L'armée américaine cherche à contrer l'apparence d'un affaiblissement, affirmait le 10 avril la presse française, renvoyant en termes à peines voilés à la crise existentielle qui secoue en ce moment même l'un des principaux piliers de l’expansionnisme militaire US au Moyen-Orient et à travers le monde à savoir, la marine US. Mark Milley a dit au cours d'une téléconférence destinée aux forces américaines ceci : "J'espère que personne dans le monde ne croit que les capacités de l'armée américaine sont sérieusement affaiblies (par la Covid-19). Ce n'est pas le cas. Nous sommes prêts, quelle que soit la menace".
Alors que l'USS Theodore Roosevelt vient de connaître l'une des premières démissions de masse de marines US dans la foulée de l'affaire du capitaine Crozier, une affaire qui a fini par coûter sa place au chef de l'US Navy Thomas Modley et que l'USS Nimitz risque instamment sous peu de revivre ce même processus de défection, les propos du général Milley ont du mal à convaincre. Pour de nombreux observateurs la Covid-19 masque une crise encore plus profonde qui n'est pas sans rapport avec ce que les Etats Unis d'Amérique vivent dans la région du golfe Persique face à cette puissance émergente qui s'appelle l'axe de la Résistance.
Qu'un simple virus ait réussi à mettre hors service des bâtiments de guerre stratégiques dotés des systèmes d'arme de 88 000 tonnes, comme le sont l’USS Theodore Roosevelt (CVN-71) ou encore le porte-avions US polyvalent de classe Nimitz, cela ne fait que prouver la vulnérabilité d'une marine US déjà portée au grand jour non seulement pendant la guerre des pétroliers en été 2019 mais encore et de façon intermittente, chaque fois qu'il y a un face-à-face USA/Iran dans le golfe Persique. Il y a quelques jours, l'USS Bataan, navire d'assaut amphibie US s'est fait intercepter par la marine iranienne quand il s'apprêtait à traverser le détroit d'Hormuz. Evidemment, il n'y a pas eu de débarquement des commandos iraniens à bord du navire comme dans le cas du pétrolier britannique Steno Imepro mais, on en était pas loin surtout que des rangées entières de missiles côte-mer iraniens, déployées depuis une semaine à Qeshm, meurent d'envie pour en découdre.
#IRGC filmed the USS Bataan entering the Strait of Hormuz several days ago #Iran pic.twitter.com/zmtSiJ1bWS
— Last Defender (@LastDef) April 5, 2020
Sur les images que les analystes militaires US, y compris le général Milley, auraient dû voir et revoir ces derniers jours, un aéroglisseur de type de "Tondar" de la marine iranienne s'approche très lentement du gros bâtiment US qui compte à son actif l'invasion de 2003 de l'Irak, l'invasion de 2011 de la Libye. Ce que la vidéo ne montre pas très clairement c'est que le hovercraft iranien est doté de deux missiles de croisière de type Nour d'une portée de 120 kilomètres. C'est un tout petit engin de 6 mètres de long et de 36 centimètres de diamètres dont le poids ne va pas au-delà de 750 kilogrammes. Certes il est anti-blindé avec une vitesse de mach 0/9 et une altitude de vole de 20 à 30 mètres par rapport à la surface de la mer mais sa charge de 165 kilogrammes est de type "hautement explosive", ayant un fusible à retardement. Or ces mêmes caractéristiques qui auraient visiblement poussé l'USS Bataan à traverser docilement le détroit d'Hormuz, façon d'éviter à ne pas avoir à voir sa cuirasse de fer être pulvériser sous une salve de missiles Nour.
L'officier US, Scott J. Harr, le reconnaît d'ailleurs dans les colonnes de The National Interest quand il dit ce 4 avril : "La force asymétrique iranienne à travers le Moyen-Orient a constamment dépassé et dépasse toujours les efforts américains dans la région. Du Liban à l'Irak et à la Syrie, et s'étendant vers le sud jusqu'au Yémen, les partenaires de l'Iran consolident leurs acquis - souvent aux dépens et en dépit des efforts américains - tout en exerçant une influence sans précédent dans la région. En effet, les experts parlent maintenant des «axes de résistance» liés à l'Iran et qui empiètent sur les frontières nord et sud d'Israël. La somme de ces dynamiques à travers le Moyen-Orient rend une chose très claire: l'armée américaine est dans un désavantage concurrentiel décisif dans ce domaine."
L'aveu est trop cuisant surtout qu'il vient d'un militaire ayant cumulé trois expériences dans le golfe Persique. Ce même auteur renvoyait il y a peu à une comparaison de A2/AD irano-américain, estimant que la frappe au missile balistique de 8 janvier du CGRI contre Aïn al-Asad avait posé en tout acuité une nécessité, celle d'un "changement de mode de guerre américaine", basée au sol sur une présence multiple des bases de concentrations de troupes et en mer, sur une présence multiple des navires de guerre.
Il y écrit : "l’Iran a montré que la défense antimissile américaine fait défaut d'où sans doute la décision de l'état-major US de déployer des batteries de missiles Patriot à Aïn al-Asad et à Erbil. Mais n'est-ce pas un peu décalé? Au Yémen, les alliés houthis de l'Iran ont prouvé à plus d'une reprise que le système PAC ne répond pas comme il faut à sa mission à savoir celle de contrer les missiles de croisière, les drones et les missiles de courte et de moyen-portée. En Israël non plus, le Dôme de fer n'a jamais trop brillé par sa performance à endiguer des roquettes palestiniennes. Avant même que les batteries de missiles Patriot n'arrivent à Aïn al-Asad et à Harir à Erbil, une vidéo visiblement tournée par le CGRI ou encore ses alliés irakiens ont porté à la connaissance du monde entier les détails de l'ensemble des travaux de réaménagement de l'US Army dans ces deux bases. D'une redoutable précision, on y voit jusqu'à l'emplacement des hélicoptères, des F-35, des radars des Patriot. Ce qui prouve que nos adversaires ont déjà une longueur d'avance sur nous et que nous agissons sous leur étroite surveillance".
Et l'article d'ajouter : "En langage militaire cela veut dire que quelque chose a changé, et ce quelque chose est notre primauté militaire sur l'adversaire. L'attaque au missile iranienne du 8 janvier a lancé une vaste polémique, donnant surtout la voix à ce qui croient qu'il est temps de changer notre vision du monde. La Covid-19 nous en fournit l'occasion : la réduction importante du nombre de bases militaires, la réduction de la taille des missions extraterritoriales de l'US Navy pourraient faire partie de ce re-fondement stratégique. Les Iraniens ont réussi à faire imposer un concept de guerre parfaitement nouveau qui nous oblige à changer de méthode. Ni nos batteries Patriot et THAAD en Arabie saoudite ni nos Patriot à Aïn al-Asad ne pourront faire revenir cette primauté. La guerre iranienne contre les Etats-Unis et leur domination au Moyen-Orient, s'est démocratisée, sur fond d'une stratégie asymétrique bien calculée. Et elle commence à apporter ses fruits".