Après 20 ans, pour la première fois depuis sa nomination au poste de commandant en chef de la Force Qods, le général de division Qassem Soleimani décrit certains détails sur la guerre des 33 jours contre le régime israélien. Veuillez trouver ci-dessous la première partie de cette interview publié par le site khamenei.ir.
Journaliste: Au nom d'Allah, le Tout Miséricordieux, le Très Miséricordieux; et nous demandons son aide. Je vous présente les condoléances à l’occasion du mois de Muharram. Nous vous sommes reconnaissants du temps que vous nous accordez. Nous aimerions ouvrir la discussion avec vous et ce serait peut-être une bonne idée de vous poser des questions sur la situation dans la région avant la guerre. Les États-Unis sont entrés dans la région en 2001, après les événements du 11 septembre et ont mené deux guerres, qui ont été suivies par la guerre de 33 jours. Notre première question est la suivante: quels sont les facteurs qui ont conduit à la guerre de 33 jours ?
Qassem Soleimani (QS): Au nom d'Allah, le Tout Miséricordieux, le Très Miséricordieux. Je tiens également à exprimer mes condoléances à l’occasion des jours de deuil du martyre du maître de tous les martyrs, Hussain Ibn Ali (as).
Pour répondre à votre question, je dois dire que la guerre de 33 jours a eu des raisons cachées, et qui auraient été les principaux facteurs conduisant à la guerre. La guerre avait en fait des causes apparentes et des causes cachées. Mais le prétexte d’Israël pour lancer la guerre aurait été des objectifs cachés que le régime [sioniste] envisageait depuis un certain temps.
Et si je dis qu'il y avait des causes cachées, c’est parce que nous avions pu accéder à des informations sur les préparatifs du régime sioniste, mais nous n'avions aucune information sur le fait que l'ennemi voulait lancer une attaque sous forme de l’embuscade. Sur fond de deux circonstances, nous avons conclu plus tard qu'avant cette guerre, une embuscade rapide devait être dressée pour renverser le Hezbollah. Eh bien, cette guerre a eu lieu alors que deux importants événements se déroulaient, l'un concernant l'ensemble de la région et l'autre concernant exclusivement le régime sioniste.
En ce qui concerne la région, à la suite des attentats du 11 septembre, les États-Unis ont considérablement développé la présence de leurs forces armées dans notre région, comme lors de la Seconde Guerre mondiale, même si ce n’est qu’en terme de quantité; s’agissant de la qualité, ces renforts était encore beaucoup plus importants, par rapport à l’époque de la Seconde Guerre mondiale. En 1991, lorsque la première attaque américaine a eu lieu à la suite de l’action militaire de Saddam contre le Koweït, l’invasion américaine et la défaite de Saddam ont donné lieu à la présence des militaires [US] dans notre région, menant à la colonisation d’une base militaire américaine.
Mais après le 11 septembre, en raison des deux lourdes actions militaires menés par les États-Unis, environ 40% des forces armées à la disposition des États-Unis sont entrées dans notre région; et plus tard, progressivement, à la suite des changements et des échanges effectués, même les forces réservistes ainsi que la garde nationale se sont impliqués. C’est-à-dire qu’environ 60% de l’armée américaine, forces internes et extraterritoriales comprises, ont été déployés dans notre région. Il y avait donc une présence dense dans une zone restreinte: rien qu’en Irak, il y avait plus de 150 000 soldats et plus de 30 000 militaires américains présents en Afghanistan.
Pourtant, cela excluait les forces de la coalition qui étaient environ 15 000 en Afghanistan. Ainsi, une force, composée de 200 000 effectifs, spécialisée et entraînée, était présente dans notre région, à côté de la Palestine.
Cette présence a normalement offert des opportunités au régime sioniste. Autrement dit, la présence des États-Unis en Irak était un obstacle au dynamisme des Syriens en Syrie ainsi qu’une menace pour le gouvernement syrien et et l’Iran. Donc, si vous regardez la position géopolitique de l’Irak, vous verrez que pendant la guerre de 2006, la guerre des 33 jours, les États-Unis ont placé un obstacle dans le pays qui reliait le principal pays de la Résistance; un obstacle qu’était une force armée de 200 000 hommes, de centaines d'avions et d'hélicoptères, ainsi que de milliers de véhicules blindés.
