La Russie fut le premier pays qui a attribué à Israël l’attaque contre la base aérienne syrienne T4 et le ton dur avec lequel elle a dénoncé l’attaque constitue un sérieux avertissement.
Le quotidien israélien Haaretz a fait paraître, ce mardi 10 avril, un article dont l’auteur examine les conséquences de l’attaque aérienne de l’armée israélienne contre la base syrienne T4, qui a fait plusieurs morts parmi les combattants de la Résistance, dont sept conseillers militaires iraniens.
« Deux jours après que le “feu sacré” de Pâques eut été transmis à Moscou depuis Jérusalem [Qods, NDLR], une autre flamme, beaucoup plus dangereuse, a éclaté entre les deux capitales. Par une série de commentaires sévères, la Russie a fait comprendre à Israël qu’elle n’avait pas l’intention de continuer à agir comme le singe qui ne voit rien et à ignorer les attaques israéliennes contre la Syrie. Moscou a non seulement été le premier à révéler qu’Israël avait attaqué la base syrienne près de Homs. Cette divulgation indique clairement que la Russie n’a pas été avertie avant l’attaque. Cela signifie que la coordination entre Israël et la Russie, qui permettait à l’armée de l’air israélienne d’opérer en Syrie, n’a pas été respectée dans cette affaire.
Bien que la Russie n’ait pas réagi à cette violation flagrante par une menace formelle ou un avertissement autre que d’“exprimer sa préoccupation”, il pourrait y avoir des conséquences pour la coordination militaire continue entre la Russie et Israël, qui est vitale pour ce dernier. La Russie ne s’est pas contentée de condamner l’attaque israélienne contre la Syrie. Elle est allée plus loin en critiquant la politique d’Israël dans les territoires occupés palestiniens.
La Russie a déclaré que l’attitude d’Israël vis-à-vis des Palestiniens est discriminatoire et inacceptable, et qu’Israël utilisait une force disproportionnée contre les civils. Elle a, en effet, fait allusion aux attaques des militaires israéliens contre les manifestants palestiniens à Gaza. Cette réaction de la Russie indique qu’un changement majeur a eu lieu, car bien qu’elle fasse partie du Quartet des puissances mondiales, elle n’y a qu’un simple rôle d’observateur, depuis des années. De plus, elle n’intervient pas dans les négociations diplomatiques entre Israël et les Palestiniens et laisse la direction des affaires aux États-Unis. De manière encore plus importante, une série d’ententes politiques ont été établies entre Jérusalem et Moscou qui ont été favorablement saluées par Tel-Aviv. L’un de ces accords émanait de la déclaration extraordinaire du ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov, prononcée il y a un an. Lavrov avait déclaré que Moscou considérait Jérusalem-Ouest [Qods-ouest, NDLR] comme la capitale d’Israël. Il a même déclaré que le statut de Jérusalem [Qods, NDLR] devrait être déterminé lors des négociations entre Israël et les Palestiniens. Cette déclaration contredisait la position traditionnelle de la Russie selon laquelle Jérusalem [Qods, NDLR] devrait être sous le contrôle international et elle a été prononcée des mois avant la reconnaissance officielle de cette ville comme capitale d’Israël par le président Donald Trump. Alors que la déclaration de Lavrov n’empêchait pas Moscou de dénoncer la décision de Trump, la Russie a réitéré, de nouveau, sa reconnaissance de Jérusalem-Ouest [Qods-ouest, NDLR], lorsque le ministère russe des Affaires étrangères a salué la position intelligente de “Jérusalem-Ouest”, qui ne se laissait pas influencer par l’hystérie antirusse générée par l’affaire Skripal.
Mais la marge de manœuvre politique que la Russie a offerte à Israël dans le dossier palestinien et la coordination militaire entre les deux forces aériennes ne sont pas du tout gratuites. La Russie s’attend à ce qu’Israël agisse en tant qu’allié ayant une bonne conception de ses intérêts sur d’autres fronts, en particulier en Syrie. La Russie n’est pas intéressée par les explications détaillées d’Israël et sur ses préoccupations quant à un éventuel transfert d’armes au Hezbollah via la Syrie. Mais elle aussi, tout comme Israël, agit de sa manière pour freiner l’influence de l’Iran. Par exemple, la Russie empêche partiellement l’Iran d’acquérir des parts de marché en concluant des accords commerciaux. La Russie empêche Téhéran de transgresser les frontières de la zone de sécurité. Elle supervise une série d’accords de cessez-le-feu signés entre le régime syrien et les rebelles, et comme nous l’avons constaté lors du processus de l’évacuation d’Alep, elle est prête à confronter l’Iran quand celui-ci s’ingère dans le processus diplomatique dont elle a la direction.
Cependant, la Russie ne permettra pas à Israël de bouleverser, par des attaques constantes visant les cibles iraniennes et syriennes, l’équilibre délicat qu’elle a établi dans ses relations avec l’Iran ou avec le régime syrien. Bien que la Russie dicte la plupart des évolutions stratégiques, militaires et politiques de la région, elle est incapable de contrôler entièrement les réactions de l’Iran et elle ne peut pas non plus garantir qu’une unité syrienne ne décidera pas de réagir indépendamment à une attaque israélienne. De telles attaques seraient une recette dangereuse pouvant entraîner une escalade militaire et l’ouverture d’un nouveau front contre Israël, ce qui pourrait ainsi pousser les États-Unis à maintenir leur présence en Syrie juste au moment où ils sont sur le point de se désengager et de se retirer de ce front.
Israël a déclaré qu’il empêcherait l’Iran de s’établir en Syrie, mais il n’a pas précisé comment il comptait y parvenir. Israël a-t-il l’intention de mener une série d’attaques contre des bases utilisées par les forces iraniennes ou des miliciens pro-iraniens ou envisage-t-il de saisir les territoires situés sur les hauteurs syriennes du Golan pour créer une zone tampon, tout comme ce qu’a fait la Turquie dans le nord de la Syrie ? Les deux options préoccupent Moscou, qui ne voudra ni ne pourra agir comme garde-frontière d’Israël.
De plus, si Israël essaie de contraindre la Russie d’agir contre l’Iran, mais que celle-ci ne veut pas qu’Israël le fasse, il sera rappelé à l’ordre par Moscou, qui lui fera savoir qui est la superpuissance, et pas seulement sur le front syrien. Le ton sévère qu’a adopté Moscou concernant ce qui s’est passé à Gaza et en Cisjordanie est un message envoyé par la Russie pour signifie que sa patience a des limites.
Contrairement au caractère imprévisible de Donald Trump, le président russe Vladimir Poutine a déjà prouvé qu’il n’hésitait pas à croiser le fer avec d’autres pays, à imposer des sanctions sévères et bien sûr à recourir à la force militaire quand l’exigent les intérêts de la Russie. Israël sait bel et bien qu’en Syrie il n’y a plus de guerre entre les superpuissances et que les États satellites ne peuvent plus suivre la superpuissance de leur préférence. Ce front est désormais contrôlé par une seule superpuissance et toutes les parties qui veulent opérer en Syrie devront respecter les règles édictées par cette superpuissance. »