Le rédacteur en chef du quotidien Rai al-Youm et expert renommé du monde arabe Abdel Bari Atwan s’est penché, dans un article, sur les évolutions de la Turquie dont et surtout les élections législatives et présidentielles prématurées qui se dérouleront ce dimanche 24 juin.
« Des dizaines de millions d’électeurs turcs se rendront, ce dimanche 24 juin, aux urnes pour élire leurs députés favoris et un président aux prérogatives absolues. Recep Tayyip Erdogan fait face à l’une des plus grandes épreuves de sa vie politique de 15 ans où il ressemblait à un roi incontestable sans avoir un vrai rival. L’intervention militaire et politique d’Ankara en Syrie et en Irak, la lutte qu’a lancée la Turquie contre les Kurdes, les relations tendues qu’entretient l’AKP (parti au pouvoir) avec l’Union européenne et les États-Unis et l’afflux de 3,5 millions de réfugiés syriens fournissent de grands prétextes aux détracteurs de Recep Tayyip Erdogan qui attaquent, à toute occasion, ses politiques. Parmi les promesses électorales, les plus importantes sont le réchauffement des relations entre la Turquie, l’Égypte et les monarchies riches du golfe Persique notamment l’Arabie saoudite, le retrait des militaires turcs de l’Irak et de la Syrie, le rétablissement des relations diplomatiques avec le gouvernement Assad et le retour des réfugiés syriens dans leur pays.
Le président turc accuse implicitement l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis d’être à l’origine de l’effondrement de la monnaie turque face au dollar.
La presse d’opposition, en Turquie, qui se trouve dans un état de fortes censures depuis le coup d’État manqué en 2015, reflète une atmosphère d’optimisme sans précédent et fait part de la volonté populaire pour le changement, la liberté, une justice indépendante, l’indépendance des pouvoirs, les réformes politiques et économiques et la normalisation des relations d’Ankara avec l’Europe et les pays du golfe Persique. Cependant, l’espoir et la réalité ne sont pas toujours conformes.
Il existe cinq scénarios qui pourraient se produire dans les élections turques :
1- La victoire du Parti de la Justice et du Développement (AKP) et son chef Recep Tayyip Erdogan au premier round des élections présidentielles et l’obtention de la majorité des sièges du Parlement (plus de 30 sièges), ce qui signifie un Erdogan qui gouvernera pendant les sept années à venir.
2- Erdogan sera obligé de ne rester qu’en lice au deuxième round des élections faute d’obtention de la moitié des sièges du Parlement. Ses chances sont plus fortes que celles de son rival qu’est Muharrem Ince. Cependant, le résultat des élections législatives pourra influencer les élections présidentielles.
3- Erdogan sera élu président de la Turquie, mais son parti perdra la majorité au Parlement. Dans ce cas-là, la Turquie entrera dans une phase d’instabilité qui poussera Erdogan à organiser un nouveau scrutin en 2019. C’était le cas en 2015.
4- Muharrem Ince, candidat de l’opposition, gagnera les élections et son parti gagnera la majorité des sièges du Parlement. Ce qui signifiera la fin du règne de l’AKP. Dans ce cas-là, les alliances régionales et internationales qu’Ankara avait scellées subiront de profonds préjudices, la Constitution pourra faire l’objet de sérieux amendements et le système parlementaire remplacera de nouveau le système présidentiel.
5- L’opposition remportera les élections présidentielles et l’AKP remportera les élections législatives, ce qui aboutira au chaos et à l’instabilité en Turquie puisque ces deux parties ne peuvent pas coexister pacifiquement. Une telle situation renforcera les chances d’un nouveau coup d’État avec comme objectif, l’ordre et la sécurité dans le pays.
Il est difficile de préférer l’un de ces scénarios à l’autre d’autant plus que Recep Tayyip Erdogan et son parti bénéficient toujours d’une grande popularité. Dans le même temps, Erdogan n’exclut pas, pour la première fois, la possibilité de la mise en place d’un gouvernement de coalition qui pourrait refléter les tendances de nouveaux députés au Parlement. Erdogan, intransigeant dans ses positions, ne cède pas facilement. Ce qu’il cherche est une puissance absolue jusqu’à la fin de sa vie.
Quel que soit le résultat de ces élections, un Erdogan après le scrutin ne sera pas le même qu’avant. Son pouvoir diminuera sans doute étant donné la dureté de ses ennemis et leurs tentatives destinées à renverser le président sortant », indique Abdel Bari Atwan.