Cela a évidemment permis au régime sioniste de tirer profit de cette situation et de prendre des mesures. L’envergure [de leurs installations] aurait effrayé l’Iran, effrayé et freiné la Syrie, de sorte que ces deux gouvernements ne prendraient aucune mesure. Sur la base de cette hypothèse, le régime sioniste a estimé que le terrain était propice pour prendre une telle mesure, en particulier grâce à l'approche de l'administration Bush - une administration dure et à décision rapide - avec l'équipe dirigeante de la Maison Blanche appuyant le régime sioniste. Ainsi, ils trouvèrent la situation propice à une telle mesure.
La racine principale repose donc dans le fait que le régime sioniste cherchait à tirer avantage de la présence militaire des États-Unis dans la région; de la chute de Saddam; de la victoire initiale des États-Unis en Afghanistan; et de la panique semée par les États-Unis dans la région, en considérant un grand nombre de groupes politiques de la région et du monde, comme des groupes terroristes comme s’ils étaient considérés comme opposés à la politique américaine.
Le régime sioniste voulait en profiter, pensant que c'était la meilleure opportunité pour une guerre; parce que le régime israélien avait subi une défaite en 2000 et s'était retiré - ou s'était en fait échappé - du Liban. Le Hezbollah l'avait vaincu. Il a donc voulu revenir au Liban, mais cette fois non pas pour l’occuper, mais plutôt pour démolir et modifier la démographie du sud du Liban. Cela a été révélé pendant la guerre - ou presque avec le début de la guerre.
L’objectif principal était de changer complètement la situation démographie de sorte que les personnes vivant dans le sud du Liban (qui avaient des liens religieux avec le Hezbollah) soient expulsées de la région. Le régime israélien a cherché à mettre en œuvre le même plan qu’il avait utilisé en 1967 contre les Palestiniens vivant dans le sud du Liban pour forcer la population à évacuer le territoire et à s’installer dans divers camps de réfugiés au Liban, en Syrie et dans d’autres pays arabes. Donc, le même plan qui était précédemment mis en œuvre contre les Palestiniens était envisagé de nouveau contre les habitants chiites du sud du Liban.
Ils ont obligé les Palestiniens à quitter le sud du Liban et à se disperser dans différents camps de réfugiés au Liban, en Syrie et dans d’autres régions du monde arabe. Même [Yasser] Arafat a été obligé de déplacer le lieu principal de ses activités du Liban vers la Tunisie (au Maghreb). Ce processus a donc créé un déplacement organisé de la population. La même hypothèse existait à propos de la communauté chiite du Liban. Alors maintenant, je vais passer de l’époque d’avant la guerre à la période de la guerre, pour compléter ce schéma.
À ce sujet, les responsables américains et israéliens ont fait deux déclarations importantes. Juste au début de la guerre, [George W.] Bush a utilisé des mots et des expressions inappropriés que je préfère ne pas répéter car il les méritait lui-même. [Condoleezza] Rice a repris ses propos en se servant des mots plus polis comme une diplomate.
Le massacre des civils et les cris de peur des habitants sont arrivés à leur apogée dans le sud du Liban. Les bombardements sont arrivés à leur point le plus dur grâce à l’usage de la plus haute technologie militaire. Ils se servaient de leur haute technologie militaire pour bombarder avec une très haute précision tous les secteurs qu’ils souhaitaient. De nouveaux massacres ont eu lieu, qui semblaient pouvoir faire oublier le grand massacre du Qana. Alors c’est là que Rice a utilisé ses mots à elle. Elle a établit une comparaison entre les cris et les hurlements des survivants sous les décombres avec les hurlements d’une femme qui va accoucher d’un bébé pour dire que c’était le cri de la douleur de la naissance d’un nouveau Moyen-Orient.
Ces remarques indiquaient donc qu’un grand projet était en cours. Mais quant au régime sioniste, il avait préparé un grand camp et un certain nombre de navires. Le camp avait été prévu pour que les personnes capturées soient transférées, dans la mesure du possible, dans un camp situé à l’intérieur de la Palestine occupée. La capacité d’accueil de ce camp était estimée à 30 000 personnes. Ensuite, ils ont prévu de séparer dans ce camp les « civils ordinaires » de ceux qu'ils considéraient comme « condamnés », selon leurs critères, ou des gens qui avaient des liens organisationnels avec le Hezbollah. Ils avaient préparé des navires pour ce déplacement de population.
