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Élections présidentielles au Sénégal : le choix de la rupture

US Rep. Ilhan Omar (D-MN) (L) talks with Speaker of the House Nancy Pelosi (D-CA) during a rally with fellow Democrats before voting on H.R. 1, or the People Act, on the East Steps of the US Capitol on March 08, 2019 in Washington, DC. (AFP photo)

Par Ghorban-Ali Khodabandeh

L'opposant Bassirou Diomaye Faye, encore en prison il y a trois semaines, a remporté la victoire à l’élection présidentielle au Sénégal. En 12 présidentielles au suffrage universel, c'est la première fois qu'un candidat de l'opposition l'emporte dès le premier tour. Événement d'autant plus frappant que la victoire, apparemment motivée par un appétit de changement sinon de rupture après des années difficiles, est annoncée d'ampleur.

Le scrutin a été suivi avec attention à l'étranger, le Sénégal étant considéré comme l'un des pays les plus stables d'une Afrique de l'Ouest secouée par les putschs.

M. Faye se veut le candidat d'un changement de système et d'un panafricanisme de gauche. Son programme insiste sur le rétablissement de la souveraineté nationale, bradée selon lui à l'étranger. Il a promis de combattre la corruption et de mieux répartir les richesses, et s'est aussi engagé à renégocier les contrats miniers, gaziers et pétroliers conclus avec des entreprises étrangères.

Forte mobilisation pour le premier tour de la présidentielle au Sénégal

La victoire dès le premier tour de Bassirou Diomaye Faye, confirmée par la Commission nationale de recensement des votes, a été écrasante. Les résultats officiels encore provisoires de l’élection présidentielle du dimanche 24 mars ont été annoncés mercredi 27 mars par la Commission nationale de recensement des votes. Bassirou Diomaye Faye est élu au premier tour avec 54,28%.

Dimanche 24 mars, 7,3 millions de Sénégalais étaient appelés pour élire le cinquième chef d’État du pays. Initialement prévu le 25 février dernier, le scrutin avait été reporté par Macky Sall, le président sortant, plongeant le pays dans une crise politique majeure.

Les Pastef, la formation politique de l’opposant, pourtant dissoute, a réussi une belle prouesse, mettant à terre Amadou Ba, le Premier ministre et candidat du camp présidentiel, qui n’aura pas réussi à inverser la tendance. Dans les rues de plusieurs villes sénégalaises, des centaines de sympathisants de Bassirou Diomaye Faye ont fêté la victoire de leur champion.

Le bras droit d’Ousmane Sonko n’était, sur le papier, pas le candidat favori de l’élection présidentielle au Sénégal. Mais à peine sorti de prison, en dix jours, il a pu montrer que tout un pays désirait du changement. Et ce changement passe par la fin du système Macky Sall et l’avènement d’un homme qui se pose comme, justement, un anti-système.

Pour Macky Sall, c’est un revers moindre : personnellement, il était le tout premier président sortant à ne pas figurer parmi les candidats. Mais pour son parti, en revanche, la douche est froide.

Continuité et rupture : deux visions qui s’opposent

En termes d'enjeux, on peut dire qu'il y avait deux visions fondamentales qui s'opposent. Il y avait d’une part le candidat du pouvoir, en l'occurrence Amadou Ba, ancien Premier ministre, qui se présentait un peu comme le candidat de la continuité. Amadou Ba devait assumer l’héritage du président Sall, une pauvreté persistante, un chômage élevé, et les centaines d’arrestations de la période récente. Le pays a connu depuis 2021 des épisodes de troubles causés par le bras de fer entre Ousmane Sonko et le pouvoir, conjugué aux tensions sociales et au flou longtemps maintenu par le président Sall sur sa candidature à un troisième mandat. La crise s’est prolongée avec le report de l’élection présidentielle au Sénégal. Dans son discours, il s’est engagé à perpétrer cet héritage-là, en continuant le travail effectué par le président Macky Sall, qui avait défini un cap par rapport à son projet politique qui devait aller jusqu'à 2035.

De l'autre côté, au sein de l'opposition, il y avait des candidats qui appellent à une rupture, à une manière différente d'exercer le pouvoir, de voir la gouvernance.

Dans ce cadre, le Pastef, Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l'éthique et la fraternité, a pu développer un discours très bien reçu par les jeunes. On a l'impression qu'une frange importante de la jeunesse sénégalaise s'identifie dans ce discours.

Ils revendiquent une manière différente de voir la politique avec notamment les questions de gouvernance, les questions liées à l'éthique, les questions de patriotisme économique. On les présente comme étant un «parti antisystème». Ils sont aussi dans cette dimension panafricaniste.

