La tournée du prince héritier saoudien dans les pays arabes, avec en toile de fond l’affaire de l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi, fait polémique.
Le futur roi d’Arabie saoudite, Mohammed ben Salmane (MBS), critiqué en Europe et en Amérique du Nord et défendu par le président américain Donald Trump, a commencé sa tournée, le 22 novembre, par les Émirats arabes unis, principal allié de Riyad parmi les États arabes du golfe Persique. Les deux pays, qui qualifient leurs relations d’historiques, mènent ensemble des opérations militaires au Yémen et coordonnent leurs actions militaro-politiques en Syrie et en Libye.
Après Abou Dhabi, MBS s’est rendu à Bahreïn (le 25 novembre) et en Égypte (le 26 novembre). Il est attendu en Tunisie (le 27 novembre), en Algérie (visite annoncée pour le 6 décembre) et en Mauritanie. Il va également se rendre en Argentine pour assister au 13e sommet du G20, prévu les 30 novembre et 1er décembre prochains. À Buenos Aires, MBS doit rencontrer le président turc Recep Tayyip Erdogan pour la première fois depuis l’éclatement de l’affaire Khashoggi.
Dans le journal panarabe Rai al-Youm, l’éditorialiste Abdel Bari Atwan écrit :
« Nous ignorons qui entourent le prince héritier saoudien MBS, surtout depuis l’éviction ou l’arrestation de nombreux de ses conseillers après l’affaire de l’assassinat de Khashoggi. Mais nous sommes certains que son entourage l’a exhorté à entamer une tournée à l’étranger (…) »
« Il est évident que cette tournée vise à éclipser pendant un laps de temps cette fâcheuse histoire de meurtre dans laquelle l’implication directe ou indirecte du futur roi reste à élucider. Ce dernier cherche à faire croire que le vif débat dans les médias ne l’importune pas, qu’il reste le maître absolu de la situation et que rien ne peut menacer sa place au trône.
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L’objectif était de faire calmer le jeu, mais les réactions à la tournée de MBS ont été volcaniques et ont suscité de vifs débats dans les médias et sur les réseaux sociaux au Maghreb et au Moyen-Orient.
Aux Émirats arabes unis, à Bahreïn et en Égypte, l’accueil réservé à MBS a été cordial : normal, puisque ces pays comptent parmi les alliés de Riyad. Par contre, dans les pays du Maghreb, la situation risque d’être plus tendue. Les partis, les médias, les associations de défense des droits civiques et l’opinion publique sont très partagés sur la visite de MBS. D’ailleurs, un rassemblement de protestation est prévu devant le palais de Carthage, le mardi 27 novembre, pour dénoncer une visite considérée comme « une provocation ».
À présent, le problème ne se limite plus aux circonstances du meurtre de Jamal Khashoggi à Istanbul ; le royaume saoudien, avec à sa tête MBS, est aussi accusé d’enclencher la normalisation des relations des pays du golfe Persique avec le régime d’Israël
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Jeudi dernier, l’allié numéro un de MBS, le président américain, a mis les pieds dans le plat en soulignant l’importance de l’Arabie saoudite dans la stabilité d’Israël. Il a assuré qu’« Israël ferait face à de grandes difficultés régionales au Moyen-Orient sans la présence stabilisatrice de l’Arabie saoudite. » Une façon pour Donald Trump de dire que l’affaire Jamal Khashoggi ne doit pas prendre trop d’ampleur.
Mis à part Abou Dhabi, Manama, Le Caire et Nouakchott, les autres capitales arabes se sont montrées prudentes sur la question. Alger n’a pas réagi à l’affaire Khashoggi. Tunis a timidement condamné l’assassinat du journaliste. Pourtant, les ONG et les associations de défense des droits de l’homme s’opposent à la venue de MBS dans leur pays.
En Algérie, des voix se sont levées pour dire non à cette visite. Le président du MSP, Mouvement de la société pour la paix, Abderrazak Makri, a jugé, samedi 24 novembre, que « les conditions actuelles ne permettent pas de recevoir le prince héritier Mohammed ben Salmane. Il est responsable de la mort de beaucoup d’enfants au Yémen, de prédicateurs et d’intellectuels et de l’assassinat, à la façon de Daech, du journaliste Jamal Khashoggi ». « Il veut faire de l’Algérie une république bananière », a-t-il dénoncé, et les Algériens « disent non ».
Une pétition a été lancée sur Internet pour s’opposer à la venue de MBS. « L’héritier le plus en vue du trône, pour être le futur gardien des lieux saints de l’islam, a montré un visage de réformiste. Mais il est poursuivi d’une ombre fallacieuse. Elle est encore indéchiffrable, car il est jeune et des faits récents en disent long sur les méthodes criminelles de son pays, à cause des nombreuses victimes qui, comme nos frères du Yémen, doivent ressentir notre solidarité d’Algériens dignes de songer à leur vulnérabilité », est-il écrit dans cette pétition qui a déjà récolté plus de 1.800 signatures.
En Tunisie, cinquante avocats menés par Nizar Boujelal ont déposé plainte, à la demande d’un groupe de journalistes et de blogueurs, pour empêcher la visite du prince héritier saoudien, prévue mardi 27 novembre.
Face à MBS, deux camps se sont donc formés : l’un dirigé par Donald Trump qui tente à tout prix de dédouaner son allié saoudien dans l’affaire Khashoggi ; l’autre dirigé par le président turc Recep Tayyip Erdogan, qui le reconnaît responsable et demande des sanctions contre Riyad.
Sur les plateaux de la balance, nul doute que l’argent généré par les accords de vente d’armements du camp de Trump est beaucoup plus lourd. Car, l’argent l’emporte sur les droits de l’homme dans le monde occidental. Mais, il ne faudrait surtout pas négliger le poids des instances parlementaires pour les droits de l’homme qui bénéficient du soutien de journaux influents comme The Economist, The Washington Post, The Guardian, The Independent.
La tournée de MBS aurait donc deux conséquences : soit, elle marquera le retour du prince héritier sur la scène internationale avec le moindre préjudice, soit, elle aboutira à son éviction. La troisième hypothèse serait qu’il reprenne les rênes du pouvoir dans une position d’extrême vulnérabilité. Les prochains jours nous le confirmeront. »