Pour l'Iran, la réaction des signataires de l'accord nucléaire au "blacklistage" de la force armée iranienne est suivie avec un intérêt tout particulier : la Russie et la Chine s'y sont montées hostiles dès les premières heures tandis que la réaction européenne s'est fait attendre: l'Allemagne est pour l'heure décidé à se taire au contraire de la Grande-Bretagne qui a très clairement affirmé que la "décision américaine n'engageait que l'Amérique elle-même", ce qui revient à dire que Londres, vu les risques potentiels d'une telle dérive, ne suit nullement Washington sur la voie accidentée où il s'est engagée. Mais la France, quelle a été sa réaction?
En effet, la mesure éminemment anti-iranienne de Trump et Cie est intervenue quelques heures après que les trois pays européens à savoir la France, la Grande Bretagne et l'Allemagne ont émis dans le cadre du G7 un communiqué où ils ont repris leurs accusations habituelles, genre "tentative de déstabilisation attribuée à l'Iran qui devraient cesser" ou "activité balistique iranienne à interdire" pour conclure que "l'influence iranienne au Moyen Orient est néfaste". Et bien depuis lundi, cette position est difficilement tenable : le "blacklistage" de la force armée étatique qu'est le CGRI est un Casus belli clair que les États-Unis viennent de lancer à l'Iran. Il s'agit désormais donc de dire oui ou non la France est prête à se montrer solidaire des États-Unis ou à s'en désolidariser. Pour une première réaction, le porte-parole de la diplomatie française, Agnès von der Mühll a critiqué mardi une décision américaine qui "risque de déstabiliser le Moyen-Orient". "La région d'Asie de l'Ouest a besoin plus que jamais de la paix et de la stabilité", a dit la porte-parole, tout en soulignant que "le soutien de Paris à l'accord nucléaire durera" tant que "l'Iran remplira ses engagements". Et bien c'est cette dernière partie de la déclaration qui a du mal à passer en Iran. Car la France a-t-elle respecté ses engagements pour en demander autant aux Iraniens?
La dernière initiative franco européenne dite Instex ressemble tout au plus à une machin chose, une espèce de "banque alimentaire" dont le plafond ne peut dépasser un milliard de dollar. Même en France les experts avouent qu'Instex ne saurait préserver l'accord nucléaire.
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Lors d'une conversation téléphonique mardi 9 avril avec son homologue français, le président iranien qui venait juste d'assister à une cérémonie marquant les premiers pas de l'Iran dans le sens d'une reprise de l'enrichissement a évoqué les exigences légitimes iraniennes envers la partie française. « Nous souhaitons l’attachement total de toutes les parties au Plan global d’action conjointe (PGAC) sans quoi l’Iran ne saura réaliser les bénéfices économiques légitimes que promet l'accord. Bien que l’Iran ait accompli jusqu'ici tous ses engagements, mais rien de retour : aucune démarche concrète n'a été franchie par la France dans le sens d'un maintien de l'accord », a dit Rohani avant de souligner à son interlocuteur français ceci : « L’Agence Internationale de l’Energie Atomique (AIEA) a confirmé, à 14 reprises, le respect par l’Iran de ses engagements. La nécessité de la mise en place au plus vite d'un mécanisme financier par l’Europe dans le cadre de ses engagements s'impose ».
À travers ces propos, les analystes voient surtout un avertissement : l'Iran se voit désormais en droit de quitter l'accord nucléaire puisque cet accord-là est censé préserver la sécurité iranienne d'une part et assurer sa prospérité économique de l'autre. Or ni l'une ni l'autre exigence n'est satisfaite. Pire, l'Iran, se trouve de facto en un état de pré guerre avec l'allié américain de l'OTAN qui n'irait sans doute pas dire non aux projets guerriers US à venir. En Irak et en Syrie, la France a d'ailleurs fait preuve d'un regrettable suivisme au risque de prendre part directement à des actions militaire contre l'État et l'armée syriens. Faisant remarquer que depuis le "blacklistage" du CGRI, l’approche iranienne est bien différente, Rohani a d'ailleurs rappelé à son homologue que le "dangereux précédent" que cette démarche constituait dans les relations internationales et le fait que "sans les sacrifices accomplis par l'Iran et son corps armée", "des pays de la région seraient tombés dans les mains de Daech".
S'il est vrai que le gouvernement iranien "est déterminé à sauvegarder la sécurité de la région" et à "empêcher l’escalade des tensions", il est aussi vrai que l'Amérique sera désormais traitée comme un "État parrain du terrorisme" et tout complicité avec cet État terroriste, dans le cadre d'une action anti-iranienne, fera l'objet d'une riposte. Pour le reste, il faut désormais convaincre l'Iran de rester dans le PGAC, un accord qui n'est que l'ombre de lui-même.