La tournée cette semaine du ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov en Amérique latine est un autre exemple de la perte d’influence de la doctrine Monroe, pensée emblématique de la politique américaine envers la région depuis le XIXe siècle, rapporte Sputnik se référant à des analystes et à des politiciens.
Lors de sa visite au Brésil, au Venezuela, à Cuba et au Nicaragua, entre le 17 et le 20 avril, le ministre russe des Affaires étrangères a obtenu de nouveaux soutiens, a signé des traités de coopération, a même été témoin de la prise de position de quelques pays concernant les sanctions américaines contre Moscou et a même eu droit à une déclaration de neutralité concernant la guerre d’Ukraine.
Cela représente un revers pour la politique de Washington qui a historiquement traité l'Amérique latine comme son arrière-cour et, c’est un message direct aux États-Unis que la région est attachée à la neutralité, ont souligné divers experts et représentants politiques.
« La tournée de Lavrov est un défi pour Washington, dont les politiciens ont l'intention de remonter le temps de l'histoire de deux siècles lorsque les États-Unis ont proclamé la doctrine colonialiste Monroe avec laquelle ils ont supposé à tort qu'ils pourraient remplacer les empires britannique et espagnol en Amérique », a rapporté à Sputnik l'ancien ministre péruvien des Affaires étrangères, Héctor Béjar Rivera.
Le fondateur et ancien membre de l'Armée de libération nationale insurgée dans les années 1960 (à ne pas confondre avec le groupe colombien du même nom) soulignait que "le monde change rapidement et que de nouvelles puissances émergent tandis que l'Empire nord-américain lentement et irrémédiablement se décompose, se noyant dans le sang de ses crimes".
Il a estimé que la tournée de Lavrov a été un succès pour la région, car "depuis l'Amérique latine, il est très important et transcendant de faire savoir à Washington que nous ne sommes pas des subordonnés ou leur arrière-cour".
La doctrine Monroe, élaborée en 1823, est un principe de la politique étrangère américaine, synthétisée dans l'expression "l'Amérique aux Américains" qui cherchait initialement à s'opposer à tout colonialisme européen et à consolider l'hégémonie de Washington dans l'hémisphère.
Pas d'alignement automatique
Pendant ce temps, l'analyste brésilienne en relations internationales Regiane Nitsch Bressan et le directeur général du Centre équatorien d'études analytiques, Lester Cabrera, ont convenu que la tournée de Lavrov en Amérique latine a été un succès pour la Russie dès le début ; un succès concrétisé, puisqu'il remet en cause l'alignement tacite de la région sur les États-Unis et qu'il augure un rapprochement croissant de celle-ci avec Moscou.
« Les gouvernements de centre-gauche, majoritaires dans la région, représentent une opportunité pour la diplomatie russe de débloquer quelque peu cet extrémisme diplomatique pour le transformer en neutralité ; en soi, un clair triomphe pour la diplomatie de Moscou », a précisément dit Cabrera.
Pour Nitsch Bressan, le fait que Lavrov se soit rendu au Brésil montre qu'il n'y a plus de positionnement automatique en faveur des États-Unis et de l'Europe chez le géant sud-américain et chez les autres aussi de la région.
« Les pays (d'Amérique latine) disent au monde qu'ils restent neutres, qu'ils ne soutiennent pas les États-Unis et l'UE (Union européenne), ce qui est beaucoup, compte tenu du fait que Washington a toujours été un partenaire clé pour l'Amérique latine », a-t-il dit.
Brésil et Russie
L'un des moments les plus importants de la tournée de Lavrov en Amérique latine a été sa visite au Brésil, un pays clé au niveau régional en raison de sa taille économique et géographique.
Après la visite de Lavrov, une source du ministère brésilien des Affaires étrangères a déclaré à Sputnik que son pays considère que la relation avec la Russie est "solide et traditionnelle", c'est pourquoi il s'est engagé dans un "large dialogue".