Par conséquent, contrairement aux autres guerres qui visent l’ensemble de la population, cette guerre a été menée différemment à ce stade, à l’aide des moyens technologique, pour viser uniquement une communauté au sein de la population. Au début, ils ont essayé de le limiter à un seul parti, à savoir le Hezbollah. Plus tard, il a été étendu à l’ensemble de la communauté chiite du sud du Liban afin de changer complètement la démographie de la région.
Ils l’ont avoué plus tard, lorsqu'Ehud Olmert et plus tard le ministre de la guerre et le chef de l’armée d’Israël ont annoncé leur intention initiale de procéder à une guerre surprise. Si la surprise s’était réellement produite, la majeure partie du personnel du Hezbollah aurait été détruite par des frappes aériennes massives.
Au cours de la première phase, le Hezbollah aurait subi de graves dommages en perdant au moins 30% de ses cadres. Ensuite, dans les étapes suivantes, ils lui auraient infligé une destruction absolue. Mais selon ce plan, le facteur fondamental consistait à tirer profit de la puissante présence militaire américaine en Irak, en Afghanistan et dans toute la région, en profitant de la complicité de certains États arabes dont les dirigeants soutenaient Israël dans une telle guerre en vue d’éradiquer le Hezbollah et la communauté chiite du sud du Liban. Cela a été annoncé directement par Ehud Olmert.
Il a déclaré que pour la première fois « tous les pays arabes » étaient parvenus à un consensus. Par « tous les pays arabes », il entendait les États arabes du Conseil de coopération du golfe Persique, notamment l’Arabie saoudite, mais aussi l’Égypte. Évidemment, certains autres États faisaient exception à cette époque-là.
Comme vous le savez, l’Irak comptait à l’époque un pays sans État, le pays étant dirigé par Paul Bremer en tant qu’administrateur civil de l’Irak. Le pays était donc contrôlé par les États-Unis. En Syrie, une jeune administration venait juste de commencer son travail après la mort de Hafez al-Assad. C’était dans ce contexte qu’Olmert a fait cette remarque: pour la première fois, « tous les pays arabes » ont soutenu Israël dans la guerre contre une organisation arabe. Ses remarques révélaient en quelque sorte une réalité sérieuse et importante.
Nous devrions donc prendre en considération trois facteurs cachés en ce qui concerne la guerre. Premièrement, l’occasion offerte par la présence et le règne des États-Unis en Irak et la crainte suscitée par la présence étendue des États-Unis dans la région.
Deuxièmement, le point de vue de certains pays arabes et leur annonce discrète de coopération avec le régime sioniste pour éliminer le Hezbollah et changer la démographie du sud du Liban.
Troisièmement, les objectifs du régime sioniste qui voulait profiter de cette occasion pour se débarrasser du Hezbollah définitivement, une fois pour toutes. Ces trois facteurs étaient les principaux objectifs cachés qui ont joué un rôle crucial dans le déclenchement de cette guerre.
Journaliste: Après avoir souligné ces raisons cachées, pourriez-vous décrire aussi les raisons apparentes de cette guerre ? Autrement dit, sous quel prétexte la guerre a-t-elle été planifiée ?
QS: La raison principale en était l’engagement du Hezbollah envers le peuple libanais. Hormis le Hezbollah, aucune autre institution ne pouvait s’engager à libérer les jeunes Libanais capturés et emprisonnés par le régime sioniste. Seyyed [Hassan Nasrallah] l’avait promis dans l’un de ses discours, affirmant qu’ils [le Hezbollah] libéreraient certainement les prisonniers libanais des prisons israéliens, comme ils l’avaient déjà fait plusieurs fois auparavant.
Le peuple libanais (y compris les prisonniers druzes, musulmans et chrétiens) n’avait ni espoir ni refuge en dehors du Hezbollah. C’est d’ailleurs le cas même aujourd’hui. En tout état de cause, le principal refuge du peuple libanais pour se défendre face à la violence du régime israélien est le Hezbollah. Donc, Seyyed a fait ces remarques. Lors des précédents échanges de prisonniers, Israël avait refusé de livrer les principaux prisonniers, dont certains étaient des hommes d’âge moyen, qui étaient adolescents au moment de leur capture et avaient donc passé leur vie en prison pendant de longues années.
