« Quitter la Syrie est beaucoup moins risqué que d’y rester. » C’est ce que soutiennent deux analystes américains, dans un article récemment publié sur le site web de la National Public Radio. Les médias dominants disent que ces derniers jours, les forces américaines en Syrie ont été la cible d’attaques attribuées aux terroristes de Daech. Qu’il s’agisse d’opérations sous fausse bannière ou de véritables attentats terroristes, personne ne devrait s’étonner de voir les Américains s’en servir comme prétexte pour justifier une présence encore prolongée de leurs forces en Syrie. Un pari encore plus risqué d’un retrait américain de Syrie, selon David Miller et Richard Sokolsky qui développent le sujet, dans les lignes qui suivent :
« L’attentat attribué à Daech, qui a coûté la vie la semaine dernière à quatre Américains, montre clairement que le groupe terroriste Daech, contrairement aux allégations exagérées du président Trump et d’autres responsables de l’administration américaine, est loin d’être défait.
Cette attaque a également conduit beaucoup de congressistes US, et notamment des membres de la Commission de la politique étrangère, à exprimer leur mécontentement et à demander au président de revenir sur sa décision de retirer les forces américaines de Syrie. Ils font pression sur le gouvernement afin qu’il maintienne les troupes US en Syrie jusqu’à ce que Daech soit définitivement anéanti. »
D’après les deux analystes américains, rester en Syrie serait une erreur. Ils trouvent « bonne » la décision de quitter la Syrie, tout en réitérant que le retrait US de Syrie devrait se dérouler de manière sûre, ordonnée et coordonnée.
« Laisser 2 000 soldats là-bas sans objectifs clairs et cohérents ni les moyens de les atteindre est une solution qui ferait persister les problèmes et provoquerait davantage de victimes américaines inutiles, disent-ils. D’après les réactions exagérées de Washington, l’on pourrait penser que la décision de Trump de retirer les forces US de Syrie s’apparente à l’apaisement de l’Allemagne nazie par le Premier ministre Neville Chamberlain. »
Les analystes font ainsi référence à l’ancien Premier ministre britannique connu pour sa politique étrangère d’apaisement, qui s’est notamment traduite par la signature des accords de Munich en 1938. Après la déclaration de guerre du Royaume-Uni à l’Allemagne nazie le 3 septembre 1939, Chamberlain dirige le pays durant les huit premiers mois de la Seconde Guerre mondiale, nous apprennent les encyclopédies en ligne.
Les deux analystes évoquent ensuite les dires des détracteurs de Trump, dont le sénateur Marco Rubio, qui a décrit le retrait présumé de Syrie comme « une erreur majeure qui hantera l’administration US ». Ou encore un sénateur dénommé Ben Sasse, qui prétend que les généraux de Trump sont convaincus que les grands bénéficiaires, concernant l’affaire syrienne, seront l’Iran, Daech et le Hezbollah. (Ce qui met largement en cause le bien-fondé de cette opinion, dans la mesure où le sénateur américain a placé l’axe de la Résistance, acteur majeur de la lutte contre le terrorisme, au même rang que le groupe terroriste Daech.)
Et le sénateur Lindsey Graham a lui aussi établi un lien entre la décision de Trump et l’attentat perpétré cette semaine, attribué à Daech.
Tous les trois congressistes évoqués par les analystes américains sont membres du parti républicain du président. Et presque tout le monde au sein du gouvernement a accusé le président de trahir les Kurdes qui auraient joué un rôle primordial dans la lutte contre Daech. Les deux analystes ajoutent :
« Il y a des risques à quitter la Syrie, mais il y en a de beaucoup plus grands à y rester. Il est particulièrement vrai que les États-Unis ne peuvent pas atteindre les objectifs qu’ils se sont fixés publiquement et que la Russie, l’Iran et le président syrien Bachar al-Assad vont continuer de bien s’en sortir. Paradoxalement, rester en Syrie dans ces circonstances peut également donner l’impression que l’Amérique est faible. »
Vaincre Daech, mission impossible pour Washington
Faisant allusion aux campagnes anti-Daech que Trump a menées à l’instar de son prédécesseur Obama, les analystes s’attardent ensuite sur les prétentions américaines de n’avoir laissé à Daech que moins de 1 % de la zone qu’il contrôlait autrefois en Irak, ajoutant :
« Mais Daech n’est ni l’Allemagne ni le Japon, où les États-Unis et leurs alliés ont brisé la volonté de combattre des régimes au pouvoir et détruit toute leur capacité militaire. »
Quand bien même, comme les deux analystes le prétendent, les États-Unis auraient réussi à éradiquer les idéologies fascistes et à remodeler un nouvel environnement pour deux pays démocratiques, atteindre un tel objectif contre Daech en Syrie sera une mission impossible pour les Américains.
