La tournure que prennent les événements à Afrin semble confirmer l’hypothèse de certains analystes selon qui Erdogan rame foncièrement dans le sens des intérêts des Américains.
Mercredi, à peine quelques heures après le contact téléphonique du président turc avec son homologue américain, la Maison-Blanche a publié un communiqué dans lequel elle affirme s’être concertée avec la Turquie sur la possibilité de créer une « zone tampon » dans le nord de la Syrie. Or c’est paradoxalement dans cette même zone que les Américains veulent créer leur base permanente. Faut-il croire à des tensions US/Turquie ?
Le président turc l’a d’ailleurs reconnu, l’action militaire d’Ankara ne compte pas se réduire à Afrin et irait s’étendre à Manbij voire à Jarablus, des localités situées sur les frontières avec la Turquie. Aux dires des sources proches du renseignement de l’armée syrienne, l’annonce par l’armée turque de la capture de quatre villages dans la périphérie d’Afrin ne devrait pas nous tromper. Malgré cette annonce, il n’y aurait pas eu jusqu’ici de véritables affrontements militaires opposant les milices kurdes des YPG aux forces pro-turques. L’armée turque se contente surtout de frapper les villes. Ce refus d’entrer dans une logique de confrontation de part et d’autre a d’ailleurs renforcé la suspicion des analystes. Pour certains d’entre eux, les Kurdes du YPG rejoueraient là le même scénario qu’ils ont joué, à l’aide des Américains, dans le sud-est de la Syrie, à savoir à Deir ez-Zor, quand ils se sont emparés de la rive est de l’Euphrate, à la faveur d’un retrait sans trop de fracas des terroristes de Daech.
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En dépit de la violence du discours anti-kurde d’Erdogan, les forces pro-Ankara ont refusé jusqu’ici de prendre le contrôle de la ville d’Afrin. Elles semblent avoir limité leur action militaire à une étroite bande frontalière, située dans le nord de la Syrie. Cette bande devrait conduire la Turquie vers cette autre ville kurde qu’est Manbij. Toujours selon des sources liées au renseignement de l’armée syrienne, la bataille turque à Afrin semble terminée, bien que les frappes d’artillerie et aériennes se poursuivent toujours.
Importance de Manbij
Jeudi, Reuters n’a pas hésité à évoquer une possible confrontation militaire entre la Turquie et les USA à Manbij. Est-ce vrai ? De toute l’histoire de l’OTAN, aucun des membres de cette Alliance n’a osé attaquer les États-Unis. Et la Turquie ne fera pas exception à la règle.
Située à 100 kilomètres d’Afrin, dans le nord-est de la Syrie, Manbij abrite en effet quelque 2 000 membres des forces spéciales US. Alors que l’armée syrienne a confirmé le mardi 23 janvier la progression de l’armée turque vers Azaz, à l’est d’Afrin, soit à 32 km au nord-ouest d’Alep, Erdogan, lui, exige que les Kurdes se replient de l’autre côté de l’Euphrate et fassent place nette pour évacuer Manbij. Washington n’a pas réagi à cette avancée. Il n’y aurait donc aucune dissonance USA/Turquie dans cette affaire.
Que fait la Turquie ?
La menace kurde semble avoir fourni au président Erdogan le prétexte nécessaire pour intervenir dans le nord de la Syrie, peut-être pas pour l’occuper définitivement, comme il l’a dit lui-même, mais pour faire place nette en faveur des Américains. Il s’agit surtout pour la Turquie de contrer un retour de l’autorité de l’État syrien dans cette région. L’idée de la zone d’exclusion aérienne si chère à Erdogan tout au long de la guerre contre Damas revient en force, à cette différence près que la Turquie a pu convaincre la Russie de la soutenir.
L’étape supérieure ?
Contrairement aux déclarations des uns et des autres, les Américains ne cherchent vraisemblablement pas à créer un État souverain et indépendant dans le nord de la Syrie, mais plutôt un simili-État, non reconnu comme l’est par exemple le Puntland somalien ou le Kurdistan irakien. Pour les Américains, l’essentiel consiste à pouvoir créer une zone tampon dans le nord, pour pouvoir y construire une base militaire permanente, et Manbij est le meilleur candidat pour cette mission : la concentration de troupes US, la proximité avec le sud de la Turquie et, partant, avec la base d’Incirlik en font un choix idéal. Et M. Erdogan aurait décidé encore une fois de leur servir de catalyseur.