La Turquie annonce avoir éliminé depuis le début de son offensive contre Afrin, plus de 3000 "terroristes kurdes". Certes, ces chiffres revendiqués par un Ankara qui affiche un air exagérément triomphaliste sont sujets à caution, surtout que l'armée turque a eu, les 50 premiers jours de son offensive, du mal à briser la ligne du front kurde. Alors que la Ghouta orientale monopolise l'attention des médias mainstreams il est peut- être grand temps de livrer une analyste de l'action militaire turque et de ses réels objectifs.
En effet, vu le bilan de sept ans de présence active de la Turquie aux côtés des anti-Assad et des anti-Syrie, il est difficile de se laisser berner par "l'argument kurde" (création d'un Etat kurde, NDLR) que ne cesse de brandir Erdogan et au nom de quoi il défend son offensive contre l'intégrité territoriale syrienne. Après tout aussi bien la Turquie que les Kurdes syriens font partie du camp des Américains, bien que cette alliance connaisse des hauts et des bas.
Ce fut en août 2017 que la Turquie a décidé de lancer une action militaire contre Afrin et elle en a même choisi le nom , " Sabre de l'Euphrate". L'appellation avait le mérite de rappeler aux observateurs la complémentarité qui irait s'établir entre cette offensive et "Bouclier de l'Euphrate" laquelle, rappelons-le, visait en son temps, le nord et le nord-est d'Alep. Ankara ne s'en est toutefois pas tenu à cette nomination et a placé son action militaire à Afrin sous l'appellation de "Rameau d'olivier".
En août 2017, Daech a commencé son déclin en Irak et en Syrie et a perdu une grande partie du territoire placé par le soutien US/Israël interposé sous sa domination.
Qu'est-ce qui inquiète la Turquie? L'Euphrate, entre autres. Ce fleuve arrive en Turquie depuis le nord syrien avant de se diriger vers le sud-est, là où il entre en Irak, après avoir traversé la localité "Abou Kamal". Or, de la rive-est, la Turquie est totalement absente. C'est une région extrêmement fertile aux vastes ressources pétrolières et hydrauliques. Les médias "mainstreams" ne cessent d'évoquer la dominance kurde de la rive-est du fleuve où sont présentes les FDS pro-US, sans toutefois souligner que les Forces démocratiques syriennes sont essentiellement composées d'arabes et pas de Kurdes. C'est à l'aide de ces mêmes forces que les Américains contrôlent Raqqa, Hassaké et surtout l'est de Deir ez-Zor, là où l'armée syrienne et ses alliés de la Résistance tiennent leurs positions.
Il aura suffit que les Américains annoncent vouloir créer une force de sécurité kurde composée de 30.000 personnes pour qu'Ankara comprenne bien le message et commence à agiter ses troupes en direction de la rive est. Afrin puis Manbij dont Ankara cherche "la libération" ne sont que deux étapes d'un plus vaste projet qui consiste à placer le nord , le nord-ouest, l'ouest de la Syrie sous l'occupation turque.
C'est l'objectif stratégique majeur qu'Erdogan s'est donné : mais la tache s'est avérée beaucoup plus difficile que prévue. les premiers contingents turcs à débarquer à Afrin ont été issus de l'ASL mais ils se sont montrés incapables d'avancer face aux Kurdes . Au bout d'une quinzaine de jours une intervention directe de l'armée turque s'est avérée nécessaire.
Mais là aussi les unités d'infanterie ne se sont manifestées à la hauteur pour cause sans doute de l'état dans lequel se trouve l'armée laïque de la Turquie. Celle-ci n'a jamais entretenu de bonnes relations avec le gouvernement d'Erdogan, ce qui s'est bien reflété à travers le coup d'État de 2016 auquel s'est succédé une purge sans précédent . Toujours est-il que si Erdogan parvient à s'emparer d'Afrin, il y procédera à un important changement démographique à renfort des milliers de réfugiés syriens qu'il irait déployer dans cette région . Ce sera alors un une arabisation du nord de la Syrie avec des conséquences stratégiques de court et de moyen terme. Très curieusement les 1000 combattants des FDS que les Américains viennent d'envoyer de Deir ez-Zor à Afrin pour aider les Kurdes sont eux aussi arabes plutôt que kurdes.
Dans la perspective de la présidentielle de 2019 qui fera officiellement d'Erdogan le président élu, ce dernier a besoin d'une victoire stratégique. ne serait-ce que pour effacer tous les échecs subis depuis 2011 en Irak et en Syrie. Une telle victoire permettra au clan " frériste" (Qatar, Soudan, Turquie) de reprendre la poile de la bête et d'avoir son mot à dire. Il y a certes à travers ce projet une envie de résurrection de l'empire ottoman, mais surtout la volonté de faire partie du Grand Moyen Orient non pas comme proie des Américains mais surtout comme l'un des "prédateurs".