Ce qui s'est passé il y a deux jours en Floride est absolument inouï : voici un jeune officier saoudien en qui le Pentagone a pleinement confiance au point de lui ouvrir la porte de l'une de ses plus grandes bases aéronavales abritant 16 000 soldats et qui, par un moment d'extrême lucidité, comprend où se place le mal : « Je suis contre le mal, et l'Amérique dans son ensemble s'est transformée en Nation du mal », a tweeté l'officier Mohammad al-Shammirani avant d'ouvrir le feu sur les militaires US.
Jeudi, la presse américaine a fait part de l'intention de Trump d'envoyer en Arabie saoudite 14 000 militaires supplémentaires pour « défendre l'Arabie contre l'Iran » avant que le secrétaire américain à la Défense n'y revienne ce samedi en précisant que le nombre de militaires américains déjà déployés au Moyen-Orient (130 000) est suffisamment élevé pour pouvoir « intimider l'Iran » et « l'empêcher de nuire aux Saoudiens ». Sauf qu'à voir de plus près l'acte commis par Shammirani, la nuisance anti-saoudienne, l'armée saoudienne la place du côté US : En effet depuis 2015, date à laquelle les États-Unis et Israël ont poussé le régime de Riyad à déclencher la guerre contre son voisin yéménite, aucun jour ne passe sans que l'armée saoudienne ne se demande pourquoi une telle guerre a eu lieu alors que tout aurait pu se jouer autour de la table du dialogue.
Depuis le 14 septembre, date à laquelle une spectaculaire frappe au drone, œuvre d'Ansarallah et ses « amis saoudiens », a littéralement mis sens dessus dessous le trône saoudien et ses amis américains et israéliens, cette conviction ne cesse de gagner du terrain selon laquelle l’Amérique se moque de Riyad en lui vendant des armes de pacotille ; qu'elle ne lève le petit doigt que pour traire l'Arabie saoudite et l'humilier. Alors le « mal » comme le dit l'officier ne peut être l'Iran, somme toute, un pays musulman du Moyen-Orient avec qui l'Arabie devra se composer tôt ou tard.
Pour le reste, la manière par laquelle les Américains et leurs affidés royaux ont réagi à l'information donne entièrement raison à cette frange de l'armée saoudienne dont l'officier Shammirani est la voix. « Selon le Centre américain de surveillance des sites terroristes (SITE), le Saoudien ayant tué quatre personnes vendredi dans une base aéronavale en Floride avait publié avant son attaque des messages hostiles envers les États-Unis. Des responsables américains ont déclaré qu'ils avaient ouvert une enquête sur l'attaque. Au moins quatre personnes ont été tuées vendredi dans l'après-midi dans une fusillade survenue sur une base de l'US Air Force en Floride. Six autres citoyens saoudiens ont été interrogés, deux d'entre eux ayant filmé la scène dans son intégralité, dit par ailleurs le New York Times qui ne peut s’empêcher de rapporter aussi cette partie bien révélatrice du tweet de l'officier : « Je ne suis pas contre vous simplement parce que vous êtes américains, je ne vous hais pas à cause de vos libertés, je vous hais parce que chaque jour vous soutenez, financez et commettez des crimes non seulement contre les musulmans, mais aussi contre l'humanité ».
Shemmirani a sans doute pensé à tous ces corps déchiquetés de Yéménites sous les bombes US en envoyant ce tweet. La réaction précipitée de Trump au coup de fil du roi Salmane explique d'ailleurs à quel point la partie américaine se sent prise de court.
King Salman of Saudi Arabia just called to express his sincere condolences and give his sympathies to the families and friends of the warriors who were killed and wounded in the attack that took place in Pensacola, Florida....
— Donald J. Trump (@realDonaldTrump) December 6, 2019
Selon l'agence de presse officielle saoudienne SPA, le roi Salmane d'Arabie saoudite a en effet exprimé par téléphone sa « profonde tristesse » au président américain, Donald Trump et assuré le président américain du « soutien total » de son royaume, allié précieux de Washington dans la région, et « ordonné aux services de sécurité saoudiens de coopérer avec les agences américaines ». Ce qui veut dire très clairement que Riyad a donné le blanc-seing à une purge pro-US au sein de l'armée saoudienne. Selon les observateurs, l'acte commis par l'officier saoudien, une première dans son genre, constitue après l'attaque au drone du 14 septembre un deuxième avertissement. L'armée saoudienne, qui a cessé depuis bien longtemps de se battre pour les Salmane, en a assez et les tentatives intermittentes d'attaques contre le palais royal, « étouffées » par les médias en portent la preuve. À ce rythme rien ne dit que les 3 000 soldats US récemment débarqués en Arabie ou les 14 000 qui y débarqueront, selon certaines sources, auront la peau sauve. Et ce n'est pas forcément les missiles iraniens qui causeront leur perte, mais peut-être les militaires saoudiens, estime Hadi Mohamadi, l'analyste iranien.