D’une superficie de quelque 30 620 kilomètres carrés, la province stratégique d’al-Jawf est située dans le nord du Yémen et partage 700 kilomètres de frontières avec le sud de l'Arabie saoudite, soit avec cette région baptisée le Quart vide qui inclut des dizaines de puits de gaz et de pétrole. Elle se trouve en outre à proximité de la province de Saada, la plus importante base de la Résistance yéménite. D'où la décision bien rapide des stratèges d'Ansarallah d'y installer leur système de DCA, en vue d'en faire le noyau de ce que d'aucuns qualifient de "bulle de défense aérienne" d'Ansarallah. Cette bulle de DCA tend désormais à s'étendre aussi à Maarib, où des avions de la "coalition" ont été chassés cette semaine à deux reprises. Al-Jawf se situe donc au sud à la proximité de Maarib, et à l'est , dans le voisinage de la province désertique de Hadramaout puis à Oman, ce qui a multiplié son importance.
A quatre jours du sixième anniversaire de la guerre déclenchée par la coalition arabo-occidentale, la libération d'al-Jawf où des centaines de mercenaires étrangers se battaient sous le drapeau saoudien est plus qu'un simple gain militaire. Quelques 54 raids au drone et au missile ont été nécessaires pour qu'al-Jawf tombe et offre à la Résistance un champ de tir unique dans son genre, un rectangle de 1 000 kilomètres de longueur et 500 kilomètres de largeur et située quelque part entre Oman et les Émirats arabes unis.
Mais quelle a été la stratégie militaire d'Ansarallah?
Les combattants de la Résistance yéménite ont pris le contrôle de parties critiques de la province le 10 mars, s'appuyant sur des victoires récentes qui leur ont donné le contrôle du district stratégique de Nehm, à l'est de la capitale, Sanaa, et du district de Hazm, le chef-lieu de la province d'al-Jawf. Ils ont également repris le contrôle du district d'al-Ghail adjacent à Hazm dans le nord-est du pays. La Résistance savait parfaitement qu'il fallait faire "engluer" les forces ennemies et contrer son avancée: elle s'est appuyée donc sur "les contre-attaques éclair et précise", "des guet-apens singuliers et constants", "des pièges explosifs", soit des tactiques visant à épuiser les forces de la coalition. Et le déclin des mercenaires pro-Riyad a fait le reste. Un vaste travail des unités de renseignement d'Ansarallah a accéléré les choses.
La divergence idéologique entre les mercenaires fait partie de l’une des raisons de leur échec face aux combattants d’Ansarallah. Beaucoup de spires sont affiliés au Parti al-Islah (les Frères musulmans), d'autres forces sont fidèles au Parti politique du Congrès général du peuple dirigé par le lieutenant-général Sagheer ben Aziz, chef d'état-major de l’armée du président fugitif Mansour Hadi, un "cocktail invivable".
Pour l'Arabie saoudite qui devrait accueillir le sommet du G20 cette année, la chute d'al-Jawf est une terrifiante nouvelle. Surtout que Maarib n'est pas loin avec ses multiples sites pétroliers appartenant aux Américains et aux Britanniques qui pourraient tomber entre les mains d'Ansarallah, servant au Yémen de sources de revenus. A al-Jawf, Ansarallah a vécu donc sa mue stratégique : Il y a abattu le 14 février un jet Tornado britannique dans le district d'al-Masloub, pris pour cible les installations du géant pétrolier saoudien Aramco dans la ville industrielle de Yanbu le 21 février en tandem avec la bataille d'al-Jawf, tout en pulvérisant un coriace adversaire, al-Islah.