Trump ne peut pas exercer une pression maximale sur Téhéran et maintenir, en même temps, les prix de l’essence à un niveau bas.
Le 4 novembre, les sanctions américaines sur les exportations de pétrole iranien reviendront en vigueur après leur suspension suite à l’accord de 2015 sur le nucléaire iranien. Les États-Unis souhaitent vraiment réduire à zéro les exportations du pétrole iranien, mais en vain. En juillet, le secrétaire d’État américain, Mike Pompeo, a annoncé : « Notre objectif est de travailler avec les pays importateurs de pétrole brut iranien pour que leurs importations soient aussi proches que possible de zéro d'ici le 4 novembre. »
Le problème de la campagne dite «pression maximale» est qu’elle se heurte à un autre objectif du président américain Donald Trump: maintenir en bas les prix de l’essence. Après de fortes augmentations des prix du pétrole en mai et juin, puis de nouveau en septembre, Trump s'est rendu à plusieurs reprises sur Twitter pour critiquer l'OPEP. Il a répété les mêmes plaintes aux Nations Unies, le mois dernier à New York.
« L’OPEP et les pays du Cartel arnaquent, comme d'habitude, le reste du monde, et je n'aime pas cela », a-t-il déclaré dans son discours. Personne ne devrait aimer ça. Nous défendons bon nombre de ces pays pour rien, puis ils profitent de nous pour nous faire payer des prix du pétrole élevés. Pas bon ». Ses remarques ont été prononcées alors que les prix du brut Brent avaient atteint leur plus haut niveau en quatre ans, dépassant les 80 dollars le baril.
Plus les États-Unis resserreront leurs vis à l'Iran, plus il sera difficile d'empêcher une nouvelle hausse des prix. Cependant, il y a un grand désaccord sur la baisse possible des exportations de pétrole iranien.
Le département d’État US a beaucoup marchandé pour convaincre d’autres pays de réduire leurs importations en provenance d’Iran. Certains pays à savoir la Corée du Sud et la France ont cédé aux pressions américaines et accepté de couper leurs importations de pétrole iranien. Par contre, la Chine et l'Inde ont réduit leurs achats continuant pourtant d'importer 430 000 et 600 000 barils par jour le mois dernier, respectivement. Et plusieurs raffineurs indiens ont déjà enregistré des commandes iraniennes pour novembre, après l'entrée en vigueur des sanctions. Dans le même temps, la Chine a juré à plusieurs reprises de ne pas respecter les sanctions imposées par les États-Unis et continuera à importer de l’Iran, même à des niveaux plus bas qu’auparavant.
L’Inde achètera 9 millions de barils de pétrole à l’Iran, malgré les sanctionshttps://t.co/BPH3PBfsIH pic.twitter.com/rGhgxJstVr
— Press TV Français (@PresstvFr) October 12, 2018
En dehors de la France, une grande partie du reste de l'Europe a également continué à importer du pétrole iranien. Ces achats devraient diminuer au cours des prochaines semaines, mais les décideurs européens mettent en place un «mécanisme spécial» pour permettre aux raffineurs européens de continuer à acheter du pétrole iranien. L’efficacité de ce mécanisme réside dans le fait qu’il pourrait empêcher les achats de l’Europe de tomber à zéro.
Même si le niveau des exportations de pétrole iranien baisse, ce sont les États-Unis qui finiront par se retirer de leur position agressive. Les responsables de l'administration Trump ont récemment suggéré qu'ils envisageaient des dérogations pour certains pays importateurs de brut iranien ; cela témoigne de la marche arrière US et du fait que l'administration US ressentait la pression de la hausse des prix de l'énergie. Il se peut que les décideurs américains se rendent compte que l’indépendance énergétique supposée apportée par l’essor de la production de schiste américain n’était qu’un mirage.
Il est vrai que les importations nettes de brut ont fortement chuté au cours de la dernière décennie, parallèlement à l’augmentation de la production américaine de schiste. En 2005, les États-Unis dépendaient des importations pour couvrir 60% de leurs besoins en pétrole. Ce chiffre est maintenant inférieur à 15%. Néanmoins, les automobilistes américains sont toujours affectés par des prix mondiaux du pétrole. L'augmentation de la production de schiste ne fait baisser les prix mondiaux que dans la mesure où elle améliore l'équilibre de l'offre mondiale. Et justement parce que les sanctions imposées à l'Iran ont réduit les stocks, les prix du carburant ont grimpé dans le monde entier.
Les États-Unis sont peut-être l’un des plus grands producteurs de pétrole au monde, mais ce n’est pas un producteur alternatif. Leur production provient de centaines de grandes et petites sociétés pétrolières privées. Elles prennent toutes des décisions indépendantes et ne sont pas en mesure d’apporter une offre supplémentaire à bref délai.
De ce fait, les États-Unis n’ont pas vraiment de capacité de réserve pour compenser un resserrement soudain du marché.
À bien des égards, la campagne de pression américaine sur Téhéran dépend des capacités disponibles des gisements de pétrole dans le désert saoudien. Mais, c’est ici le problème. Même des évaluations optimistes de la capacité de réserve de l’Arabie saoudite avoisinent les 1,6 million de barils par jour que l’Iran exporte actuellement.
L’Arabie saoudite a prétendu à plusieurs reprises qu’elle pouvait produire 12 millions de barils par jour, soit 1,5 million de barils par jour de plus que la production du pays en septembre, et 12,5 millions de barils par jour si l’on comptait les gisements de pétrole de la « Zone contestée ». Mais ces champs ne sont pas actifs. Il y a quelques années, ils ont été fermés sur fond de conflits territoriaux avec le Koweït. En réalité, l'Arabie saoudite n'a jamais démontré sa capacité à produire plus de 10,6 millions de barils par jour de manière durable.
Même avec les prétentions douteuses de Riyad, il est curieux de faire pression sur l’OPEP pour qu’elle utilise ses capacités inutilisées, comme le souhaite l’administration Trump. Si les capacités inutilisées de l'OPEP tombaient à des niveaux négligeables, les marchés pétroliers deviendraient de plus en plus instables. Cela entraînerait probablement une volatilité accrue, ce qui réduirait les avantages liés à la mise sur marché de nouveaux approvisionnements en pétrole. De ce fait, il est peu probable que l’OPEP choisisse cette voie.
Les prix du pétrole à 80 dollars le baril ont mis au pied du mur le gouvernement américain, il ne semble donc pas que l’administration Trump puisse tolérer encore plus l’augmentation supplémentaire des prix du pétrole.
En fin de compte, il est donc impossible de fermer toutes les exportations de pétrole de l’Iran. Les États-Unis seront donc contraints d’accorder des dérogations à certains des principaux importateurs de brut iranien. Et si ramener à zéro les exportations de pétrole de l’Iran n’est pas envisageable, la fenêtre pour pousser à un « changement de régime » semble tout aussi fermée.
Cependant, tout comme les États-Unis sont limités dans la pression qu'ils peuvent exercer sur d'autres pays pour restreindre leurs importations de pétrole en provenance d'Iran, ils ne peuvent pas déclencher une guerre avec l'Iran sans faire exploser les prix du pétrole. L’Iran exporte toujours bien plus d’un million de barils par jour et les prix du pétrole sont déjà à des niveaux inconfortables. La décision de l’administration US d’autoriser des dérogations à certains pays avant l’échéance du 4 novembre est la preuve qu’elle reconnaît les limites de son approche conflictuelle. La recherche, par Trump, de la pression maximale sur Téhéran va à l’encontre de son désir d’une énergie abordable. Finalement, il devra reculer face à l’Iran !