Les médias font part de l’occupation de la ville syrienne de Ras al-Aïn par les militaires turcs et les terroristes soutenus par Ankara alors que l’organisation Amnesty International dénonce des « crimes de guerre » commis par l’armée turque au cours de son agression contre le Nord-Est syrien, connu sous le nom de l’opération « Source de paix ».
Bien que le ministère turc des Affaires étrangères ait montré une vive réaction au communiqué d’Amnesty International, dans l’ensemble l’opinion publique régionale et mondiale n’est pas en faveur du président turc, rapporte l'agence de presse Tasnim.
De son côté, le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) a annoncé que l’armée turque et ses supplétifs auraient utilisé des armes interdites et des bombes chimiques, ce qu’a démenti le ministère turc de la Défense. En revanche, des sources proches du Parti de la justice et du développement (AKP, au pouvoir en Turquie) disent que des groupes liés au PKK ont fait entrer six camions transportant des armes chimiques depuis l’Irak dans la ville de Qamichli, ville à population kurde au nord-est de la Syrie.
Une trêve fragile et ambiguë
Le paysage politico-militaire dans le Nord-Est syrien montre que l’accord ambigu conclu entre le président turc et le vice-président américain n’a donné lieu qu’à une trêve fragile, dont aucune partie n’a garanti le respect et la bonne application.
Hormis des informations et rumeurs contradictoires, il existe des faits non négligeables et ce sont les prises de position de Moscou et de Washington. Alors que le président US, à travers des déclarations incohérentes sur Twitter, a déçu les Kurdes, les regards sont maintenant figés sur Moscou ; or, dans ce jeu, la Russie semble profiter d’une situation particulière et cela, pour plusieurs raisons :
1. Moscou est un soutien de Bachar al-Assad et du gouvernement syrien. Grâce à son intelligence, le président russe Vladimir Poutine a su conduire Washington vers une véritable impasse dans le dossier syrien, ce qui, bien évidemment, n’aurait pas été possible sans l’influence politico-militaire de la RII.
2. Les initiatives russo-iraniennes ont fait venir la Turquie à la table des négociations. Malgré ses vives tendances pour les approches unilatéralistes, la Turquie a donc réalisé qu’il serait impossible de contourner l’Iran et la Russie.
3. Les relations sensibles et vitales qu’entretiennent la Turquie et la Russie en matière d’énergie, d’industrie, de tourisme et de commerce ont la valeur d’un atout important pour Vladimir Poutine afin de pouvoir juguler la Turquie d’Erdogan.
4. La Russie est capable d’impacter les intérêts de la Turquie et des rebelles pro-turcs actifs en Syrie, dans le cadre des activités du comité constitutionnel de la Syrie.
5. L’intégrité territoriale de la Syrie et la souveraineté politique du gouvernement syrien comptent énormément pour Vladimir Poutine, au grand dam de tout éventuel élan maximaliste de son homologue turc.
Étranges demandes d’Erdogan à Poutine
Tous les thèmes et tous les objectifs de la future rencontre Erdogan-Poutine n’ont pas encore été révélés. Pourtant, les médias pro-Ankara ont laissé entendre ces derniers jours que la plus importante demande d’Erdogan à Poutine serait de pouvoir exercer son contrôle sur Manbij et Kobané.
Le président turc espère pouvoir arracher, à son homologue russe, des concessions qu’il n’avait pu obtenir lors de sa rencontre avec le vice-président américain. Erdogan aurait supporté toute une série de messages humiliants de Trump dans l’espoir de pouvoir obtenir de plus importantes concessions avec les Russes. Et il souhaite se montrer capable de louvoyer entre les deux puissances américaine et russe pour atteindre son but.
Deux signaux pas très prometteurs viennent de la Russie, avant même la visite d’Erdogan
Le président turc et sa délégation attendraient un accueil des plus chaleureux à Moscou. Or, les autorités russes leur ont fait comprendre indirectement que les décisions et l’opération militaire d’Erdogan ont vivement inquiété Moscou.
Le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a déclaré à une chaîne de télévision russe que « l’opération turque dans le Nord-Est syrien porterait atteinte au processus censé réinstaller le calme et la stabilité en Syrie et y provoquer de nouveaux problèmes ». « C’est très inquiétant ; nous allons suivre de près les évolutions sur le terrain », a-t-il ajouté.
Peskov n’est pas le seul responsable russe à se montrer inquiet à ce sujet. L’assistant du président russe, Yuri Ushakov, a mis en garde la Turquie contre toute mesure militaire effrénée et illimitée dans le Nord syrien.
Poutine en parfaite coordination avec Damas et Téhéran
Dans les camps pro ou anti-Erdogan en Turquie, des voix s’élèvent pour rappeler au président turc l’impératif de normaliser les liens avec Damas. Recep Tayyip Erdogan reste pourtant toujours anti-Assad. La preuve en est qu’il a tout récemment réuni et armé 100 000 insurgés syriens sous la bannière de l’ASL (la soi-disant armée syrienne libre).
Nombreux sont les médias anti-Erdogan à avertir que ces insurgés sont pour la plupart des salafistes qui, du point de vue de l’idéologie politique et de l’approche militaire, ne seraient pas tellement différents des terroristes takfiristes présents à Idlib.
Il est donc tout à fait normal que le président russe prenne en considération tous ces soucis politico-sécuritaires, ainsi que le point de vue politique de Téhéran et les demandes et les priorités de Damas, lors de sa future rencontre avec Erdogan. Le président russe aurait donc une importante question à faire remarquer à son homologue turc : « Bien que les attaques contre les groupes affiliés au PKK se soient quelque peu avérées dans le sens d'un renforcement de la souveraineté politique du gouvernement d’Assad, l’Opération “Source de paix” a causé de nouveaux problèmes en Syrie ; c’est pourquoi Ankara devra revoir sa politique syrienne dans les plus brefs délais. »