La guerre de cinq ans en Syrie a causé d’effroyables dommages à la population, à l’économie et sur l’infrastructure de ce pays, et a traumatisé la conscience collective de la nation.
Environ un demi-million de Syriens ont été tués, et six autres millions ont fui le pays après avoir perdu leur maison. Les dommages causés à l’économie syrienne sont estimés à 180 milliards $.
Mais il y a aussi ceux qui ont bénéficié de ce conflit armé. Il s’agit d’abord et avant tout, des marchands d’armes qui ont raflé la mise en approvisionnant en armes «l’opposition» syrienne, allant de l’Armée syrienne libre dite modérée aux terroristes de Jabhat al-Nusra et l’Etat islamique. Pour être précis, ils s’en sont mis plein les poches en revendant aux extrémistes des armes que les services de renseignement des pays du Golfe Persique et de l’OTAN destinaient, à l’origine, aux forces dites «modérées». Par exemple, les missiles anti-char les plus modernes envoyées à l’ASL réapparaissaient seulement quelques semaines plus tard parmi l’arsenal déployé par l’EI et Jabhat al-Nusra.
La première fois qu’a été abordée la question au sujet de grosses cargaisons d’armes destinée aux forces anti-gouvernementales syriennes, fut en Avril 2012, lorsque le cargo Letfallah II a quitté la Libye à destination du port libanais de Tripoli, mais, après avoir été arrêté, on y trouva une importante cache d’armes et de munitions destinées aux opposants au gouvernement de Bachar al-Assad. Les armes étaient originaires de l’arsenal militaire de Mouammar Kadhafi qui avait été pillé par les «révolutionnaires» libyens, puis achetées aux Libyens par le Qatar et envoyées en Syrie.
Au début de 2013, le Hezbollah a réussi à démanteler un réseau libanais de contrebande d’armes à destination de la Syrie. En plus de ses engagements dans le cadre de son alliance avec le gouvernement syrien, le Hezbollah a également été motivé par souci des répercussions intérieures. Les dirigeants de ce mouvement, qui lui-même a une longue histoire de possession d’armes par des voies illégales, étaient conscients que jusqu’à un tiers des armes de contrebande n’arriverait pas à leur destination initiale, mais que cela ne se ferait jamais hors de leur pays de transit. Cela créait un danger très réel que ces fusils d’assaut et ces lance-grenades soient bientôt destinés à des Libanais.
Il a également été découvert une origine libyenne pour les agents toxiques que «l’opposition» armée a utilisés dans une attaque sous fausse bannière à la Ghouta occidentale en Août 2013, déclarant par la suite que Assad a assassiné son propre peuple avec des armes chimiques. L’article « The red line and the rat line: Obama, Erdoğan and the Syrian rebels », écrit par le correspondant de Washington Post Seymour Hersh, l’un des journalistes les plus respectés aux Etats-Unis, a provoqué un gigantesque tollé dans les médias occidentaux et arabes. Il affirmait que ce serait peut-être Jabhat al-Nusra le responsable de l’utilisation du gaz sarin dans la Ghouta occidentale, dans la banlieue de Damas. Les services de renseignement turcs ont organisé l’attaque au gaz sarin dans une tentative de pousser les Etats-Unis à lancer une intervention armée en Syrie. Selon Hersh, les poisons, en plus des armes classiques des militants syriens, ont été fournis aux rebelles syriens à partir des arsenaux de l’armée libyenne et expédiés via la Turquie. La CIA, le MI6 britannique, et l’agence de renseignement MİT de la Turquie ont travaillé ensemble pour coordonner cet incident. Et puisque le MI6 était impliqué et officiellement en charge de l’opération, la CIA n’était pas tenu d’informer le Congrès.
