire et le rétablissement des sanctions anti-iraniennes ne semblent pas reposer sur une stratégie claire ou avoir des objectifs réalistes. Certains des alliés et des rivaux des États-Unis se demandent si le véritable objectif de Washington est de renverser le système en place en Iran.
D’autres estiment que l’administration US espère, comme l’a souligné le secrétaire d’État américain Mike Pompeo, que les sanctions pourront contraindre l’Iran de retourner à la table des négociations, de mettre définitivement fin à ses activités de développement de missiles balistiques, de retirer ses forces du territoire syrien et de mettre fin à son soutien au Hezbollah, au Hamas et aux Houthis au Yémen.
Les alliés de Washington et même ses concurrents stratégiques et ses partenaires potentiels n'apprécient guère les sanctions américaines.
Les cinq autres signataires du PGAC assurent que l'Iran pourra toujours exporter son pétrole et son gaz. La Chine, qui importe 650 000 barils de pétrole iranien par jour, affirme qu’elle ne réduira pas ses achats. La Turquie déclare, quant à elle, vouloir honorer son contrat d’achat de 9,5 milliards de mètres cubes de gaz iranien au cours de la prochaine décennie. L’Inde dont 18% de son pétrole provient de l'Iran, dit vouloir continuer ses importations parce que l’ONU n’a imposé aucune nouvelle sanction à ce propos.
Malgré cette vague de soutien, il y a peu de chances que l'administration Trump change d'avis. Ses sanctions vont évidemment porter préjudice à l’Iran et donneront très probablement lieu à une situation qui ne profitera ni au monde ni aux États-Unis. Elles vont affaiblir les relations entre les États-Unis et leurs principaux alliés européens, comme le Royaume-Uni, la France et l’Allemagne, qui sont déjà préoccupés par le retrait des États-Unis de l'accord de Paris sur le climat et les nouvelles taxes américaines sur l'acier et l'aluminium.
Pourtant, les pays rivaux des États-Unis s'en trouveront plus forts: la Russie, dont l’économie est extrêmement dépendante des exportations de pétrole, profitera de la hausse des prix du brut. La Chine, qui ne dépend pas de système bancaire américain, profitera d’une influence plus renforcée sur l’Iran.
Par ailleurs, le retrait de Washington de l’accord sur le nucléaire rendra plus difficile son partenariat avec l’Inde, qui dépend non seulement de l’Iran pour une grande partie de son pétrole, mais qui a investi 500 millions de dollars pour développer le port de Chabahar au sud de l’Iran, destiné à devenir le pôle de transit entre l'Afghanistan, l'Asie centrale et le corridor de transport international Nord-Sud.
Et finalement, les États-Unis auront plus que jamais du mal à faire avancer le processus de la dénucléarisation de la Corée du Nord.
Le ministre nord-coréen des Affaires étrangères s’est rendu en Iran le jour où les sanctions américaines sont de nouveau entrées en vigueur et le président Rohani lui a dit que l'on ne pouvait pas attendre des États-Unis qu'ils respectent leurs engagements.