L’expert libanais Fayçal Jalloul revient dans un article publié sur le site d’Al Mayadeen sur le pourquoi de la défaite saoudienne au Yémen ainsi que sur l’impossibilité pour Riyad de mettre fin par voie négociée à la guerre qu’il a déclenchée contre la population yéménite.
Jalloul évoque le triple motif qui a poussé Riyad à engager une action militaire au Yémen :
« En s’attaquant au Yémen, Riyad avait l’intention de donner corps à un pipeline dont il rêvait depuis longtemps et qui irait relier le sol saoudien à la province yéménite d’Hadramout et de là, à l’océan indien. Ce pipeline aurait pu servir largement les intérêts de Riyad en cas de tensions avec l’Iran et le blocage des détroits d’Hormuz et de Bab el-Mandeb. Pour le premier exportateur pétrolier du monde, cela aurait été une aubaine de pouvoir contourner ces deux voies maritimes. Or il n’en est rien : l’Iran maintient le contrôle du détroit d’Hormuz et ses alliés houthis surveillent le transit maritime, via la stratégique courroie qu’est Bab el-Mandeb.
À l’époque de l’ex-président yéménite Saleh, Riyad a tenté de concrétiser le projet en achetant du terrain au Yémen, mais Saleh réclamait des garanties aux Saoudiens pour que le pipeline reste yéménite et non saoudien. Riyad a refusé cette perspective par crainte de voir son voisin du nord s’enrichir du pétrole pompé clandestinement dans ses propres gisements.
Mais ce n’est pas tout. La guerre saoudienne contre le Yémen devait aussi servir Israël ; le général à la retraite saoudien Anouar Eshghi étant l’émissaire saoudien auprès de Tel-Aviv, a d’ailleurs parlé de ce second objectif : En s’attaquant au Yémen, Riyad cherchait à construire un pont reliant le port d’Aden à Djibouti où les USA et la France détiennent des bases militaires. Le Yémen ainsi domestiqué aurait pu permettre à Israël de se connecter à la région hautement stratégique de la Corne de l’Afrique et surtout à son allié africain, l’Éthiopie. Un Aden indépendant aurait placé sous contrôle israélien le détroit de Bab el-Mandeb en vue de redoubler ainsi les capacités portuaires du port stratégique d’Eliat. On se rappelle en effet comment l’ancien président yéménite, Salim Rabi Ali a décidé en octobre 1973 d’interdire tout trafic maritime israélien à Bab el-Mandeb.
Parallèlement, sur le front est, le Kurdistan d’Irak aurait dû, lui aussi, proclamer son indépendance [le projet raté de Brazani, NDLR] et servir de catalyseurs à la normalisation des relations avec Israël au sein du monde arabe et musulman.
Mais la guerre contre le Yémen a eu un autre bénéficiaire, les Émirats qui ambitionnaient de faire du Yémen un nouveau Dubaï et de transformer l’île stratégique de Socotra en une zone de libre-échange.
Un Yémen puissant, riche et doté d’une armée bien organisée n’aurait jamais permis à Riyad et à ses alliés occidentaux de concrétiser ces plans.
Le "Printemps arabe" à Sanaa était destiné en effet à baliser la voie au démembrement du Yémen en six régions semi-indépendantes. La France s’est chargée d’en rédiger les Constitutions [comme dans le cas du Kurdistan irakien, NDLR] tandis que la Grande-Bretagne, elle, s’est donnée comme mission celle de mettre sur pied le pseudo gouvernement de Hadi et d’apaiser toute éventuelle opposition nationale à ce projet.
Or les choses ne sont pas passées comme prévu : alors que le Printemps yéménite exposait le pays au risque d’une mise sous tutelle définitive, les « Houthis » se sont révoltés. Ils se sont refusés à signer « l’accord » qui permettait à Mansour Hadi d’effacer le Yémen de la carte. Les contacts n’ont pas tardé à s’établir entre le Parti du congrès d’Abdallah Saleh et les Houthis, entre-temps mobilisés en un parti portant le nom d’Ansarallah.
Les semaines qui ont suivie ont été particulièrement riches en événements : l’armée yéménite fidèle à Saleh s’est alliée aux Houthis pour avancer de Sadaa vers Aden. Ce fut là que Riyad, incité par ses alliés occidentaux et israéliens, a lancé sa guerre contre le Yémen.
Plus de trois ans après, Ansarallah et Saleh continuent à résister et à contrôler la côte de la Mer Rouge tout comme Bab el-Mandeb, Maarib, Taez et Sanaa. De plus, les unités balistiques du Yémen tirent désormais leurs missiles contre Riyad et bientôt d’autres villes saoudiennes.
Riyad n’a pas réussi son plan : le Yémen n’a pas été morcelé en six pays, Israël et les Émirats n’y ont pas trouvé leur compte, ni les Américains et leurs alliés occidentaux. Mais Riyad va-t-il se déclarer forfait ? Au train où vont les événements en Arabie, il est difficile de voir en Ben Salamane l'homme par qui viendrait " la paix des braves" .