Bloomberg a lancé une bombe jeudi. Citant des sources de haut rang au courant des discussions américano-allemandes lors de la Conférence sur la sécurité de Munich le mois dernier, l’agence de presse a révélé que le vice-président américain Mike Pence a tenté de persuader la chancelière allemande de provoquer directement la Russie en envoyant des navires allemands dans le détroit de Kerch.
Merkel n’aurait pas consenti à de tels agissements, les rejetant comme « une manœuvre navale dans l’arrière-pays de la Russie destinée à provoquer le président russe, Vladimir Poutine ». Selon des sources, Merkel aurait donc résisté aux pressions de Pence, citant les réserves exprimées par le président ukrainien Petro Porochenko qui considérerait cet acte comme « insuffisant » pour garantir que la Russie ouvre définitivement le détroit.
Le plan de Pence visait à « montrer à Poutine que les puissances occidentales ne renonceront pas à leur accès à ces eaux ».
Il est intéressant de noter que la position de Merkel ne repose apparemment pas sur une volonté de principe de promouvoir la paix ou d’empêcher des provocations inutiles qui pourraient potentiellement déclencher une guerre régionale entre l’Ukraine et la Russie et les alliés occidentaux. Elle semble essentiellement fondée sur « l’insuffisance » de la mesure proposée par Pence contre Moscou.
Suite au référendum controversé de 2014 sur le statut de la Crimée qui a abouti à ce que la péninsule passe sous la suzeraineté de la Russie, cette dernière a été accusée de restreindre l’accès de la marine ukrainienne à ses ports sur la mer d’Azov, au nord du détroit de Kerch.
Le sujet a atteint son paroxysme en novembre dernier lorsque la marine russe a arrêté trois navires ukrainiens et les 24 matelots à bord, alors qu’ils tentaient de traverser le détroit.
En outre, comme le note Bloomberg, la Russie a achevé la construction d’un pont routier traversant le détroit de Kertch afin de consolider les liens de la Crimée avec le continent et elle serait en train d’y ajouter une voie ferroviaire. Dans le même temps, Kiev a essayé de rallier ses alliés internationaux à une campagne de pression qui obligerait la Russie à ouvrir le détroit aux navires ukrainiens et aux autres navires alliés.
Cette réticence de l’Allemagne et de l’UE à engager un conflit avec Moscou pour le contrôle de ce détroit révèle que l’influence de l’Ukraine sur les pays européens est très limitée. Un traité conclu en 2003 entre la Russie et l’Ukraine disposerait que la mer d’Azov est un plan d’eau « interne » pour lequel tout navire militaire extérieur doit avoir le consentement de Moscou et de Kiev pour passer.
L’Ukraine a récemment déclaré que la saisie par la Russie de navires et de membres d’équipage ukrainiens constituait une violation des termes de ce traité, ce à quoi Moscou a répondu que les navires ukrainiens avaient tenté d’agresser les navires russes.
Au cours des deux derniers mois, des navires militaires britanniques et américains sont entrés en mer Noire au sud du détroit de Kertch, mais aucun autre ne s’est aventuré dans la région depuis l’incident de novembre qui risquait d’entraîner la Russie et l’Ukraine dans un conflit direct impliquant les alliés occidentaux de Kiev.
« Franchement, ils ne nous aiment pas dans la mer Noire », a déclaré le général Curtis Scaparrotti, commandant suprême de l’OTAN pour l’Europe, devant la commission des forces armées du Sénat américain.
Scaparrotti a en outre appelé à acquérir une puissance de feu plus dissuasive, citant notamment la « menace russe » comme une chose pour laquelle les États-Unis restent sous-préparés. « Je ne suis pas encore à l’aise avec la politique de dissuasion que nous avons en Europe », a-t-il déclaré.
« Bien que les États-Unis maintiennent une supériorité militaire mondiale sur la Russie, les capacités en développement de la Russie menacent de miner notre avantage militaire concurrentiel », a-t-il expliqué.
Ainsi, de l’aveu même du commandant suprême des forces alliées en Europe, ni les troupes américaines ni les alliés européens de l'Amérique, tels que l’Allemagne et la France ne sont prêts à s’engager dans une confrontation majeure avec Moscou dans sa propre arrière-cour alors qu’il semble que le vice-président américain est quant à lui bien disposé à le faire.