Les institutions politico-sécuritaires turques examinent la possibilité d’engager un dialogue direct avec la Syrie. Mais les élections municipales prévues le 31 mars prochain en Turquie vont retarder le processus. L’établissement d’un contact direct entre la Turquie et la Syrie est une condition sine qua non de la restauration de la paix et d’une relation amicale entre les deux pays voisins.
Les ballets diplomatiques des délégations turques entre Moscou et Washington continuent dans le but de trouver les moyens d’établir une « zone de sécurité » en Syrie entre la frontière de la Turquie et les positions d’une milice kurde soutenue par Washington.
Bien que les positions des États-Unis et de la Russie envers la question syrienne aient toujours été différentes, ils ne se sont jamais empressés de donner corps aux demandes du président turc, Recep Tayyip Erdogan, sans les examiner sous toutes les coutures.
La Turquie tantôt satisfaite, tantôt inquiète
La « zone de sécurité » a été évoquée dans un entretien téléphonique lundi soir entre M. Erdogan et Donald Trump destiné à apaiser les tensions après que le président américain eut menacé de « dévaster » l’économie de la Turquie si celle-ci attaquait les combattants kurdes en Syrie.
Les déclarations contradictoires de ces dernières semaines des autorités américaines au sujet de ce dispositif ont tantôt satisfait, tantôt inquiété la Turquie. Washington annonce d’une part son retrait prochain de Syrie en reléguant les rênes de la lutte contre Daech à Ankara, tout galvanisé par la nouvelle ; et d’autre part, évoque deux jours plus tard les risques d’un massacre des Kurdes, ce qui n’est pas du goût des responsables turcs.
Washington a également parlé de l’appui logistique d’un pays membre de la coalition internationale. Il pourrait très probablement s’agir de la France ou du Royaume-Uni.
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Or, Ankara ne se réjouit guère de devoir partager la tâche de la supervision d’une « zone de sécurité » avec une autre partie, le président Erdogan se voyant bien prendre la situation en main de A à Z.
Cette exigence démesurée ne correspond en rien avec la situation actuelle en Syrie. Car le pays n’est plus ce qu’il était il y a un an. ِDamas a recouvré la quasi-totalité de sa souveraineté et de sa stabilité politique. Les envolées d’Erdogan auraient pu avoir du sens durant les premières années de la crise syrienne, mais plus maintenant.
Stationnement des forces turques à la frontière avec la Syrie
Depuis plus d’un mois, 80 000 militaires turcs sont stationnés à la frontière de la Turquie avec le nord de la Syrie et attendent le lancement de l’opération à l’est de l’Euphrate. Par ailleurs, de nombreux combattants qui se disent issus des terroristes de l’ASL (Armée syrienne libre) se trouveraient aux côtés des unités de l’armée turque.
Pourtant, le temps paraît long et ni Washington, ni Moscou, ni aucune autre partie impliquée dans le dossier syrien n’a donné son feu vert aux opérations turques.
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L’accord d’Adana et les discordes en perspective
À Moscou, lors du sommet turco-russe du 23 janvier dernier, le président russe Vladimir Poutine a insisté sur la portée de l’accord d’Adana sur la lutte antiterroriste signé entre Damas et Ankara en 1998, qui est en théorie toujours en vigueur.
Le président Erdogan a accueilli avec enthousiasme l’appel de son homologue et s’est dit prêt à reconsidérer l’accord d’Adana qui porte sur une coopération d’envergure entre la Turquie et la Syrie dans la lutte contre le terrorisme et implique un fonctionnement efficace des mécanismes diplomatiques entre les deux États. Mais Ankara n’en est pas pour autant totalement convaincu, car à vrai dire, sur le terrain, cet accord ne garantit pas la stabilité dans les régions du nord de la Syrie. Pour cela, il faudrait que l’accord soit remanié en fonction des réalités actuelles.
En mentionnant l’accord d’Adana, Poutine a entrouvert à la Turquie une sorte de « fenêtre » pour une normalisation progressive des relations avec la Syrie. Le principe fondamental de l’accord étant que les deux pays doivent se respecter mutuellement, il semble quelque peu insignifiant d’en attendre autant de la Turquie qui a, au cours des années passées, transgressé à plusieurs reprises l’intégrité territoriale de son voisin et envoyé son armée à la conquête des villes syriennes.
Le président du Parti kurde de l’union démocratique (PYD), Shahoz Hasan, est d’avis que l’évocation de l’accord d’Adana n’est qu’un prétexte pour que la Turquie occupe d’autres villes.
Omar Ossi, un représentant des Kurdes au Parlement syrien, a également estimé que la Turquie ne pensait qu’à étendre son champ d’occupation. « Si la véritable préoccupation d’Ankara était la sécurité de la Syrie, il aurait retiré ses troupes d’Afrin, de Jerablous, d’al-Bab et d’autres villes », a-t-il indiqué.
Normalisation des relations Turquie-Syrie ?
De nombreux groupes politiques en Turquie ont exhorté le gouvernement d’Erdogan à revoir ses politiques envers la Syrie et à s’engager dans un dialogue direct avec Damas.
Non seulement le président turc et ses proches collaborateurs s’obstinent à camper sur leurs positions, mais ils ont souvent adopté un ton virulent et désobligeant en parlant de Bachar al-Assad. Pourtant, les choses ne sont pas irréversibles : il fut un temps où le rétablissement des relations diplomatiques entre la Turquie, Israël et la Russie semblait impossible. Les palinodies d’Erdogan ont conduit à un rapprochement avec la Russie malgré l’avènement de faits majeurs comme la destruction d’un Soukhoï Su-24 par deux F-16 turcs en Syrie et l’assassinat de l’ambassadeur russe en Turquie.
Des négociations directes entre Ankara et Damas ne sont donc pas impossibles. La probabilité d’un changement de « régime politique » en Syrie est désormais très faible et aucun des opposants de Bachar al-Assad n’est resté assez fort pour lui porter un nouveau coup dur.
Le président Erdogan ne devrait pas s’engager si tôt dans un dialogue avec Damas, par crainte de son impact sur les prochaines élections municipales. Mais à la fin du mois de mars, sa politique pourrait évoluer.