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Carnage d’al-Shifa : comment le plus grand hôpital de Gaza s’est transformé en un cimetière obsédant

US Rep. Ilhan Omar (D-MN) (L) talks with Speaker of the House Nancy Pelosi (D-CA) during a rally with fellow Democrats before voting on H.R. 1, or the People Act, on the East Steps of the US Capitol on March 08, 2019 in Washington, DC. (AFP photo)

By Maryam Qarehgozlou

« Le complexe médical al-Shifa, le cœur du service de santé de Gaza, a été complètement détruit sans laisser une seule aiguille pour un bon usage », a déclaré Ahmed Kouta, un infirmier qui travaillait dans le plus grand établissement médical de Gaza, une fois que l'armée israélienne s’en est retirée après deux semaines.

« Chaque élément de l’hôpital est devenu un déchet. »

Le siège de l'hôpital al-Shifa par l'armée israélienne pendant deux semaines a laissé une trace de morts et de destructions dans l'établissement médical, que Ramy Abdu, chef de l'Observatoire Euro-Med des Droits de l'Homme, a qualifié de massacre d'une ampleur sans précédent, exterminant non seulement des hommes, mais aussi le tissu même de l’environnement.

Des images provenant de l’hôpital montraient le complexe en ruines après deux semaines de bombardements et de siège incessants. Selon des témoins, des centaines de corps ont été retrouvés à l’intérieur de l’hôpital de l’ouest de Gaza et dans les rues qui l’entourent, dont beaucoup dans un état de décomposition.

« Le nombre de victimes est incalculable. Les pertes dépassent celles des massacres combinés de Deir Yassin, Khan Younès 1956 et Tantura », a posté Abdu sur X, anciennement Twitter.

« Tous les services à l'intérieur de l'hôpital ont été incendiés », a déploré Kouta dans une vidéo qu'il a partagée sur son compte Instagram, montrant les bâtiments à l'intérieur du complexe en ruines.

À l’intérieur de l’hôpital, des images montraient le toit effondré par endroits. Des débris étaient éparpillés partout, notamment du matériel médical brisé, du métal tordu et des fragments de béton.

Kouta a également montré les corps sans vie éparpillés à l'extérieur de l'établissement de santé. Le complexe médical autrefois animé avait un aspect sinistre, rempli de restes humains à différents stades de délabrement.

« Tout autour de l’hôpital al-Shifa, dans ses environs et dans les rues autour des hôpitaux, il y a des corps comme celui-ci. Tout cela est dû aux frappes aériennes et aux coups de feu qui ont eu lieu autour de l’hôpital ces 14 derniers jours », a-t-il souligné.

D'autres images du site montraient des corps tordus et contorsionnés, certains partiellement enfouis sous les décombres, tandis que d'autres étaient exposés, leur chair décolorée et gonflée par la décomposition.

« Aucun signe de vie »

Selon des témoins, des bulldozers israéliens ont également détruit un cimetière de fortune à proximité de l’enceinte de l’hôpital, où s’abritaient des patients, du personnel médical et des personnes déplacées.

Yahia Abu Auf, un habitant de Gaza, qui a également vu des corps écrasés par les chars et les bulldozers militaires israéliens, a qualifié la situation d’« indescriptible ».

« L'occupation a détruit tout sens de vie ici », a-t-il déclaré, faisant référence à l'ampleur de la tragédie.

Ismail Al-Thawabta, directeur du bureau des médias du gouvernement de Gaza, a affirmé que ce qui s'est passé dans le centre de santé le plus important et le plus grand du territoire palestinien côtier était « un crime contre l'humanité ».

« L'occupation a détruit et incendié tous les bâtiments à l'intérieur du complexe médical d'al-Shifa. Ils ont rasé les cours au bulldozer, enterrant des dizaines de corps de martyrs dans les décombres, transformant l’endroit en cimetière commun », a-t-il dit dans un communiqué.

Le ministère palestinien de la Santé siégé à Gaza a qualifié l’ampleur des morts et des destructions à l’intérieur du complexe de « très importante », affirmant que l’hôpital est désormais « complètement hors service ».

La Défense civile de Gaza a rapporté que les équipes médicales ont jusqu'à présent trouvé au moins 300 corps, y compris des personnes dont les mains et les pieds étaient ligotés, et s'efforcent de récupérer des centaines de corps éparpillés dans l'enceinte de l'hôpital.

Il a ajouté qu’il est difficile de déterminer le nombre précis de personnes tuées car les troupes israéliennes ont enterré des corps à l’intérieur et autour du complexe et ont rasé les routes avoisinantes au bulldozer.

« La situation est très mauvaise », a déclaré lundi Mahmoud Bassal, porte-parole de la Défense civile de Gaza. « Il (l’hôpital) est complètement détruit et incendié. Beaucoup de ses bâtiments sont totalement détruits ou carbonisés.

