Par Ghorban-Ali Khodabandeh
Cette semaine le calendrier a fait cohabiter deux événements très importants pour Emmanuel Macron : la réouverture de la cathédrale Notre-Dame de Paris, attendue depuis cinq ans, et le grand bouleversement politique après la chute du gouvernement Barnier. L'un met la France au firmament, l'autre la place en situation d'instabilité et de fébrilité.
Après des années de reconstruction, la cathédrale Notre-Dame de Paris a accueilli samedi 7 décembre une cérémonie de réouverture en présence de nombreuses personnalités internationales. Entre symbole patrimonial et tensions politiques, l’événement reflète les multiples enjeux entourant ce monument emblématique.
Parmi les premiers à s’exprimer lors de la cérémonie de réouverture de la cathédrale Notre-Dame de Paris, Emmanuel Macron a souhaité faire de Notre-Dame un exemple pour la France et le monde lors de son discours dans l’enceinte restaurée.
La cérémonie, orchestrée au millimètre, a attiré de nombreuses personnalités internationales et des chefs d’État, mais n’a pas été exempte de polémiques, notamment autour du discours du président Emmanuel Macron et de la présence des figures politiques et économiques dont Donald Trump, certains y voyant un mélange des genres entre spiritualité et mise en scène diplomatique.
Réouverture de Notre-Dame et crise de la censure
Pour certains observateurs, la cérémonie de réouverture de Notre-Dame de Paris illustre à la fois splendeur et décadence pour un président rattrapé par un agenda politique tumultueux au moment de célébrer l'un des événements les plus marquants de ses deux quinquennats. Quand la cathédrale Notre-Dame de Paris avait pris feu, Emmanuel Macron sortait de la crise des «Gilets jaunes». Il devait s'adresser aux Français dans une allocution télévisée, enregistrée et jamais diffusée, car en voyant les flammes détruire l'édifice religieux si emblématique de la capitale, le chef de l'État avait immédiatement changé sa stratégie.
Ironie de l'histoire, cinq ans après, au moment où l'on célèbre Notre-Dame reconstruite, le chef de l'État s'est adressé aux Français pour leur parler d'une nouvelle crise. Une crise politique inédite provoquée par une décision d'Emmanuel Macron : la dissolution qui n'en finit pas de revenir en boomerang sur le président.
Michel Barnier censuré après trois mois d'efforts vains pour faire adopter un budget, c'est sur Emmanuel Macron qu'est revenue la pression, l'obligeant à prononcer une allocution pour rassurer les Français inquiets de l'instabilité gouvernementale, quand les regards du monde entier allaient se tourner vers Paris et son monument emblématique.
La réouverture de Notre-Dame est devenue tout à coup la date autour de laquelle devait avoir lieu la nomination d'un Premier ministre, happée par une actualité politique qui a fait irruption dans le calendrier de la reconstruction.
Ainsi, la grand-messe diplomatique avec Donald Trump, le président américain réélu, en invité de marque, et un cortège de personnalités venues du monde entier, qu'Emmanuel Macron avait organisée à l'occasion de la réouverture de Notre-Dame, est percutée par la crise politique qui renvoie l'image d'une France en mode point de suspension, menacée de censures à répétition et d'un président usé, affaibli, alors qu'il rêvait d'incarner un chef de l'État capable de faire briller les «fiertés françaises ».
Combien coûte la cérémonie de réouverture de Notre-Dame ?
La présence de Donald Trump à la cérémonie de réouverture de Notre-Dame, qui s’est tenue le 7 décembre, aux côtés des cinquante autres chefs d’Etat étrangers invités, a un peu plus alourdi le budget de la journée, qui se monte, selon des informations, à près de 10 millions d’euros. Un tiers de cette enveloppe est financée sur fonds publics et consacrée à la sécurité et à la diffusion en direct de l’événement par France Télévisions.
Au total, 846 millions d’euros ont été réunis auprès de 340 000 donateurs de 150 pays, permettant de couvrir les travaux de sécurisation et de reconstruction de l’édifice gothique. Avec une facture totale de 700 millions d’euros, il reste environ 150 millions d’euros issus des dons, qui seront consacrés à des restaurations extérieures supplémentaires, notamment sur le chevet et les arcs-boutants de la cathédrale.
Ces annonces surviennent alors que le déficit du budget de l'Etat français s'est établi à 157,4 milliards d'euros fin octobre, selon les données publiées par le ministère chargé des Comptes publics.
