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Comment l’Iran a brisé la dissuasion israélienne et redéfini les règles d’engagement

US Rep. Ilhan Omar (D-MN) (L) talks with Speaker of the House Nancy Pelosi (D-CA) during a rally with fellow Democrats before voting on H.R. 1, or the People Act, on the East Steps of the US Capitol on March 08, 2019 in Washington, DC. (AFP photo)

Par Syed Jaleel Hussain

L’Asie de l’Ouest est l’une des régions les plus instables au monde. Contrairement à la propagande occidentale, la stratégie militaire et l’imprudence du régime israélien sont au cœur de cette instabilité.

En d’autres termes, Israël est structurellement incapable de faire preuve de retenue.

En raison de la taille très réduite du territoire qu’elle occupe, l’entité sioniste ne dispose pas de la profondeur stratégique nécessaire pour absorber une attaque conventionnelle de grande envergure sans endommager massivement ses infrastructures industrielles, militaires et civiles.

Pour imaginer cela en termes relatifs, la taille totale du territoire occupé par Israël, d’environ 22 000 kilomètres carrés, est plus petite que la province de Mazandaran, dans le nord de l’Iran. C’est une énorme différence. Malgré le caractère high-tech de la guerre moderne, la guerre en Ukraine a démontré l’immense utilité de la taille territoriale et les avantages stratégiques qu’elle peut offrir.

Conscient de cet immense écart structurel, Israël a soigneusement manœuvré dans un voisinage qui n’a pas pleinement accepté son occupation militaire des territoires palestiniens. Il a doctrinalement adopté la stratégie de domination par escalade.

Autrement dit, si un État décide d’attaquer Israël ou riposte à ses attaques, il est équipé et disposé à gravir très rapidement l’échelle de l’escalade.

Il s’agit d’une dissuasion par des sanctions massives et c’est particulièrement la stratégie israélienne depuis la guerre de 1967 avec les États arabes. Depuis lors, Israël a eu recours à des mesures préventives pour dissuader ses adversaires.

L’armée israélienne possède certaines des armes les plus destructrices de la région, principalement en raison de l’énorme aide économique fournie par les États-Unis, qui a dépassé les 300 milliards de dollars. Aucun des États alliés des États-Unis n’a jamais reçu une aide d’une telle ampleur.

De plus, 500 millions de dollars par an sont prévus pour la collaboration sur divers programmes de missiles israéliens. Le gouvernement américain a également accepté de fournir à Israël près de 4 milliards de dollars par an jusqu’en 2028, ainsi que des milliards de dollars de financement supplémentaire pour décimer Gaza.

Cela l’a aidé à construire un complexe militaro-industriel massif et une capacité offensive surdimensionnée qui l’aide à effrayer les pays de la région avec des coûts potentiellement élevés.

L’armée israélienne n’a pas hésité à recourir à sa stratégie hautement déstabilisatrice, même lorsque l’infrastructure nucléaire est impliquée. L'exposé le plus clair de cette stratégie est la doctrine Begin, qui trouve son origine dans la frappe de 1981 contre le réacteur nucléaire irakien d'Osirak.

La frappe a été un succès précisément parce que l’Irak ne disposait pas de la puissance de feu nécessaire pour engager et soutenir une escalade de frappe contre Israël. Israël était sûr d’établir très rapidement une domination sur l’Irak, surtout lorsque Saddam Hussein était déjà sur le point d’envahir l’Iran.

La récente attaque israélienne contre le consulat iranien n’a pas été différente. Elle était conforme à sa stratégie éprouvée consistant à mener des frappes déstabilisatrices dans la région sans craindre de conséquences graves. Israël a peut-être également mis à l’épreuve la volonté politique des responsables iraniens.

Une éventuelle frappe de représailles de l’Iran ne semble pas être une mauvaise option pour Benjamin Netanyahu. Cela contribuerait à détourner l’attention internationale de sa campagne génocidaire à Gaza et à inciter les Américains à un soutien manifeste et à une implication militaire précipitant une guerre régionale.

Au cours des deux dernières décennies, Israël a tenté d’inciter les États-Unis à entrer en guerre contre l’Iran afin d’affaiblir sa seule véritable menace stratégique dans la région.

Au lendemain de l’attaque sans précédent contre le consulat iranien en Syrie, l’objectif stratégique des deux parties était donc indéniablement antipode : les Israéliens avaient besoin d’une réaction instinctive pour une escalade catastrophique et, les Iraniens devaient planifier une frappe dissuasive sans risque d’escalade.

Au grand dam du cabinet belliciste de Netanyahu, l’Iran a réussi à réaliser les deux avec brio.

