Abdel Bari Atwan, rédacteur en chef du quotidien Rai al-Youm se réfère dans son numéro d'aujourd'hui 6 novembre au discours d'hier du secrétaire général du Hezbollah et propose son analyse sur ce qui se passe au Liban. L’éditorialiste évoque "l'angoissante attente" qui s'est emparée de la société libanaise après l'annonce-surprise de la démission de Saad Hariri et les interrogations que les Libanais se posent au sujet d'une guerre à venir.
" C'est en réponse à toutes ces questions légitimes que Hassan Nasrallah a pris la parole avant d'appeler tous les Libanais au calme et à la sérénité. Avant lui, ce fut Riyad Salama, gouverneur de la banque centrale du pays qui a assuré la population en affirmant que la livre ne s'est guère dépréciée et qu'il n'existe aucune raison pour que la monnaie nationale soit dévaluée," lit-on dans la première partie de l'article où l'auteur précise que Nasrallah n'a pas totalement rejeté l'existence d'un plan saoudien pour une intervention militaire au Liban et que ce plan lui parait bien irréaliste vu la purge à laquelle s'est livré le pouvoir politique à Riyad et qui a valu à des dizaines d'anciens ministres et princes et hommes d'affaires de faire une expérience carcérale (!).
Rapportant les propos de Nasrallah selon qui le Liban ne partage aucune frontière commune avec l'Arabie saoudite et que par conséquent Riyad n'aura d'autre choix que de passer par Israël s'il veut attaquer militairement le pays de Saad Hariri, le journaliste précise qu'Israël ne reçoit pas d'ordres de Riyad, mais de Washington. "Tout mercenaire et mercantile qui soit, le régime israélien ne s'aventurera guère à déclencher un conflit contre le Liban sur l'ordre des rois et roitelets saoudiens".
Atwan s'intéresse ensuite à l'étrange " séjour saoudien" de Hariri : " Le seul pays à s'éclater de joie à l'annonce de la démission de Hariri a été Israël. Cet enthousiasme pourrait avoir une autre explication : l'envie mortelle de Tel Aviv de régler une bonne fois pour toutes ses comptes avec le Hezbollah qu'il cherche, en vain, depuis 2006 à vaincre. Mais ceci est une autre paire de manches. Car la démission de Hariri a été décidée à Washington et mise en œuvre par Riyad. Saad s'est tragiquement trouvé devant un double choix : détention ou démission. Et pour lui, il n'existait pas une troisième alternative."
Atwan n'écarte pas d'ailleurs la possibilité pour Hariri de subir les foudres de Riyad et de "se trouver lui aussi en prison" : "il est peu probable que Hariri regagne Beyrouth d'autant plus qu'il a la nationalité saoudienne et qu'à ce titre, devra avoir l'autorisation de Ben Salmane pour quitter le pays. Après tout, il n'est pas plus haut placé que le chef de la garde nationale, Motaab Ibn Abdellah, ou encore le fortuné prince Walid Ben Tilal dont les avoirs sont estimés à quelque 26 milliards de dollars et qui a des liens de sang avec les Saoud. Il est donc fort possible que Hariri soit arrêté et mis en détention. Car quiconque travaille dans le secteur de la construction et Hariri en fait partie, est désormais en ligne de mire".
Dans la seconde partie de l'analyse, Atwan évoque l'hypothèse d'une action militaire contre le Liban, action qui sans l'aide des alliés serait plus qu'impossible pour une Arabie empêtrée au Yémen : " Qui pourrait être ce précieux allié ? L'Égypte de Sissi? Difficile de répondre de façon affirmative. Car Le Caire a affirmé à plus d'une reprise qu'il n’enverrait pas de troupes à l'étranger et c'est d'ailleurs pour cette même raison qu'il a refusé de participer à l'offensive contre le Yémen. Sissi sait mieux que quiconque qu'une confrontation militaire contre l'Iran et le Hezbollah ne servirait pas les intérêts de l'Égypte. Mais a-t-il le choix ? S'il est parvenu à se désister de la guerre contre le Qatar, rien ne dit qu'il puisse en faire autant face à l'Iran, lui qui se dit "allié indéfectible" de Riyad, de Manama et d'Abou Dhabi.
L'Arabie saoudite telle que nous la connaissons aujourd'hui, est sans doute bien différente de celle d'il y a 80 ans, tout comme les ennemis contre lesquels elle veut mener la guerre : le Hezbollah s'est muté au bout de sept ans de guerre en Syrie et l'Iran est, qu'on le veuille ou pas, une puissance régionale. Alors une nouvelle « tempête décisive » contre le Liban a-t-elle une quelconque chance d’être une victoire ?