Par ailleurs, un rapport de la commission d'enquête extra-parlementaire, rendu public récemment, a révélé que les Jeux Olympiques avaient coûté beaucoup plus cher que prévu aux contribuables français.
Pour rappel, les Jeux olympiques organisés à Paris ont laissé une facture plus élevée que prévu de 1,6 milliard d'euros. Le montant correspond à la sécurisation des Jeux, jusqu'à 40.000 forces de l'ordre mobilisées par jour, et des infrastructures hors normes.
Au total, 900 millions d'euros ont été dépensés pour l'hébergement, les équipements, les déplacements ou encore l'alimentation des policiers, gendarmes et militaires. Mais aussi 700 millions d'euros pour payer aux forces de l'ordre les primes, les heures supplémentaires et leurs astreintes.
La réouverture de Notre-Dame dépasse sa dimension religieuse pour devenir un symbole national. Cependant, cette réouverture ne fait pas l’unanimité. Un débat sur l’éventualité d’un accès payant pour les visiteurs a émergé, suscitant des réactions mitigées. Selon un récent sondage, 62 % des Français souhaitent que l’entrée reste gratuite pour tous. Par ailleurs, le projet de remplacer six vitraux par des créations contemporaines a déclenché une polémique, certains défendant une restauration à l’identique.
Le message du pape François, lu pendant la cérémonie, a d’ailleurs insisté sur l’importance d’un accès « généreux et gratuit » pour tous les visiteurs, en contradiction avec les débats en cours sur le financement de l’entretien du site.
Si la cérémonie de samedi marque indéniablement un tournant dans la restauration de Notre-Dame, elle laisse aussi entrevoir les nombreuses batailles à venir, qu’elles soient symboliques ou très concrètes, sur le rôle de ce monument dans la société française contemporaine.
Un événement symbolique aux dimensions internationales
La réouverture de Notre-Dame après l’incendie de 2019 marque un moment clé, mais cet événement dépasse le simple cadre culturel ou religieux : il devient un véritable enjeu diplomatique. Emmanuel Macron, affaibli sur le plan intérieur par des crises politiques, tente de redorer son image en recevant des invités de marque.
Pour célébrer ce moment historique, Emmanuel Macron a convié une trentaine de chefs d’État et de gouvernement, ainsi que des têtes couronnées. Parmi les personnalités attendues, le président élu des États-Unis, Donald Trump, a effectué sa première visite officielle à l’étranger depuis son élection. Il a été accompagné d’une délégation de 150 personnes, incluant Elon Musk, dont la participation a été confirmée malgré des tensions récentes avec l’Élysée.
D’autres figures notables, telles que le prince William, le président ukrainien Volodymyr Zelensky, et plusieurs souverains européens, étaient présentes. En revanche, l’absence de Charles III et de Camilla, ainsi que celle d’Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, ont été remarquées. La cérémonie d’ouverture, initialement prévue en extérieur, a été déplacée à l’intérieur de la cathédrale en raison des conditions météorologiques défavorables.
Un instant de prestige pourtant bien éphémère, car la crise institutionnelle que vit la France a de multiples conséquences : il s'agit d'abord de l'Europe, car la France est l'un de ses moteurs avec l'Allemagne. Or, le couple franco-allemand, qui souffre déjà de la mauvaise relation entre Emmanuel Macron et Olaf Scholz, risque d'être encore affaibli. Le chef de l'État pourra moins peser et orienter l'Europe comme il le souhaiterait. Face aux États-Unis, sa quête d'une autonomie stratégique européenne sera plus laborieuse, car la voix de la France sera moins entendue par les alliés de Donald Trump, que ce soit le Hongrois Orban ou l'Italienne Meloni.
Dans l’opposition, certains – pas seulement du côté de LFI – verraient bien le président profiter de la fin de ce quinquennat de travaux à la cathédrale de Paris pour rendre son tablier. Macron leur a déjà répondu mais la séquence qui va s’ouvrir le 9 décembre avec la nomination du successeur de Michel Barnier a tout de même les allures d’une dernière chance à saisir pour un président qui stagne dans les profondeurs de l’impopularité et dont l’influence est menacée y compris sur la scène internationale.
Ghorban-Ali Khodabandeh est journaliste et analyste politique iranien basé à Téhéran.