Pour la première fois depuis la création du régime israélien illégitime, un État de la région a pu démontrer ses capacités offensives et la totale vulnérabilité d'Israël face à des frappes réalisées avec une remarquable prouesse, brisant ainsi [le mythe de] la dissuasion israélienne tant vanté et lui infligeant des dégâts coûteux. Cela semble extrêmement effrayant et frustrant pour le régime de Tel-Aviv soutenu par l’Occident.

L’Iran était bien conscient de l’impact massif de ses représailles sur le psychisme de l’armée israélienne ainsi que du potentiel d’escalade.

Téhéran comprend que dans ses efforts pour rétablir la dissuasion et agir selon la doctrine inefficace de Begin, Israël pourrait être tenté d’attaquer l’infrastructure nucléaire iranienne.

Afin d’éviter que cela ne se produise, l’Iran a utilisé une stratégie à deux volets : établir fermement ses capacités offensives et communiquer avec insistance sa réponse potentielle à toute erreur aventureuse des Israéliens.

« Erreur », c’est ainsi que le Leader de la Révolution islamique, l’Ayatollah Seyyed Ali Khamenei, a qualifié la frappe israélienne contre le consulat iranien à Damas, survenue le 1er avril 2024.

Afin de minimiser les dégâts, l’Iran a délibérément négligé l’élément le plus important de la pensée militaire : la surprise opérationnelle. L’objectif n’était pas de maximiser les dégâts mais de renforcer la dissuasion, de redéfinir les lignes rouges et de réécrire les règles d'engagement avec Israël.

Malgré l'aide massive des alliés occidentaux de Tel-Aviv, les multiples frappes réussies de l’Iran, notamment sur la base de Nevatim, ont été particulièrement significatives étant donné que la base abrite les extrêmement coûteux F-35, le plus grand atout de l'armée de l'air israélienne et, est protégée par la défense antimissile la plus dense au monde, notamment le radar en bande X TPY-2, l'un des moyens américains « les meilleurs et sans faille » pour détecter les missiles balistiques.

C’est pourquoi les frappes contre Nevatim ont particulièrement effrayé les stratèges israéliens et américains. De cette manière, le premier volet de la stratégie iranienne a été réalisé avec succès.

Le deuxième volet était lié à la communication claire des coûts potentiels en cas de franchissement des lignes rouges nouvellement définies par Téhéran.

Cela a été fait par un haut commandant du CGRI qui a mis sévèrement en garde contre une révision de la « doctrine et des politiques nucléaires » établies par l’Iran. Cela signifie deux choses.

Premièrement, l’Iran n’hésitera pas à attaquer directement l’infrastructure nucléaire d’Israël. La décision de l’Iran d’attaquer la base militaire de Nevatim, très proche du Centre de recherche nucléaire du Néguev, l’épicentre de la production d’armes nucléaires israéliennes, a fortement établi cette capacité offensive.

Deuxièmement, cela pourrait signifier que l’Iran laisse entendre qu’il franchira ses propres lignes rouges en matière d’armes nucléaires en cas d’éventuel chantage nucléaire de la part du régime israélien ou de ses alliés occidentaux.

N’oublions pas que l’Iran a fait preuve d’une remarquable retenue stratégique face aux graves menaces sécuritaires de l’Occident depuis 1979.

De nombreux États confrontés à de telles menaces contre leur souveraineté et leur intégrité territoriale ont construit des armes nucléaires pour leur sécurité. Cela inclut la Chine dans les années 1960, l’Inde et le Pakistan dans les années 1990 et la Corée du Nord au début des années 2000.

L’Iran n’a pas emboîté le pas, ses hauts dirigeants rejetant l’acquisition d’armes nucléaires.

Au lieu de cela, l’Iran a opté pour la stratégie de couverture nucléaire qui exige qu’un État maîtrise la technologie sans franchir le seuil nucléaire. Le communiqué du CGRI laisse entendre que l’Iran pourrait être disposé à franchir ce seuil au cas où son infrastructure nucléaire serait attaquée.

L’attaque audacieuse des représailles réalisée le  14 avril a déjà mis en évidence la nouvelle posture affirmée, le changement de calcul en matière de sécurité et l’appétit pour le risque, chez les dirigeants iraniens et pour définir de nouvelles lignes rouges ainsi que les coûts potentiels de leur franchissement.

L’immense pression exercée par Joe Biden sur Israël pour qu’il s’abstienne de franchir l’une de ces lignes rouges nous montre que les États-Unis comprennent parfaitement que l’Iran ne bluffe pas.

Syed Jaleel Hussain est professeur au Centre Nelson Mandela pour la paix et la résolution des conflits, Université Jamia Millia Islamia, New Delhi.

(Les opinions exprimées dans cet article ne reflètent pas nécessairement celles de Press TV)

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SOURCE: FRENCH PRESS TV