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Les dimensions latentes des récentes protestations en France

US Rep. Ilhan Omar (D-MN) (L) talks with Speaker of the House Nancy Pelosi (D-CA) during a rally with fellow Democrats before voting on H.R. 1, or the People Act, on the East Steps of the US Capitol on March 08, 2019 in Washington, DC. (AFP photo)
Des policiers anti-émeute immobilisent un manifestant par terre, lors d'une manifestation à Rennes, le 22 mars 2023. ©AP

Par Ghorban-Ali Khodabandeh

La France est le pays des révoltes et des protestations. Depuis la Révolution française, les troubles et les protestations publiques font partie de la culture politique de ce pays et les mécontentements se traduisent rapidement à travers des manifestations et des grèves.

Le mouvement étudiant de 1968 en France avait des dimensions sans précédent et ces dernières années, le mouvement spontané des Gilets jaunes apparu en octobre 2018 trouvait son origine dans la diffusion d'appels à manifester contre l'augmentation du prix des carburants automobiles issue de la hausse de la taxe intérieure de la consommation sur les produits énergétiques. Ce mouvement n’était à peine terminé que le projet du gouvernement d'augmenter l'âge de la retraite a déclenché des manifestations d’envergure l’Hexagone.

Les mouvements de protestations ont surtout connu une ampleur inédite sous la présidence de Macron, qui est qualifié de « dictateur » par les courants politiques de ce pays, et parfois des fresques l’ont assimilé à Hitler. La révolte des jeunes majoritairement d'origine étrangère dans les banlieues des grandes villes françaises n'est pas un phénomène nouveau, mais cette fois elle a pris de nouvelles dimensions et le gouvernement Macron fait face à une situation difficile.

Ces crises s’enracinent dans une histoire de 40 ans et plus et les gouvernements ont souvent manqué de volonté et de plans appropriés pour les résoudre définitivement. Après la rébellion des Gilets jaunes en 2018 et les protestations massives de ces derniers mois contre le projet de la réforme des retraites, cette fois le racisme policier et le meurtre d'un adolescent d’origine africaine de 17 ans et la campagne de désinformation qui s’en est suivie, ont poussé les gens dans les rues. Un adolescent de 17 ans a été abattu par un policier le 27 juin à Nanterre, en banlieue parisienne, à la suite d’un refus d’obtempérer suite à un contrôle routier. Des manifestations de protestation se sont immédiatement propagées dans toute la France et certaines de ces manifestations ont dégénéré en violence. Considérées comme sans précédent depuis 2005, ces protestations ont jeté une lumière crue sur les profondes crises de la société française.

1- La vérité perdue des troubles en France

Les manifestations ont éclaté après le meurtre de Nahel Merzouk, adolescent franco-algérien de 17 ans, tué à bout portant par un policier lors d’un contrôle routier. Au lieu de présenter des excuses, le gouvernement Macron a défendu le geste de la police accusé pourtant d’homicide volontaire. Bien que la manifestation ait été initialement lancée pour protester contre le comportement de la police, elle ne se concentre pas sur la brutalité policière et les manifestants contestent toute la structure politique. Ce tollé général a alors jeté de l'huile sur le feu, transformant la France toute entière en un terrain de conflit entre le peuple et les forces de l’ordre.

La portée géographique des protestations en France mérite également réflexion. Des couvre-feux ont été imposés dans au moins 20 banlieues parisiennes. Ce nouveau tour de manifestations, principalement contre le racisme, a été particulièrement émaillé de violence à la fois de la part des policiers mais aussi des protestataires. La police française est la seule police en Europe à utiliser des gaz lacrymogènes, des grenades assourdissantes et des balles en plastique pour attaquer les manifestants, mais lors des récentes émeutes, des images ont été publiées sur l’usage des armes automatiques contre les manifestants. Selon les rapports, le Groupe d’intervention de la Gendarmerie nationale, GIGN, et l’unité d’élite de la Police nationale française, RAID, équipés d'armes automatiques, ont été déployés dans différentes villes de France et lors de patrouilles, ils ont arrêté de jeunes manifestants.

La France est réputée depuis longtemps pour ses manifestations de masse. Presque tous les présidents de France ont été la cible des protestations d’envergure. Mais cette fois, la situation est un peu différente. Il s’agit d’une réaction et d’une mobilisation de ceux qui en ont marre du racisme. Les récentes protestions, tant en termes d'origine, c'est-à-dire une sorte de violence policière, que de contexte, un mode de vie exposé à la frustration, la stigmatisation, la privation et la violence qui sévit dans les banlieues des grandes villes françaises, ne sont pas sans rappeler les émeutes de 2005.