Le Hezbollah avait promis de les libérer, mais cela n’a pas été réalisé lors du premier échange [de prisonniers], Israël ayant refusé de les libérer. Par conséquent, afin de concrétiser cette promesse, le Hezbollah s’est engagé dans une opération qui pourrait lui permettre de réaliser cet objectif plus tard. Cette opération a finalement été couronnée de succès.
Une opération spéciale a donc été planifiée et commandée par le martyr Imad Mughniyeh. Je ne sais pas comment le décrire. Je me demande si je peux utiliser pour lui le titre « général ». Aujourd’hui, le titre « général » est souvent utilisé comme un grade militaire pour nommer un commandant dans notre pays. Mais, Mughniyeh était au-delà de toutes ces qualifications. Et s’il en était un, il était sans doute le meilleur. Il était un commandant des traits de caractère les plus similaires à Malik Ashtar sur le champ de bataille.
À l’époque de son martyre, l’Imam Ali (a.s.) a éprouvé un grand chagrin et il a pleuré en prononçant un discours à la chaire et dit: « Si Malik était une montagne, il était une montagne forte. S’il était une pierre, il était une pierre solide. Sachez que la mort de Malik a rendu triste beaucoup de gens et a rendu heureux beaucoup d’autres ».
Cela était vrai dans le cas d’Imad [Moghniyeh] aussi. En d’autres termes, Imad pourrait être décrit de la même manière pour la Résistance. Pour aller au-delà des descriptions courantes, j’utiliserais la même phrase que l’Imam Ali (a.s.) a utilisée pour décrire Malik. Il a dit : « Il faut attendre la naissance de très nombreux enfants pour qu’un homme comme lui vienne dans ce monde. »
Imad avait une telle personnalité. Commandant de nombreuses autres batailles rudes, le commandant de cette nouvelle opération lui a été confié et il a réussi. Il a réussi à mener une attaque contre un véhicule de l’armée du régime sioniste, à l'intérieur des terres occupées, et ses hommes ont capturé deux militaires israéliens qui ont été blessés au cours de cette opération.
Cette opération n'était pas une spontanée menée d’un jour à l’autre. Elle avait été programmée depuis plusieurs mois au cours desquels Imad a surveillé minutieusement le régime israélien. Sur la base d’un plan élaboré par Seyyed Hassan Nasrallah en tant que commandant en chef de la Résistance au Liban et sous le commandement d’Imad Mughniyeh, des mesures nécessaires avaient été prises avant cette opération. Ce n’est pas le sujet de notre discussion, il n’est donc pas nécessaire d’entrer dans les détails.
L’opération représentait un nombre d’étapes. En réalité, il s’agissait de quatre opérations spéciales distinctes. Tout d’abord, il fallait planifier l’opération. Deuxièmement, il fallait choisir le moment et le lieu de l’attaque. La troisième étape consistait à franchir les denses et hauts fils de fer barbelés à la frontière. C’était important car l’opération ne consistait pas seulement à viser une cible. Il fallait traverser la frontière, mener l’opération et revenir avec des prisonniers. Donc, chaque étape devait être menée avec beaucoup de soin pour que les cibles ne soient pas tuées pendant l’attaque. Le quatrième point était que l’opération devait être menée très rapidement. Ils n’avaient pas 15 ou 30 minutes pour le faire. En réalité, l’attaque devait avoir lieu en quelques secondes. Il fallait emmener très vite les captifs vers un endroit sûr avant que l’ennemi ne puisse les atteindre. Normalement dans de telles situations les forces terrestres de l’ennemi peuvent arriver sur place en quelques minutes. Si l’ennemi se sert de son aviation, le temps sera encore plus court.
Donc, l’opération devait être planifiée avec beaucoup de précision. Imad Mughniyeh était justement connu par sa minutie et son souci du détail. Il avait l’habitude de commander de très près ses opérations. Il l’avait d’ailleurs conçu lui-même. Il était donc naturel qu’il commende en personne cette opération et il réussi à leur faire et à en sortir victorieux.