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Le mythe de « l’infiltration » iranienne en Afrique du Nord démystifié

US Rep. Ilhan Omar (D-MN) (L) talks with Speaker of the House Nancy Pelosi (D-CA) during a rally with fellow Democrats before voting on H.R. 1, or the People Act, on the East Steps of the US Capitol on March 08, 2019 in Washington, DC. (AFP photo)

Par Xavier Villar

Au lendemain des accusations sans fondement portées par le Maroc contre l’Algérie, affirmant que le gouvernement algérien facilite « l’infiltration iranienne au Maghreb », il est essentiel de comprendre comment le terme « République islamique » est utilisé, dans certains contextes, pour faire taire et criminaliser des choix politiques spécifiques.

Venons-en directement au discours qui criminalise l’Iran et tous les acteurs politiques qui lui sont associés, que cette association soit réelle ou imaginaire. Ce discours repose sur des fondements épistémiques qui incluent la catégorie de « République islamique » aux côtés d’autres catégories telles que « radical », « islamiste », « extrémiste » ou « terroriste », au sein d’une chaîne d’équivalence.

Au sein de ce discours, le terme « République islamique » est déployé avec l’intention de criminaliser des mouvements, des idées ou des pays qui posent un défi au projet hégémonique occidental.

On peut aussi dire que cet usage discursif sert à diviser la région, en l’occurrence l’Afrique du Nord, en amis et en ennemis, une division politique qui considère certaines pratiques, attitudes et discours comme acceptables et naturels, tandis que d’autres pratiques sont méprisées comme déviantes, ou en dehors de la norme.

D’un point de vue historique, certaines données sont pertinentes pour comprendre la relation politique actuelle entre le Maroc et l’Algérie, ainsi que pour comprendre les articulations discursives qui continuent d’affecter cette relation.

L’Algérie et le Maroc étaient des colonies françaises avant d’accéder à l’indépendance au milieu du XXe siècle. Immédiatement après l’indépendance de l’Algérie en 1962, les deux pays ont eu un différend territorial.

En 1963, la soi-disant « guerre des sables » a éclaté en raison d’un conflit territorial près du Sahara occidental, qui à l’époque était encore sous le contrôle colonial de l’Espagne.

Bien que le Maroc ait cessé de revendiquer des territoires algériens en 1972, l’Algérie a décidé de soutenir l’indépendance du Sahara occidental pour freiner l’expansion marocaine.

C’est précisément la question du Sahara occidental qui a dominé les relations entre les deux pays au cours des XXe et XXIe siècles. L’Espagne a conservé le territoire jusqu’en 1976, date à laquelle la dictature de Francisco Franco a pris fin.

A cette époque, l’Espagne a signé les accords de Madrid avec le Maroc et la Mauritanie, ce qui signifiait la division du territoire sahraoui entre les deux pays signataires. En raison de cet accord, les indigènes sahraouis se sont retrouvés sans État ni capacité à se gouverner eux-mêmes.

Les accords de Madrid ont été largement rejetés par l’Algérie, qui les considérait comme une continuation du colonialisme et une menace pour leur influence en Afrique du Nord. Peu de temps après, l’Algérie a rompu ses relations avec le Maroc et a commencé à fournir des armes et un refuge à l’organisation sahraouie indépendantiste, le Front Polisario.

En 1976, l’Algérie a reconnu la République arabe sahraouie démocratique (RASD), déclarée la même année par le Front Polisario comme l’autorité légitime sur le Sahara occidental.

La guerre qui a suivi entre le Front Polisario et le Maroc a duré jusqu’en 1991 et a été réactivée en 2020, après 30 ans de tensions latentes.

L’année 2020 a également vu le Maroc « normaliser » ses relations avec l’entité sioniste. En échange de cette « normalisation », les États-Unis ont reconnu la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental.

L’entrée de l’entité sioniste en Afrique du Nord n’est pas une mince affaire. L’Algérie est actuellement l’un des pays les plus antisionistes du Maghreb. Les autorités algériennes estiment que les relations politiques et militaires entre le Maroc et l’entité sioniste « mettent la stabilité régionale en danger ».

C’est dans ce contexte que l’on peut trouver l’approche de la République islamique comme une « menace » à la configuration régionale conçue par le Maroc, les États-Unis et les sionistes.

Actuellement, les relations diplomatiques entre la République islamique et le Maroc sont en rupture après que Rabat a rompu toutes les relations diplomatiques avec Téhéran en raison de ce qu’il a appelé le soutien de Téhéran au Front Polisario. Déjà à ce stade initial, on y trouve un discours anti-iranien bien formé et articulé.

Rabat a non seulement critiqué le soutien présumé, mais non prouvé, de l’Iran au Front Polisario, mais a également accusé le mouvement de résistance Hezbollah, décrit par les autorités marocaines comme un « mandataire iranien », d’entraîner et d’armer des membres du groupe indépendantiste sahraoui par l’intermédiaire de l’État algérien.

Le Hezbollah a nié une telle chose dans un communiqué et a accusé le Maroc, pour sa part, d’être sous la pression sioniste et américaine, mais le discours était déjà en circulation. Ce que ce discours cherche, du côté marocain, c’est à délégitimer toute éventuelle critique algérienne de la politique marocaine et/ou de la déstabilisation régionale provoquée par l’entité sioniste.

Et pour y parvenir, le Maroc fait circuler le signifiant « République islamique » comme symbole politique de la menace ultime. Du fait de l’usage de ce discours, tout type de coopération, même imaginaire, avec l’Iran est « contaminée ». Dans ce cas, l’Algérie est considérée comme étant « contaminée » par de prétendus contacts avec l’Iran.

Le discours de la « menace iranienne » n’est pas nouveau et n’a pas été articulé pour la première fois par les autorités marocaines. Il est apparu sous sa forme actuelle en 1979, l’année de la Révolution islamique.

Ce que fait le Maroc, c’est réarticuler et adapter ce discours aux conditions politiques locales. En faisant circuler ce discours anti-iranien, le pays entre de plein fouet dans le clivage entre « mauvais musulman » et « bon musulman ».

Le « bon musulman » renonce à être une option politique alternative basée sur l’islam comme grammaire. Le « bon musulman » est celui qui suit des pratiques et des croyances considérées comme correctes, tandis que le « mauvais musulman » est celui qui viole ces normes et devient un ennemi.

La raison pour laquelle la République islamique d’Iran est présentée comme la plus grande menace politique possible dans ce discours réside dans sa capacité à remettre en question, politiquement, une vision du monde qui, bien que n’étant plus hégémonique, continue d’essayer, par tous les moyens possibles, d’inverser ce processus de décentrement.

C’est la capacité de la République islamique à remettre en cause le discours, le non-respect des normes politiques de l’Occident, qui fait du signifiant « Iran » une menace.

Xavier Villar est docteur en études islamiques et chercheur qui partage son temps entre l’Espagne et l’Iran.

(Les opinions exprimées dans cet article ne reflètent pas nécessairement celles de Press TV.)

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SOURCE: FRENCH PRESS TV