Rejetant l’aide des intermédiaires libanais, la CIA a commencé à fournir des armes à l’opposition armée directement via la Turquie. En Avril 2014, la faction connue sous le nom Harakat Hazm avait déjà un arsenal dont dix des systèmes les plus modernes de missiles antichars TOW. Le nombre de ces systèmes a commencé à se multiplier rapidement, et les missiles eux-mêmes ont été de plus en plus utilisés par les radicaux de Jabhat al-Nusra. Cela s’explique facilement. Dans certains cas, c’est parce que les «modérés» voulaient se faire un peu d’argent. Dans d’autres cas, les radicaux ont simplement pris les armes des mains des «modérés». Un des militants de l’Etat islamique a expliqué la situation ainsi: «Nous aimons vraiment l’Armée syrienne libre. Lorsque nous ne disposons pas suffisamment d’armes nous allons les voir et nous prenons ce que nous voulons, sans demander la permission ».
Il y a quelques jours un scandale s’est fait jour dans les médias parce que les Etats-Unis avaient expédié des armes aux forces anti-gouvernementales syriennes via la Jordanie. Selon des rapports de la chaine Al Jazeera et du New York Times, des armes américaines qui ont été envoyées à des forces anti-Assad entrainées en Jordanie ont été volées par des agents de renseignement jordaniens et vendues sur le marché noir. L’un de ces fusils d’assaut a été utilisé en Novembre dernier, quand le capitaine Abu Zeid, qui était tombé sous l’influence des islamistes radicaux, a abattu cinq personnes dans un centre de formation de la police à Amman. Selon Al Jazeera, les Jordaniens impliqués dans le système du commerce d’armes ont récolté ce qui est estimé à des millions de dollars de profits. Les plus grands bazars d’armes de la Jordanie se trouvent à Ma’an, dans la partie sud du pays, à Sahab, à l’extérieur d’Amman; et dans la vallée du Jourdain.
Avant le conflit en Syrie, la Jordanie était l’un des pays les plus pacifiques et stables au Moyen-Orient. Cela a complètement changé. Un incident est survenu au camp de réfugiés palestiniens Baqa’a dans le nord de la Jordanie, le 6 Juin, qui a montré la vulnérabilité du Royaume hachémite. Cinq agents des services de sécurité de la Jordanie ont été tués lors d’une attaque de leur bureau, situé juste à l’extérieur de ce camp qui est connu pour être le plus grand refuge pour les réfugiés palestiniens en Jordanie. Ce fut la deuxième attaque terroriste grave dans ce pays cette année. Le 2 Mars une bataille a fait rage pendant 12 heures dans la ville d’Irbid entre les unités de l’armée jordanienne et les terroristes.
La situation en Jordanie se dégrade, en grande partie parce que le gouvernement du roi Abdallah, sous la pression des Etats-Unis, a ouvert un centre de formation pour les militants anti-gouvernementaux en provenance de Syrie. Officiellement, les dirigeants jordaniens soutiennent le front sud modéré, qui est actif dans la province de Daraa. Depuis la fin de 2015, un plan a été en cours pour expédier des missiles Stinger de l’Arabie Saoudite à la Brigade «modérée» Yarmouk (Liwa Shuhada al-Yarmouk). Selon les rapports du journaliste britannique Patrick Cockburn, « de nombreuses vidéos montrent que la Brigade Yarmouk a souvent combattu en collaboration avec Jabhat al-Nusra (JAN), la branche officielle d’al-Qaïda».
Le conflit en Syrie a atteint le point où il apporte la mort et la destruction, non seulement aux Syriens, mais aussi aux habitants des pays voisins, tels que le Liban, la Turquie et la Jordanie. Les régions du sud-est de la Turquie, qui sont infiltrées par des gangs de l’État islamique et où les troupes gouvernementales continuent à combattre la guérilla kurde, font de plus en plus penser à la Syrie. Il est possible qu’un sort semblable – «à la Syrienne» – attende également la Jordanie, où les réfugiés palestiniens, irakiens et syriens ont trouvé un abri.
Alexander KUZNETSO
Source : http://www.strategic-culture.org/news/2016/07/04/the-cia-and-arms-deals-in-the-middle-east.html
Traduction : Avic – Réseau International