Le retrait US de Syrie est-il une aubaine pour Ankara? Depuis près de trois semaines, la Turquie ne cesse de menacer de lancer une offensive d’envergure contre les « terroristes kurdes des YPG » à l’est de l’Euphrate. En est-elle capable ?
Après l’annonce du retrait US de Syrie, la Turquie se trouve confrontée à un triple risque sur l’est de l’Euphrate, si elle se décide à passer à l’offensive. Ce sera là un test bien périlleux pour Erdogan. Bien différent de celui d’Idlib où il a bénéficié du soutien de la Russie et de l’Iran pour contrer l’inévitable action militaire et sauver la peau de quelque 65 000 « terroristes » qu’il chapeaute.
La situation est bien différente, en effet, dans le Nord-est syrien où la Turquie devra se battre contre les Forces démocratiques syriennes (FDS) qui semblent avoir retrouvé l’esprit et le pragmatisme face à la menace turque, quitte à chercher la protection auprès du gouvernement syrien. Celui-ci ne manquera pas de se redéployer dans la zone contrôlée par les FDS, si la Turquie venait à lancer son opération anti-kurde.
Mais il y a plus : la Turquie ne peut pas non plus risquer un face-à-face militaire avec l’armée syrienne tout en conservant sa position dans le cadre des accords d’Astana. Si elle le fait, la Turquie perdrait sans nul doute le soutien russe et iranien et risquerait de ne rien obtenir sur le terrain, d’autant plus que l’armée et la population considèrent la Turquie comme une puissance d’occupation. Vient en troisième lieu la perspective d’un clash Ankara/Daech. L’armée turque ne saura, non plus, entrer en conflit contre Daech, et ce, pour deux raisons: Daech est positionné à 250 km de la frontière turque et il n’y a aucune possibilité de l’atteindre par voie terrestre, à moins que l’armée turque traverse les zones sous contrôle des FDS. Par ailleurs, la Turquie n’a aucun intérêt à combattre Daech, milice terroriste qui a, à plus d’une reprise, arrangé ses dessins.
L’expert libanais Amin Hotheit revient sur ce triple obstacle qui se dresse contre l’armée turque pour affirmer que « la Turquie est militairement incapable de s’engager dans une confrontation terrestre sur l’ensemble du triangle oriental de l’Euphrate ». On se rappelle de la position d’Ankara au cours des premières années de la guerre, quant à l’établissement d’une zone tampon. Ayant échoué dans son projet de contrôler toute la Syrie et son ambition s’étant réduit à mettre en place une zone de sécurité de 100 km des frontières avec la Syrie, la Turquie a fini par demander l’aide de l’OTAN, demande que cette dernière a ignorée. Ankara a alors renoncé à ce projet ne pouvant « se risquer seul », selon ses propres déclarations. Et ce n’est pas en ce 2019 qu’elle irait à refaire le coup.
En ce sens,« l’Euphrate oriental » ne se soumettra pas aux dessins d’Ankara. Dans cet imbroglio où s’ébat visiblement Erdogan, les analystes voient une « royale combine » signée Résistance/Russie. La réconciliation entre le gouvernement syrien et les Kurdes restituerait autant de zones que possible à l’État syrien. Depuis vendredi d’ailleurs, les Sukhoï russes et syriens sont de retour non seulement à Alep où ils bombardent les terroristes qaïdistes et leurs complices pro-Ankara en repoussant leurs assauts anti-syriens, mais aussi à Idlib, d’où partent régulièrement les assauts contre les positions de l’armée syrienne et de ses alliés, à Alep ou à Lattaquié. Après plus de sept ans d’atermoiements politiciens, Erdogan semble cette fois avoir été amené à choisir son camp : agir en supplétif des États-Unis et de l’OTAN ou enterrer la hache de la guerre avec son voisin syrien et partir du bon pied pour un nouveau chapitre des liens syro-turcs. Selon de nombreux commentateurs, ce sera pour le second cas de figure qu’optera Erdogan à moins qu’il veuille se mettre à dos la Russie.