De même, cette source a souligné que les deux pays ont un "échange commercial intense" et assuré que les produits russes sont "stratégiques pour l'agriculture brésilienne".
Pendant ce temps, le président brésilien Luiz Inacio Lula da Silva a proposé de créer un format similaire au Groupe des Vingt (G20) pour discuter de la situation en Ukraine. Plus tôt, il a exhorté les États-Unis et l'Europe à commencer à travailler pour la paix en Ukraine au lieu d'alimenter le conflit.
Les déclarations de Lula ont provoqué un malaise à Washington : le porte-parole de la Maison Blanche, John Kirby, a déclaré que le président brésilien « répète comme un perroquet » la propagande de la Russie et de la Chine sur le conflit en Ukraine sans même s'arrêter d'étudier « les faits ».
Cabrera a estimé que la réaction américaine est due au fait que le rapprochement actuel du Brésil avec la Russie peut servir d'exemple à d'autres pays d'Amérique latine et faire du géant sud-américain une "porte d'entrée" de Moscou dans la région.
« Le fait que le Brésil puisse parvenir à une meilleure position avec la Russie peut être considéré comme une sorte d'exemple ou de cas à suivre. Cela peut ouvrir une formidable fenêtre d'opportunité pour que d'autres pays manifestent leur intérêt à commercer avec la Russie. Ce rapprochement entre la Russie et le Brésil, ce serait un exemple à suivre ou à influencer d'autres pays d'Amérique latine pour qu'ils se rapprochent de la Russie (...) Le Brésil pourrait être la porte d'entrée de la Russie vers l'Amérique latine », a-t-il dit précisément.
Autres accords
Pendant son séjour au Venezuela, Lavrov a fait des progrès aussi dans la mise en œuvre avec les Caraïbes du système de paiement Mir, créé par Moscou pour éviter de bloquer les transferts en raison de sanctions et grâce auquel les comptes personnels des banques russes sont accessibles via un réseau de distributeurs automatiques de billets ou en ligne.
De même, le ministre russe des Affaires étrangères a évalué avec son homologue vénézuélien, Yván Gil, les moyens d'augmenter l'importation et l'exportation de denrées alimentaires et il a annoncé que les deux pays progresseront dans les domaines énergétique, financier, de la coopération commerciale et de l'interconnexion aérienne et maritime.
Le Nicaragua comme plate-forme
Le représentant commercial de l'ambassade de Russie à Managua, Piotr Pankratov, a déclaré à Sputnik que la visite du ministre russe des Affaires étrangères montrait que Moscou souhaitait que le Nicaragua soit une "plate-forme" en Amérique latine pour la coopération en matière de santé.
« Il est très intéressant que le Nicaragua devienne peu à peu une bonne plate-forme de coopération dans le domaine de la santé. La Russie a signé plusieurs accords de coopération avec le Nicaragua sur les questions de médecine nucléaire et la création de vaccins (...) Cette coopération est également utile pour les voisins (...) Je pense que notre coopération bilatérale avec le Nicaragua est également importante pour toute la région latino-américaine », a-t-il déclaré.
Le 20 avril, l'Institut latino-américain de biotechnologie Mechnikov, fruit de la coopération entre la Russie et le Nicaragua, a confirmé qu'il avançait dans la création du vaccin anti-grippal Fluenz, l'un des trois produits à l'usine de Managua.
Le représentant a estimé que les progrès qui seront observés au Nicaragua sont positifs pour la région, car ils impliquent une plus grande indépendance vis-à-vis des États-Unis et d'autres pays.
À La Havane, Lavrov a déclaré que la Russie et Cuba avaient beaucoup en commun, notamment dans la position contre les sanctions imposées par Washington.
« Nous ne pouvons pas accepter que le monde continue de vivre en permanence selon ces règles américaines (...) qui reflètent un désir de perpétuer les méthodes coloniales consistant à vivre des autres et à éliminer les concurrents », a-t-il souligné.