En effet, seuls les Syriens pourront en finir avec Daech et les groupes liés à al-Qaïda, qui se nourrissent des griefs sectaires et de la corruption, ajoute l’article.
D’après les analystes américains, ce serait une illusion de croire qu’en favorisant un départ de Bachar al-Assad, les États-Unis pourraient accélérer ces efforts. Il faut en effet se rappeler que plusieurs années d’efforts US pour supprimer Assad de la scène politique syrienne se sont avérées inefficaces.
La Russie et l’Iran n’ont pas cessé de soutenir Assad et même si les Américains restent encore en Syrie, cela ne changera en rien la donne, précise l’article.
Soutenir les forces kurdes en Syrie, synonyme de troubles
Les deux anciens collaborateurs du département d’État US établissent par la suite une synthèse sur fond des réalités et des rapports de force dans le Nord syrien :
– Les Kurdes veulent une étendue autonome sous leur propre contrôle sans permettre aucune ingérence étrangère.
– Damas insistera à exercer son contrôle sur le Nord très riche, d’ailleurs, en ressources naturelles.
– La Turquie et l’Iran sont sérieusement contre la création d’une zone autonome près de leurs frontières.
Même si l’on accepte que l’attitude américaine de fournir appui et équipements aux Kurdes syriens dans la lutte contre Daech a été jusqu’ici une approche raisonnable — comme le soutiennent les analystes — rien ne dit qu’il serait aussi raisonnable de continuer à aider les Kurdes syriens à atteindre leurs propres objectifs, quitte à pousser Téhéran, Ankara et Damas vers une confrontation avec les États-Unis.
En gros, Miller et Sokolsky estiment qu’il serait impossible pour les États-Unis de rivaliser avec la Russie et l’Iran, lorsque c’est de l’affaire syrienne dont il s’agit.
La Syrie ne fait pas partie des intérêts vitaux des États-Unis
Ni le Congrès, ni l’opinion publique, ni l’administration américaine, que ce soit l’actuelle ou la précédente, ne voit dans la Syrie une affaire qui touche les intérêts vitaux des États-Unis, contrairement à ce qui était le cas en parlant de l’Irak voire de l’Afghanistan.
Dans des conditions où un véritable appui politique aux opérations militaires US en Syrie n’existe pas, il va falloir accepter que la Russie et l’Iran y auront une plus grande marge de manœuvre, et que les chances de Washington d’impacter les rapports de forces dans ce pays seront minces, disent les analystes.
Donc ?
David Miller et Richard Sokolsky estiment que depuis que le président Trump a annoncé le retrait américain de Syrie, ce dernier fait l’objet des critiques les plus virulentes. On dirait que les néoconservateurs et les va-t-en-guerre américains ont décidé, soit de faire revenir le président Trump sur sa décision, soit de le préparer à une motion de censure, sinon à la démission. D’après ce que les analystes ont confié à la « National Public Radio », cette fois-ci, ce ne sont pas les démocrates, mais les camarades de parti de M. Trump qui se disent étonnés par sa décision de retirer les forces américaines de Syrie. Ces républicains sont ceux-là mêmes qui profitent de l’appui du Pentagone, les mêmes personnes qui auraient été impliquées dans la construction d’une dizaine de bases militaires US en Syrie.
Il y a quelques jours, le Pentagone a publié un rapport d’après lequel des bases américaines dans le monde sont exposées à la menace d’inondations mais aussi de sécheresse, à cause des changements climatiques. Un geste censé faire croire à l’opinion publique américaine qu’il y a un rapport avec les intérêts nationaux des États-Unis. « Tout président faisant preuve d’indifférence à ce sujet se ferait accuser de laxisme sur l’importante question des intérêts nationaux. » « Ça commence à réchauffer, disent les analystes ; il s’agit là de préparer l’opinion publique américaine à accepter toute accusation visant Donald Trump », concluent les deux analystes américains.
Pour rappel :
Aaron David Miller, vice-président du « Woodrow Wilson International Center for Scholars » et ancien conseiller du département d’État et négociateur pour le Moyen-Orient, est l’auteur de « La fin de la grandeur : Pourquoi l’Amérique ne peut (et ne veut) plus avoir un autre grand président ».
Richard Sokolsky, membre principal non résident du « Carnegie Endowment for International Peace », était membre du Bureau de la planification des politiques du secrétaire d’État américain de 2005 à 2015.