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Les analyses de la rédaction :
Pourquoi l’Afrique doit-il choisir un camp en particulier ?
Courtisé par les différents blocs, le continent africain est un candidat évident à la cour des grandes puissances, mais pourquoi devrait-il choisir son camp ?
Quelque trente ans après la fin de la guerre froide, l’ordre mondial subit une transformation structurelle. La remise en cause de l’hégémonie des États-Unis est au cœur de cette transformation. Ce défi est principalement mené par la Russie, l’Iran et la Chine, qui sont mécontents des excès de Washington sur la scène mondiale. L’exemple le plus récent de cette rébellion a été l’opération militaire russe en Ukraine en 2022. Fiona Hill, spécialiste américano-britannique des affaires étrangères, a observé que la guerre était une « procuration pour une rébellion de la Russie et du “Reste” contre les États-Unis ».
Le continent africain est un prétendant évident pour attirer les grandes puissances dans le cadre de ce réalignement. Et ce, pour au moins quatre raisons.
Premièrement, il s’agit du plus grand bloc régional aux Nations unies, représentant quelque 28 % de l’ensemble des votes à l’Assemblée générale. Deuxièmement, il possède des minéraux bruts essentiels que l’on ne trouve que sur le continent. Troisièmement, il possède d’importantes routes commerciales maritimes, en particulier en Afrique de l’Est. Enfin, le continent abrite la population jeune qui connaît la croissance la plus rapide, et représentera environ 42 % de la jeunesse mondiale d’ici 2030.
Le poids de l’Afrique à l’Assemblée générale des Nations unies ne saurait être surestimé. Le continent a parfois du mal à réagir de manière coordonnée. Néanmoins, par le passé, il a été en mesure de voter de manière synchronisée, ce qui a été déterminant. L’exemple le plus marquant est le vote de 1971 pour la résolution qui a fait entrer la Chine continentale à l’ONU et a remplacé Taïwan. Au total, 76 voix se sont exprimées en faveur de cette résolution, dont 27 émanaient d’États membres africains.
Dans l’ONU d’aujourd’hui, le fait d’avoir ce grand groupe de pays de son côté est d’un grand apport lorsqu’il s’agit d’adopter – ou de rejeter – des résolutions. Le Conseil de sécurité des Nations unies étant dans l’impasse en raison du droit de veto des cinq membres permanents (Chine, France, Russie, Royaume-Uni et États-Unis), l’Assemblée générale des Nations unies, qui fonctionne selon le principe « un membre, un vote », a pris le relais. Les votes de l’Assemblée générale sont principalement symboliques. Mais ils constituent un indicateur utile de la position de la communauté internationale et constituent une arme morale puissante pour toute grande puissance.
L’autre attrait majeur de l’Afrique est, bien sûr, sa richesse en ressources. Cette richesse devient de plus déterminante et revêt une importance extraordinaire dans l’évolution vers des sources d’énergie alternatives, renouvelables et non renouvelables et dans le contexte de fabrication des produits issus de l’innovation technologique, comme le cobalt de la République démocratique du Congo, nécessaire à la fabrication d’écrans d’appareils, entre autres. La RDC est le premier producteur mondial de ce minéral crucial.
Parallèlement, les réserves pétrolières de l’Algérie, de l’Angola et du Nigeria deviendront de plus en plus importantes alors que les pays cherchent à diversifier leur approvisionnement en gaz naturel par rapport à la Russie et aux combustibles fossiles.
Il y a ensuite les routes commerciales. La route de la mer Rouge, qui chevauche l’Afrique du Nord-Est et la relie à l’océan Indien, représente 10 % du commerce mondial annuel.
La route de la mer Rouge passe par des pays tels que l’Érythrée et la Somalie. Ces deux pays se sont principalement tournés vers la Russie.
Pour sa part, la Chine a choisi cette route dans le cadre de son initiative Route de la soie maritime. Son objectif est de renforcer les infrastructures portuaires des pays riverains de l’océan Indien.
Enfin, c’est en Afrique que la croissance de la population jeune est la plus rapide. Elle jouera un rôle important dans la recherche de futurs marchés, en particulier dans des secteurs tels que la technologie et l’éducation.