Depuis son entrée en fonction en 2017, le gouvernement Macron a lancé un projet de cinq milliards d'euros pour développer et améliorer l'état des banlieues, qui, à l’instar de tous les plans des dernières décennies, ne reposait pas sur une stratégie globale. Les récentes contestations à grande échelle en disent long sur l'absence de changement qualitatif des conditions des banlieues et le dysfonctionnement des politiques d’intégration des immigrés, même au sein des troisième et quatrième générations, c'est-à-dire les générations qui sont nés et ont grandi en France.

2-La censure drastique des protestations dans les médias

Les récentes protestations en France n'ont pas fait l'objet d'une couverture médiatique sérieuse en Occident. En effet, les médias mainstream n’ont guère entrepris de manœuvres médiatiques à ce sujet.

Or, lors de la récente rébellion du groupe Wagner en Russie ou des émeutes de l'année dernière en Iran, ces mêmes médias avaient mis à leur ordre du jour des scénarios hollywoodiens, se livrant à toutes sortes de mensonges. Reste à savoir pourquoi les médias occidentaux, malgré leurs slogans dans le domaine de l’impartialité médiatique, sont complètement biaisés en pratique et se refusent à toute explication sur leur approche négative. Ce qui devrait être examiné maintenant comme un défi sur la façon de communiquer sur ces événements, c'est le type de couverture médiatique de ces protestations d’envergure en Europe en l’occurrence en France.

Ces jours-ci, les différentes versions ambiguës et même la censure sévère des informations sur le meurtre de Nahel Merzouk et les événements qui s’en sont suivis s’inscrivent dans le cadre d’un stratagème médiatique visant à minimiser la violence policière et même à inverser le rôle du tueur et de la victime. Ce sont les mêmes qui se targuent de défendre les des droits de l'homme et durant les événements survenus en Iran à l'automne 2022, les pays européens dont la France et les médias à leur solde ont soutenu les contestataires dans les rues de l’Iran, défendu leurs revendications et appelé à ne pas recourir à la violence à leur encontre.

La manière de couvrir les événements dans les médias français et occidentaux trahit la différence évidente voir la contradiction manifeste entre l'approche de ces médias envers les incidents en Iran et en France. La première et la plus importante différence réside dans la charge sémantique des mots utilisés pour s'adresser aux manifestants. Les médias occidentaux ont qualifié les troubles en Iran de « protestation » et le peuple de « protestataire », tandis que dans le cas de la France, les termes « chaos » et « émeutier » sont largement utilisés.

Par ailleurs, comme à l’accoutumée, les médias français et européens s'empressent de décrire les moyens d'améliorer la situation : de l'accélération de la réforme des lois policières et de la lutte contre la discrimination raciale à la recherche de solutions pour éliminer le fossé profond entre les classes riches et pauvres de la société française et à la lutte contre la hausse du taux de chômage.

Ceci étant dit, les récents événements en France ont une nouvelle fois prouvé que les allégations telles que « liberté d'expression »,  « libre circulation de l'information » et « respect du droit du public à obtenir des informations authentiques» ne sont rien d'autre que de la tromperie. A vrai dire, les rois du mensonge et de la désinformation non seulement n'y croient pas, mais elles n'utilisent ces slogans que dans le but d’assurer les intérêts politiques de leurs maîtres.

3- Violation flagrante des libertés individuelles et sociales

Au terme d’une semaine de troubles généralisés en France, la justice est passée à l’action, faisant preuve d’une extrême fermeté envers les protestataires. Le ministre français de la Justice Eric Dupont-Moretti a livré les statistiques des jugements rendus sur les affaires en relation avec les protestations. D’après le garde des Sceaux, 600 personnes ont été écrouées et 1000 sont sous le coup d’une condamnation. En tout, 1278 affaires sont passées devant le tribunal. Le ministre de la Justice a précisé que le parquet a traité 1300 déferrements et 905 prévenus sont directement passés devant le juge. Suite à ces parutions au tribunal, 1056 personnes ont été soumis à une peine de prison dont 742 fermes pour une durée moyenne qui revient à 8,2 mois. Beaucoup de personnes interpellées, sont rapidement déférés devant le tribunal et les juges  s'appuient souvent sur des enquêtes policières très rapides pour les condamner. Au tribunal, les prévenus assis en rang, souvent deux par deux, sont jugés avec un maximum d'une heure par séance.

