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Manifestations : des peines de prison ferme pour les mineurs, du jamais vu en France

US Rep. Ilhan Omar (D-MN) (L) talks with Speaker of the House Nancy Pelosi (D-CA) during a rally with fellow Democrats before voting on H.R. 1, or the People Act, on the East Steps of the US Capitol on March 08, 2019 in Washington, DC. (AFP photo)
Une arrrestation à Lille, deux jours après la mort de Nahel. ©AFP

Par Ghorban-Ali Khodabandeh

La justice française a prononcé ces derniers jours, lors d'audiences en comparutions immédiates, ses premières condamnations, pour participation aux protestations souvent violentes, dans plusieurs villes de France. Malgré la jeunesse des prévenus ou leur absence d'antécédents judiciaires, des mandats de dépôt ont été prononcés.

Selon le ministère français de la Justice, 3.915 personnes ont été interpellées, dont 1 244 mineurs. Ces interpellations ont donné lieu à 374 comparutions immédiates.

Plus de 1.000 individus ont été condamnés par la justice en lien avec les « troubles » ayant éclaté après la mort de Nahel suite à un refus d’obtempérer à Nanterre. Ces chiffres ont été communiqués par le ministre de la Justice Éric Dupond-Moretti.

1.278 jugements ont été prononcés, avec 95% de condamnations, selon le ministre. Éric Dupond-Moretti a ajouté que 1.300 personnes avaient été déférées au parquet et que 905 avaient fait l'objet d'une comparution immédiate.

À l’issue de ces audiences, 1.056 personnes ont été condamnées à une peine d'emprisonnement, dont 742 à une peine ferme avec un quantum moyen de 8,2 mois. Pour l'instant, 600 personnes ont été incarcérées. En moyenne, selon une note du renseignement territorial datée du 5 juillet, 34% des interpellations au plus fort des violences urbaines concernaient des mineurs.

Selon le ministre français de l’Intérieur, Gérald Darmanin, « un tiers » des personnes interpellées depuis le début des protestations sont des mineurs, dont 60% d'entre eux n'ont aucun antécédent judiciaire. La moyenne d'âge des personnes interpellées est de 17 ans, avec parfois des enfants de 12-13 ans. Lors de ces audiences en comparution immédiate devant les tribunaux correctionnels, des décisions d’incarcération ont fréquemment été prononcées. A tire d’exemple, à Bobigny en banlieue parisienne, 13 mineurs ont été présentés à un juge d'enfants, tandis que des dizaines de jeunes ont écopé de peines qui vont de 6 à 8 mois de prison ferme avec mandat de dépôt.

Ces peines posent plusieurs questions juridiques sur le traitement réservé aux adolescents. Officiellement, la procédure de garde à vue peut être appliquée dès l’âge de 13 ans. Mais avant 16 ans, c’est uniquement s’ils sont soupçonnés d’avoir commis ou tenté de commettre un délit ou un crime puni d’une peine de prison. Les mineurs peuvent alors être maintenus en garde à vue pendant 24 heures, avec une prolongation jusqu’à 48 heures s’ils sont passibles d’une peine d’au moins cinq ans de prison. Par ailleurs, le Code de la justice des mineurs stipule qu’un enfant peut être, dès l’âge de 10 ans, non pas gardé à vue, mais « retenu ». Il doit pour cela être soupçonné d’avoir commis ou tenté de commettre un délit ou un crime puni d’au moins 5 ans de prison.

L’article L11-3 du Code de la justice pénale des mineurs prévoit notamment « des mesures éducatives » et « si les circonstances et leur personnalité l’exigent, des peines » en cas d’infraction pénale pour les mineurs. Avec ce nouveau Code, il faut toutefois différencier les moins de 13 ans, jugés « non capables de discernement » et qui ne peuvent encourir de peine.

Après plusieurs jours de violentes manifestations en France et des milliers d’interpellations, le ministre de la Justice Éric Dupond-Moretti a voulu envoyer un message de fermeté aux mineurs impliqués, mais aussi aux parents, en brandissant la menace de sanctions. Dans le cadre des dernières violences urbaines, le garde des Sceaux a en effet cherché à accélérer les procédures. Le vendredi 30 juin, il a invité les magistrats à privilégier les déferrements devant un juge directement dans les 24 ou 48 heures qui suivent les interpellations pour violences urbaines. Il a aussi appelé à « des peines sévères pour les émeutiers ». Dans une circulaire diffusée le même jour, Éric Dupond-Moretti a appelé à une réponse judiciaire « rapide, ferme et systématique ».

Concernant les parents, la circulaire indique que « les infractions commises par les mineurs engagent, en principe, la responsabilité civile de leurs parents ». Autrement dit, les parents devront payer les dégâts commis par leurs enfants.

Loin de faire l'unanimité dans la classe politique, ces discours ont été dénoncés comme « cyniques » par des élus de gauche. Interrogé sur LCI, Ali Rabeh, le maire de Trappes, une commune de l'ouest parisien avec un fort taux de pauvreté, a reproché à Emmanuel Macron de « mettre de l'huile sur le feu ». Il a noté que contrairement aux dispositions du Code de la Justice pénale des mineurs, de très nombreuses mesures éducatives ne sont pas appliquées, faute de moyens, par le ministère de la Justice.

En outre, il s’avère, dans les faits, quasi-impossible de démontrer l’existence d’un lien de causalité entre l’infraction pénale commise par le mineur et le défaut d’éducation des parents.

Par ailleurs, certains des avocats des prévenus ont exprimé leur exaspération de voir la circulaire du ministre de la Justice « fidèlement reproduite dans la salle d’audience». Le traitement de faveur est le même pour les mineurs, une justice rendue différemment que pour les majeurs. Alors que l'âge médian des personnes interpellées est de 17 ans, les mineurs sont systématiquement déférés devant le parquet et notamment des jeunes de 13 ans, une situation extrêmement rare.

Le même son de cloche de la part du syndicat de la magistrature qui a fustigé la rhétorique du « respect du travail de la justice ». Il a accusé le gouvernement et certains syndicats de police d’avoir obsessionnellement utilisé cette rhétorique, estimant qu’elle ne sert qu’un but : « celui de ne pas regarder en face la question systémique que soulève, une fois encore, la mort d’un adolescent d’un quartier populaire sous les balles de la police ».

Pour ce syndicat, la question que pose la mort de Nahel tué par un policier après un refus d’obtempérer « est bel et bien politique », et cette « soudaine déférence à l’égard de la justice n’est qu’une forme d’instrumentalisation ».

« L’autorité judiciaire pâtit, loi après loi, de la construction d’un ordre policier qui rogne sur les droits et libertés des citoyens, les prive de l'accès à la justice et empêche un réel contrôle judiciaire de la police, au nom de la sécurité », écrit le Syndicat de la magistrature.

Entre-temps, l’autre défi à gérer concerne les mesures d’incarcérations ordonnées en grand nombre ces derniers jours tandis qu’avec 73 699 détenus, les établissements pénitentiaires français viennent d’atteindre un nouveau record de surpopulation carcérale.

La mort de Nahel, adolescent d’origine algérienne, tué lors d'un contrôle routier à Nanterre en banlieue parisienne a provoqué plusieurs nuits consécutives de protestations dans de nombreuses villes de France.

 

Ghorban-Ali Khodabandeh est journaliste indépendant et analyste politique iranien basé à Téhéran.

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SOURCE: FRENCH PRESS TV