La victoire étriquée d’Erdogan lors du référendum constitutionnel divise la société turque : l’opposition crie à la fraude et réclame un recomptage des voix. L’Europe, quant à elle, accueille cette victoire avec circonspection. Seuls les États-Unis semblent en être satisfaits. Pourquoi ?
Le parti au pouvoir en Turquie a réussi à faire passer, avec un écart très serré, un changement de régime politique qui n’ira pas sans définir de nouveaux « scénarios » pour les pays voisins de la Turquie qui sont en guerre, à savoir la Syrie et l’Irak.
En Syrie, le fait que l’un des principaux soutiens aux groupes terroristes, à savoir Erdogan, devienne quasiment « président à vie » doit être étudié sous plusieurs angles :
1. La question kurde
Cette question s’est avérée « insoluble » pour tous les gouvernements turcs. Les Kurdes constituent entre 20 et 25 % de la population du pays, soit la minorité ethnique la plus large de Turquie. Après avoir rompu l’accord de paix signé avec le PKK, Erdogan a choisi d’intervenir militairement dans le nord de la Syrie, à majorité kurdophone, sous prétexte de combattre « les velléités indépendantistes des Kurdes de Syrie » qui, en cas d’indépendance ou d’autonomie, « feraient courir de très gros risques à la sécurité nationale turque ». En ce sens, le récent changement de régime politique en Turquie, en vertu duquel Erdogan devient l’homme qui fait la pluie et le beau temps dans le pays, se traduira à coup sûr par un élargissement des ingérences militaires d’Ankara dans le nord de la Syrie et une répression plus sanglante des « revendications identitaires des Kurdes ».
2. Les forces armées
Le second défi qu’Erdogan se devra de relever et qui aura des répercussions directes sur les pays voisins, c’est l’armée turque. On se rappelle le coup d’État avorté du 15 juillet 2016 et la vaste répression qui l’a suivi pendant l’été, avec en toile de fond le limogeage de centaines d’officiers de l’armée et le licenciement d’autant de fonctionnaires. Erdogan, désormais érigé en quasi-président à vie, optera, selon les analystes, pour la confrontation avec l’armée au lieu de la réconciliation. Suivant la nouvelle Loi fondamentale, il pourra d’ailleurs réduire largement la marge de manœuvre de l’armée et en faire « une armée docile ». Sans les haut gradés pour contester ses décisions « folles » en termes de politique étrangère, Erdogan utilisera comme bon lui semble son armée pour étendre ses ingérences dans le nord de la Syrie.
3. La question alaouite
Un super président tel que le sera Erdogan dans les mois à venir n’est pas forcément une bonne chose pour les minorités ethniques. Les Alaouites, toujours marginalisés en Turquie où ils sont connus sous le nom d’Alévis, en font évidemment partie. La majorité des Alaouites sont d’origine turque. Il y a aussi des Alaouites arabophones, mais cette communauté est loin de partager les politiques d’Erdogan en Syrie ou en Irak. Les prérogatives que la nouvelle Constitution accorde à Erdogan lui permettront de mieux « cerner les communautés à risque » et lui donneront largement la latitude d’appliquer ses plans dans le nord de la Syrie.
4. Attentat à Rachedine
Moins de 24 heures avant la tenue du référendum sur la nouvelle Constitution en Turquie, un violent attentat à la voiture piégée a frappé le quartier de Rachedine à Alep. L’explosion visait les cars qui évacuaient les populations civiles, dont de nombreux femmes et enfants. 68 enfants ont été massacrés de la pire des façons et le bilan ne cesse de s’alourdir. Les analystes ne manquent pas d’établir des liens entre ce terrible attentat-suicide, l’un des plus cruels jamais commis en Syrie et le référendum turc. Kamal Jafa, expert syrien en stratégie, estime que cet attentat visait à briser l’accord entre l’armée syrienne et le Qatar sur l’évacuation des civils de Foua et de Kefraya, assiégés depuis deux ans. Cet accord a eu lieu sans le feu vert d’Ankara, ce qui a provoqué la colère d’Erdogan. Des sources bien informées évoquent même des corps de victimes de l’attentat-suicide « volés par Ankara », qui entend visiblement en faire une monnaie d’échange.
L’attentat inhumain de Foua et de Kafraya constituerait ainsi un message de la Turquie à l’adresse de l’Iran et du Qatar : il ne faut faire aucun accord sans l’implication turque. À Alep ou encore à al-Waar et Darya, la Turquie était bien présente dans tous les accords signés. Si son rôle n’est pas pris en compte, elle sera prête à commettre les pires atrocités pour se rappeler à la mémoire des autres.
En outre, l’accord de Foua et de Kefraya a dépouillé Erdogan de l’un de ses plus beaux « atouts ». Sans que le « sultan » en tire le profit attendu, il risque en plus de perdre ainsi la carte qu’il détenait, à savoir le sort des quatre villes de Foua, de Kafraya, de Zabadani et de Madaya dans toute négociation à venir. Toujours est-il que la victoire d’Erdogan au référendum n’augure rien de bon pour la Syrie et l’Irak, qui subissent les foudres expansionnistes du président turc.
Selon des sources locales, le renseignement turc aurait lancé un avertissement à ses mercenaires takfiristes déployés à Tal Abyad près de Raqqa : « Une vaste offensive va être très prochainement lancée contre le nord de la Syrie et cette offensive coïncidera avec les opérations jordaniennes dans le sud du pays. Un second volet du plan américain en Syrie concerne les régions méridionales et là, l’administration US a fait appel à l’armée jordanienne pour provoquer la scission des régions du sud de la Syrie. »
Trump est bien content de voir Erdogan devenir, via le référendum constitutionnel, « une marionnette » dont il sera le seul à pouvoir tirer les ficelles.