Les États-Unis et l’Europe sont également désireux d’exploiter cette capacité humaine, car leurs propres populations vieillissent plus vite que la moyenne mondiale. Beaucoup se tournent vers l’Afrique comme source de flux migratoires entrants.
Des recherches récentes, sur la concurrence commerciale entre les États-Unis et la Chine sur l’Afrique, montrent que l’idée dominante selon laquelle les petits pays doivent « choisir leur camp » dans des contextes mondiaux polarisés est erronée. L’Afrique est mieux servie lorsqu’elle fait du commerce avec autant de partenaires que possible.
En effet, comme nous l’avons vu, les principaux concurrents réalisent eux-mêmes des échanges commerciaux records entre eux.
Le continent peut donc se permettre d’être neutre. Ce qu’il ne peut pas se permettre, c’est de choisir un camp et d’exclure tout partenariat. Dans l’ordre multipolaire qui s’annonce, il n’y a pas de nécessité évidente, spécifique à l’Afrique, de choisir un camp. Toutes les options peuvent être mises sur la table.
L’Afrique devient une fondation pour un nouvel ordre mondial
Peu en Eurasie ou en Amérique s’intéressent au sort et à l’histoire du continent africain. En même temps, c’est sur le continent noir qu’en août 2023 se sont produits des évènements qui pourraient avoir des conséquences pour l’ordre politique mondial dans les décennies à venir, voire les siècles.
Un sommet des Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) s’est tenu en Afrique du Sud, au cours duquel une décision a été prise concernant l’élargissement du groupe. Les sceptiques estiment que les décisions prises lors de ce sommet n’auront pas d’implications mondiales majeures. Leur principal argument est que les Brics se positionnent comme une union économique plutôt que politique, ce qui signifie que cette organisation ne pourra pas apporter de changements significatifs à la carte géopolitique mondiale.
Cependant, la géoéconomie et la géopolitique sont comme des jumeaux siamois qu’on ne peut pas séparer. Les outils politiques sont utilisés pour atteindre des objectifs économiques, et l’argent, à son tour, sert de moyen pour obtenir des résultats politiques. Et l’Occident l’a bien compris. Ainsi, le journal allemand Berliner Zeitung écrit que l’expansion des Brics a été une défaite personnelle pour Ursula von der Leyen et Josep Borrell. On pourrait se demander en quoi cela concerne les bureaucrates européens. Tous les deux plaident pour le maintien des prétendues règles de la politique et de l’économie internationales, mais en réalité, ils soutiennent le maintien de la position dominante des États-Unis dans le monde. À cet égard, ils sont bien plus des serviteurs de Washington que des responsables à Bruxelles. De plus, M. Borrell est connu pour sa déclaration raciste selon laquelle « l’Europe est un jardin, et le reste du monde est comme une jungle ». Et maintenant, ces « jungles » se regroupent en une alliance mondiale qui pourrait mettre fin à l’hégémonie des États-Unis et de leurs satellites de l’UE dans le monde.
Actuellement, il y a une situation de pré-guerre en Afrique, avec la formation de coalitions opposées dans la partie occidentale du continent. Au Niger, le président pro-français, Mohamed Bazoum, a été renversé par des officiers, ce qui n’a pas plu à Paris. Maintenant, plusieurs pays de la région qui font partie de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) prévoient d’envahir le pays pour ramener Bazoum au pouvoir. Dans ce contexte, le Burkina Faso et le Mali ont déclaré qu’ils étaient prêts à envoyer leurs armées pour défendre le Niger en cas d’invasion.
Les sceptiques pourraient objecter que les renversements et les guerres se produisent constamment en Afrique, sans que cela n’ait d’impact sur d’autres continents. Cependant, la confrontation en Afrique de l’Ouest revêt une dimension géopolitique marquée. Le Niger, le Burkina Faso et le Mali forment une coalition anti-occidentale. Les préférences politiques de ces pays sont très claires : par exemple, le Niger a décidé d’expulser les ambassadeurs de France, des États-Unis et d’Allemagne. Rappelons également que la sous-secrétaire d’État américaine Victoria Nuland s’est rendue au Niger et y a rencontré les militaires au pouvoir. Selon les rumeurs répandues dans les médias, elle leur aurait proposé un accord : la France se retire du Niger, mais l’influence française est remplacée par l’influence américaine. Les militaires ont refusé, montrant ainsi que leur action est non seulement dirigée contre la France, mais également contre l’Occident dans son ensemble et contre le colonialisme. Si un conflit armé éclate en Afrique de l’Ouest, il pourrait être considéré comme un front chaud contre la domination occidentale dans le monde.