Dans une telle situation, les avocats et les partis d'opposition ont mis en garde le gouvernement Macron contre l’instrumentalisation de la loi à des fins politiques. Ils accusent l’exécutif de négliger les problèmes chroniques de la société - notamment les inégalités sociales, la discrimination raciale, la brutalité policière. Dans son récent rapport, l'ONU a accusé la France de violer les droits et les libertés de ses citoyens.

Selon les résultats des récentes études, les manifestants de couleur, issus de minorités raciales et vivant dans des quartiers populaires et pauvres, sont condamnés à des peines de prison à un taux plus élevé devant les tribunaux en charge des affaires liées aux récentes manifestations.

Le point intéressant à propos des protestations est la position du président français concernant le rôle des réseaux sociaux dans les émeutes. Macron a ouvertement parlé du rôle des nouveaux médias dans l’amplification des protestations et cherche à imposer des restrictions aux utilisateurs des médias sociaux. « J'attends de ces plateformes qu'elles soient responsables », a déclaré le président français. Il est allé plus loin, en exigeant officiellement la suppression des contenus liés aux manifestations dans le cyberespace. Macron ne s’en est pas contenté et a demandé aux opérateurs des réseaux sociaux de révéler l'identité des utilisateurs qui parlent des manifestations afin qu'elles puissent être poursuivies en justice.

Lors d'une réunion avec les responsables des réseaux sociaux, le ministre de l'Intérieur a averti qu'ils ne pouvaient pas se permettre d'être utilisés comme canal pour inviter à la violence. Les autorités françaises fourniront « autant d'informations que possible » aux entreprises de médias sociaux en échange de «l'identité de ceux qui incitent à la violence », a déclaré Gérald Darmanin. Il a ajouté que les autorités « poursuivront toute personne qui utilise ces réseaux sociaux pour commettre des violences ».

Selon les opposants, cette approche est une violation flagrante des droits de l'homme et une grave menace pour la démocratie, dans le but de dissimuler le comportement des forces de sécurité dans la répression et l’usage excessif de la violence lors de manifestations, dans un pays appelé la France, qui se veut le berceau des droits de l'homme !

Conclusion

Indépendamment des contradictions dans les dires et les actes des Français, les récentes protestations en France sont porteuses d'un message bien plus important que les sujets abordés précédemment. Ces manifestations n'ont pas d'aspect syndical et ne visent pas à résoudre un problème de subsistance. Ce mouvement ne rassemble guère à celui des Gilets jaunes qui a secoué la France pendant des mois. C'est un soulèvement politique contre la structure gouvernementale et vise à changer la situation générale de la France. Loin de certains événements qui s'y sont déroulés, il s'agit d'un soulèvement qui cherche à réhabiliter les droits bafoués d’une catégorie importante de la société française.

Etant donné que la France possède un aspect symbolique et idéaliste pour les autres pays européens et tout comme la Révolution française du 19e siècle s'est propagé au reste du continent, les changements substantiels dans la structure politique actuelle de la France pourraient faire tâche d’huile en Europe. Bien que la raison des protestations soit apparemment due au meurtre d'un adolescent de 17 ans, derrière cette affaire sous-tend de grands défis qui laissent entrevoir les cicatrices mal fermées des années, des décennies passées voire même l'histoire du colonialisme français.

Les revendications des jeunes contestataires français, quelles qu'en soient l’apparence, puisent leur origine dans une quête de liberté et la contestation des injustices. Il y a une dizaine d'années, dans une lettre adressée aux jeunes d'Europe et d'Amérique du Nord, le Leader de la Révolution islamique, l’honorable Ayatollah Khamenei, énumérait une liste d'actions honteuses de l'Occident, en particulier de l'Europe, dont des mesures répressives contre des personnes de couleur et non-chrétiens, l'esclavage, occupation des pays et colonisation des nations. Les récents mouvements en Europe en particulier en France sont ainsi l’expression de la colère refoulée d’une génération de jeunes de plus en plus victimes de l’oppression et des injustices.

 

Ghorban-Ali Khodabandeh est journaliste indépendant et analyste politique iranien basé à Téhéran.

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SOURCE: FRENCH PRESS TV