Un coup de pouce bienvenu pour l'Afrique de l'Ouest sujette aux coups d'État

En dépit des tensions des dernières années et du report de dernière minute de l'élection présidentielle au Sénégal, c'est la troisième fois que le Sénégal pratique l'alternance dans les urnes depuis son indépendance de la France en 1960, alors qu'une succession de coups d'État a installé chez ses voisins des régimes militaires renvoyant les élections à une date indéterminée.

L'ancienne colonie française semblait ainsi prête à assurer une transition pacifique du pouvoir lundi, ce qui constitue un encouragement bienvenu pour la démocratie dans une Afrique de l'Ouest sujette aux coups d'État.

Le Sénégal avait déjà été secoué par des manifestations meurtrières entre 2021 et 2023, en partie liées à la crainte que M. Sall n'utilise des modifications de la constitution pour se maintenir au pouvoir, comme l'ont fait avant lui d'autres présidents d'Afrique de l'Ouest.

Mais après des semaines de tension et deux autres tentatives de report du scrutin et de prolongation du mandat de M. Sall - toutes rejetées par le Conseil constitutionnel et la Cour suprême du Sénégal - des millions de personnes se sont rendues aux urnes dans le calme dimanche.

Les événements survenus jusqu'à présent ont une fois de plus distingué le Sénégal sur un continent qui a l'habitude des élections litigieuses, aboutissant souvent à des bouleversements violents.

Election présidentielle au Sénégal : vers un basculement à l’Est ?

Le vainqueur de l’élection présidentielle au Sénégal s'est montré rassurant lundi soir en affirmant que son pays resterait « l'allié sûr et fiable » de tous les partenaires étrangers, à la condition néanmoins que ceux-ci s'engagent « dans une coopération vertueuse, respectueuse et mutuellement productive ».

« Je voudrais dire à la communauté internationale, à nos partenaires bilatéraux et multilatéraux, que le Sénégal tiendra toujours son rang. Il restera le pays ami et l'allié sûr et fiable de tout partenaire qui s'engagera avec nous dans une coopération vertueuse, respectueuse et mutuellement productive », a-t-il déclaré lundi 25 mars lors de sa première apparition publique depuis l'annonce de sa victoire historique.

A Paris, cette première prise de parole est jugée encourageante alors qu'Emmanuel Macron ne cesse de répéter qu'il souhaite refonder la relation de la France avec ses partenaires d'Afrique, en promettant d'être à l'écoute de leurs souhaits et de leurs besoins.

« Cela fait plusieurs années que le président Macron parle de rééquilibrer la relation de la France avec les pays d'Afrique mais la bonne formule n'a pas encore été trouvée », constate néanmoins Sidy Cissokho, chercheur au CNRS. « Jusqu'à présent, la France n'a pas été la hauteur des enjeux », estime-t-il.

Au Sénégal, l'ancienne puissance coloniale n'a d'ailleurs pas échappé ces dernières années aux critiques parfois acerbes, y compris de la part du principal opposant Ousmane Sonko, celui-là même qui avait désigné Bassirou Diomaye Faye comme suppléant. Signe de la volonté de prendre ses distances avec la France, en 2022, des artères de Ziguinchor, ville du sud du pays, portant des noms de personnalités françaises, dont une célèbre « rue du général De Gaulle », ont été rebaptisées en mémoire des « tirailleurs africains » et d'autres célébrités locales.

Pour Bassirou Diomaye Faye, le partenariat avec la France doit être le plus équitable possible, et il implique donc qu’il ne l’est pas à l’heure qu'il est. Ce qui veut dire que le Sénégal va vouloir revoir certains accords commerciaux, tout comme les accords de pêche avec le Sénégal ou les accords de défense, dans le but de protéger les intérêts des Sénégalais.

Le nouveau président veut instaurer un changement de paradigme. Et cela doit passer par la sortie du franc CFA, vestige de la colonisation, selon Bassirou Diomaye Faye.

Le Sénégal est donc prêt à se doter de sa propre monnaie pour réduire l’emprise économique de la France. Il est également question de diversifier ses partenaires en se rapprochant notamment des pays de l’Est dont la Russie qui renforce sa position dans les pays voisins. Autant de propositions qui ne figuraient pas dans le programme du candidat du pouvoir, Amadou Ba, désigné par le président sortant Macky Sall qui entretenait, lui, d’excellentes relations avec Paris et Washington.

Ghorban-Ali Khodabandeh est un journaliste et analyste politique iranien basé à Téhéran.

(Les opinions exprimées dans cet article ne reflètent pas nécessairement celles de Press TV.)

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SOURCE: FRENCH PRESS TV