En quoi le sommet des Brics et les événements au Niger pourraient-ils influencer l’avenir de l’ordre politique mondial ? L’influence américaine sur les processus mondiaux ne peut pas disparaître en un instant. Bien qu’elle ne soit plus aussi prédominante qu’il y a 30 ans, lorsque les processus mondiaux importants ne pouvaient avoir lieu sans l’aval des États-Unis. Si un dirigeant osait agir différemment de ce que Washington souhaitait, son pays et lui-même étaient sévèrement punis. Comme en témoignent le sort de Slobodan Milosevic et par conséquent que de la Yougoslavie.
Bien sûr, dans certains aspects, les dirigeants mondiaux et d’organisations internationales doivent encore tenir compte de Washington. La présidente de la Banque des Brics Dilma Rousseff a déclaré que bien qu’elle remplisse ses obligations envers tous les fondateurs, y compris la Russie, elle ne peut pas aider la Russie à faire face aux sanctions occidentales par crainte que la banque elle-même ne devienne la cible de sanctions des États-Unis et de l’Europe. Elle a déclaré : « On ne peut pas nier que le système financier international existe... Il faut vivre avec. »
Ce que Rousseff appelle le système financier international est en fait le système financier anglo-américain, créé par les élites économiques et les gouvernements britanniques et américains et contrôlés en conséquence par eux. L’une des tâches des Brics est de créer une alternative à ce système. Une structure d’institutions financières, de règles de fonctionnement et de mécanismes de paiement qui pourraient fonctionner en dehors du système anglo-américain. Plus il y aura de pays impliqués dans ce système alternatif, moins le dollar sera utilisé dans le commerce mondial et plus les États-Unis et leurs satellites européens seront affaiblis.
Si les pays de la Cédéao, avec l’aide de la France et des États-Unis, ne parviennent pas rapidement à vaincre le Niger et ses alliés, et que la guerre se prolonge, il est très probable que des renversements de gouvernements pro-français commenceront également dans les pays actuellement membres de la coalition pro-occidentale. Et si les armées de la coalition anti-occidentale parviennent à infliger des défaites sérieuses aux forces ennemies lors de batailles importantes, « l’épidémie » anticoloniale pourrait se répandre dans toute l’Afrique de l’Ouest, comme un virus. Cela causerait des dommages économiques sensibles à la France, aux États-Unis et à l’UE, et encore plus de dommages politiques. Après tout, les pays dans d’autres régions du monde qui sont en semi-dépendance coloniale vis-à-vis de l’Occident verront qu’il est possible de lutter contre la domination de Washington, de Londres et de Paris.
Gabon : coup d’État colonial ou anti-impérialiste ?
La question qui revient de plus en plus c’est : est-ce que le Gabon va rejoindre le bloc anti-impérialiste et souverainiste du Mali-Burkina-Niger ?
Pour l’instant, il serait trop tôt pour porter un avis sur la question, mais les évènements semblent montrer que le coup d’État au Gabon ne ressemble pas au coup de force qui a eu lieu au Mali, au Burkina et au Niger.
Les coups de force dans les pays du Sahel continuent d’affaiblir la France et les États-Unis en Afrique de l’Ouest, et le langage des médias propagandistes français le prouve, simplement en victimisant les ex-présidents déchus. Ce qui est différent concernant le Gabon. Les médias propagandistes se montrent plutôt compréhensifs et se rangent du côté de la population gabonaise. Ce qui est mauvais signe.
De plus, les médias comme RFI et France 24, dont la diffusion était interrompue au Gabon, sont maintenant rétablis, malgré que les populations en Afrique savent pertinemment que ces médias sont là pour maintenir la propagande du néocolonialisme français, européen et américain sur le continent africain. De plus, les médias français ont pris l’habitude de surnommer les militaires au pouvoir de « junte militaire ». Terme qui n’a toujours pas été employé concernant les militaires au Gabon. Ils utilisent plutôt le terme de « militaire putschiste ».