Selon le bureau des médias de Gaza, les forces israéliennes ont mis les services médicaux hors d'usage et ont tué 400 Palestiniens autour de l'hôpital, dont le docteur Ahmad al-Maqadmeh, un chirurgien reconstructeur renommé et sa mère, Yusra al-Maqadmeh, une médecin généraliste.

Al-Maqadmeh était père de deux enfants et avait remporté la prestigieuse bourse d'innovation en chirurgie humanitaire du Collège royal des chirurgiens d'Angleterre.

Tedros Adhanom Ghebreyesus, le chef de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), a déclaré dimanche que 21 patients étaient décédés à l'hôpital depuis qu'Israël a commencé son siège il y a deux semaines.

« Plus de 100 patients sont toujours coincés à l'intérieur de l'enceinte, dont au moins 28 dans un état critique », a-t-il ajouté.

« Parmi les patients se trouvent quatre enfants, dépourvus des moyens de soins nécessaires – pas de couches, de poches à urine, d'eau pour nettoyer les plaies », a écrit Ghebreyesus.

« Beaucoup ont des plaies infectées et sont déshydratées. Depuis hier, il ne reste plus qu’une bouteille d’eau pour 15 personnes. »

« Le plus grand massacre de l'histoire de la Palestine »

Euro-Med Human Rights Monitor, un groupe de défense des droits dont le siège se trouve à Genève, a déclaré lundi dans un rapport que le raid « massif » et « horrible » d'Israël sur al-Shifa était l'un des « plus grands massacres de l'histoire palestinienne ».

On estime que plus de 1 500 Palestiniens ont été tués, blessés ou portés disparus à la suite du « massacre » d’al-Shifa, les femmes et les enfants représentant la moitié des victimes.

« Euro-Med Monitor est en mesure de confirmer, à partir de son enquête initiale et de ses témoignages, que des centaines de cadavres, dont certains brûlés et d'autres avec la tête et les membres découpés, ont été découverts à la fois à l'intérieur du complexe médical d'al-Shifa et dans les environs de l'hôpital », lit-on dans le rapport, qui a déclenché une vague de colère et d’indignation.  

Il a également déclaré que l’armée israélienne a « intentionnellement » vidé le complexe de tout le personnel en activité – en particulier le personnel médical – soit par des exécutions sommaires, soit par des déplacements forcés, soit par des arrestations et a empêché les équipes de secours d’effectuer des missions humanitaires ou des évacuations à l’hôpital.

Le rapport note que l'armée israélienne a forcé plus de 25 000 civils palestiniens à évacuer leurs maisons à proximité d'al-Shifa, et a démoli et incendié plus de 1 200 logements dans la région.

« L'armée israélienne a commis le massacre du complexe médical d'al-Shifa au mépris le plus total du droit international humanitaire, en particulier de ses règles relatives à la distinction, à la proportionnalité et à la nécessité militaire ; au respect des protections uniques dont bénéficient les hôpitaux civils et les équipes médicales ; à la protection des civils des malades et des blessés.

Abdu, dans un article sur X, a qualifié l’armée israélienne de « gang de monstres humains ».

« Cette armée a incendié des bâtiments hospitaliers et des centaines d’unités résidentielles autour d’eux, ses chars ont écrasé les corps de civils et elle en a exécuté des dizaines, dont des enfants », a-t-il écrit.

Un massacre « délibéré »

L'offensive militaire lancée par Israël à la suite de l'opération Tempête d'Al-Aqsa lancée par le mouvement de Résistance islamique de la Palestine, Hamas, il y a près de six mois a jusqu'à présent tué environ 33 000 personnes à Gaza, dont au moins 340 agents de santé, selon les autorités sanitaires de Gaza.

Les bombardements incessants d'Israël sur le territoire assiégé ont réduit des pans entiers du territoire en ruines, détruisant 70% des infrastructures civiles, déplaçant plus de 85% des 2,3 millions d'habitants et rendant l'endroit pratiquement inhabitable.

Le 18 mars, l’armée israélienne a lancé un raid meurtrier sur al-Shifa, qui abritait trois hôpitaux spécialisés d’une capacité clinique combinée de 800 lits.

Le ministère palestinien de la Santé siégé à Gaza a déclaré qu'environ 3 000 personnes se trouvaient à l'intérieur de l'hôpital lorsque le raid a commencé. L’armée israélienne a prétendu qu’elle visait les combattants du Hamas qui utilisaient le complexe comme base. Force est de constater qu’aucune preuve n’a étayé cette allégation.

Depuis le début de la guerre le 7 octobre, l’armée israélienne a formulé des allégations similaires justifiant ses raids sur des bâtiments civils, notamment des hôpitaux, des écoles, des universités et des camps de réfugiés.

Alors que l'armée israélienne a allégué que le raid sur l'hôpital avait été mené en « évitant de nuire aux civils, aux patients et aux équipes médicales », les Palestiniens qui ont fui l'établissement ont décrit des jours de combats intenses, d'arrestations massives, de torture et de siège pendant deux semaines sans aucune fourniture médicale, de nourriture ni d'eau.