Les réactions de la Communauté internationale sont également intéressantes à analyser. Le premier à avoir montré une indignation vis-à-vis de ce coup d’État, c’est la Chine, qui est le premier partenaire commercial du Gabon devant la France.
Il est important de rappeler tout de même que ces dernières années, les relations entre le Gabon et les multinationales françaises se sont dégradées. Prenons l’exemple de la SEEG qui est une filiale de la société française Veolia. Au mois de juin dernier, députés et sénateurs avaient choisi de suivre le gouvernement dont le souhait est de libéraliser le secteur de l’eau et de l’électricité gérés jusqu’à lors par la seule Société d’énergie et d’eau du Gabon (SEEG) filiale du groupe français Veolia. Deux projets de loi relatifs y ont été adoptés à l’Assemblée nationale et au Sénat à 24 heures d’intervalle. Et c’est un exemple parmi tant d’autres.
Aux dernières nouvelles – d’après l’Ambassade de France – 81 entreprises françaises opèrent au Gabon pour un chiffre d’affaires global de près de 3 milliards d’euros.
Rappelons également que le président français était au Gabon en mars dernier pour prendre part au sommet sur la protection des forêts tropicales. Pourtant, en regardant bien Emmanuel Macron et Ali Bongo côte à côte, on peut constater un certain « froid » entre les deux personnages.
Pourtant, ce qui avait surtout fait les gros titres dans les médias propagandistes français c’est le dîner fastueux entre les deux hommes. En pleine période pré-électorale cet affichage avec Emmanuel Macron pouvait être perçu par l’opinion publique gabonaise que comme un soutien indéfectible de la France à Ali Bongo.
L’opposition avait accusé Macron d’ » adouber » le président sortant, comme Paris avait soutenu les présidents malien et burkinabé, Ibrahim Boubacar Keïta et Marc Roch Christian Kaboré, tous deux balayés par des coups d’État (en août 2020 pour le premier et janvier 2022 pour le second). On l’a bien constaté, Bamako et Ouagadougou ont fait payer l’attitude colonialiste de la France.
Ce qu’on sait c’est que, pour l’instant, Paris scrute « avec la plus grande attention » l’évolution de la situation, a confié la Première ministre Elisabeth Borne. Paris a énergiquement condamné le putsch au Niger et continue d’exiger que Mohamed Bazoum soit rétabli dans ses fonctions, même s’il faut employer la force pour cela. La France ne réédite pas la même position pour le Gabon.
Ce qu’on sait aussi c’est que les entreprises françaises prospèrent au Gabon depuis la colonisation et ça continue après l’indépendance du pays : Air France, Air Liquide, Atos, le groupe Bolloré, Canal+, CMA-CGM, Colas, Comilog, Eiffage, Havas, JC Decaux, Meridam, Servair, Totalénergies... Fin 2020 ces entreprises affichaient « un chiffre d’affaires cumulé de près de 3 milliards d’euros (…), 12 500 salariés et un stock d’investissement de 750 millions d’euros “, a confié Alexis Lamek, ambassadeur de France au Gabon, au journal local ‘Les Échos de l’Eco’.
Et la tendance avait l’air de se renverser depuis l’expansion des liens commerciaux entre le Gabon et la Chine.
Dans les rues du Gabon, toujours pas de manifestation des Gabonais demandant le départ des troupes étrangères du pays, ni de drapeaux français brûler dans les rues du Gabon. Ce qui a pour le moment tendance à soulager l’Élysée.
Est-ce que le désormais ex-président Ali Bongo a payé le prix de l’affront fait à la France ? Est-ce que ce putsch est un coup d’État révolutionnaire qui vise l’impérialisme en Afrique et le retour à la souveraineté totale du Gabon comme ce fut le cas du Mali, du Burkina et du Niger ?
Pour l’instant, il est tout de même difficile de répondre à la question. Mais la population gabonaise est descendue dans les rues, et ça sera au Gabonais de décider quelle direction prendra le pays.