Mohammad Sukkar, un homme de 27 ans qui était volontaire à al-Shifa quand Israël a lancé son assaut, a déclaré que les soldats israéliens ont obligé les hommes à s'abriter à l'intérieur de l'hôpital et ont tenu leurs mains au-dessus de leur tête, puis les ont menottés et leur ont bandé les yeux.

« Pendant quatre jours, nous avons été enchaînés dans le froid dans la cour de l'hôpital, sans nourriture ni eau », a-t-il expliqué.

« Si nous demandions quelque chose, les soldats nous criaient dessus, nous donnaient des coups de pied avec leurs bottes, nous a craché dessus et nous a insultés avec les mots les plus horribles », a ajouté Sukkar.

Les soldats israéliens les ont finalement relâchés et les ont forcés à se déplacer vers le sud sans leurs vêtements ni leurs effets personnels.

Citant des témoignages oculaires, Raed al-Nims, porte-parole de la Société palestinienne du Croissant-Rouge, a déclaré que de nombreux civils à al-Shifa avaient été délibérément exécutés par des soldats israéliens.

« De nombreux civils ont été exécutés. Ils ont été tués par les forces d'occupation israéliennes, notamment du personnel médical, des médecins et des infirmières ; ils ont été délibérément exécutés par les soldats israéliens », a-t-il dénoncé.

Selon Euro-Med Monitor, jusqu’à présent, Israël n’a produit aucun document pour justifier ou valider ses raids massifs sur les hôpitaux qui constituent des « violations flagrantes » du droit humanitaire international.

Ciblage systématique des soins de santé à Gaza

Craig Murray, historien et militant des droits de l’homme, a qualifié lundi dans un article sur X, le raid sur al-Shifa de « destruction systématique » des établissements de santé et a appelé à une « action militaire » contre Israël pour y mettre un terme.

« Les détails révélés aujourd’hui sur le massacre de l’hôpital al-Shifa sont tout simplement incroyables. Chirurgiens exécutés. Enfants exécutés. Des corps mutilés. Les installations médicales sont systématiquement détruites », a-t-il écrit.

« Oubliez les sanctions, il faut une action militaire internationale contre Israël. Maintenant ».

Ghassan Abu Sitta, un chirurgien plasticien et reconstructeur qui a travaillé dans de nombreux hôpitaux de Gaza, a déclaré qu'Israël vise à rendre Gaza « inhabitable » en attaquant les établissements de santé.

« L’hôpital al-Shifa représentait 30 % de la capacité du système de santé de la bande de Gaza. Les Israéliens ont fait sauter ou incendié tous ses bâtiments pour garantir qu'ils soient irréparables et qu'ils doivent être reconstruits à partir de zéro. L’objectif était et reste de rendre Gaza inhabitable », a-t-il écrit sur X.

Mardi, l'Aide Médicale aux Palestiniens (MAP), qui œuvre pour la santé et la dignité des Palestiniens vivant sous occupation et en tant que réfugiés, a également averti dans un communiqué de presse que la destruction d'al-Shifa est la dernière preuve que l'armée israélienne a systématiquement démantelé le système de santé à Gaza.

Le bâtiment principal de chirurgie de l'hôpital, son unité de soins intensifs ainsi que les services d'urgence, de chirurgie générale et d'orthopédie ont tous été détruits.

Le Dr Tayseer al-Tanna, un chirurgien vasculaire travaillant actuellement à al-Ahli, après avoir fui l'hôpital d’al-Shifa, a déclaré à la MAP que 15 des 60 patients transférés à l'hôpital d'al-Ahli après la fin du siège d'al-Shifa ont dû être amputés d'un membre dont au moins 10 uniquement pour n'avoir reçu aucun soin médical approprié pendant le siège d'al-Shifa par l'armée israélienne.

Le Dr Tayseer a déclaré qu'il n'avait jamais été témoin d'un tel niveau de destruction dans sa vie auparavant et que la reconstruction de l'hôpital pourrait prendre plus de 20 ans.

Selon la MAP, suite à la destruction d'al-Shifa, au moins 350 000 Palestiniens du nord ne disposent que de 200 lits d'hôpitaux, les hôpitaux Kamal Adwan et al-Ahli fonctionnent respectivement à seulement 30 % et 70 % de leur capacité, et manquent des services spécialisés disponibles à al-Shifa.

Le Dr Tanya Haj-Hassan, médecin de soins intensifs pédiatriques qui vient de rentrer de Gaza, a également déclaré que le raid sur al-Shifa équivalait à un « ciblage direct des travailleurs de la santé ».

« Dire que cette attaque contre des hôpitaux constitue un objectif stratégique du Hamas est une insulte à notre intellect et à notre humanité. C'est le massacre des gens qui guérissent. Il s’agit d’un ciblage direct des travailleurs de la santé, […] c’est un ciblage direct et systématique des soins de santé qui est injustifiable », a-t-elle dénoncé.

(Les opinions exprimées dans cet article ne reflètent pas nécessairement celles de Press TV)

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SOURCE: FRENCH PRESS TV