Par Ghorbanali Khodabandeh
Tandis que la guerre génocidaire israélienne ne montre aucun signe de répit vingt semaines après son déclenchement, les pourparlers attendus à Paris sur un nouveau cessez-le-feu à Gaza ont débuté vendredi 23 février.
La réunion de Paris s’inscrit dans le cadre d’une nouvelle tentative de Macron de débloquer les pourparlers sur une trêve dans la bande de Gaza et en vue de la cessation des agressions israéliennes. Sur le terrain, la situation humanitaire ne cesse d'empirer sur le territoire palestinien où le bureau de coordination de l'aide humanitaire (Ocha) a mis en garde samedi contre une menace de famine de masse faute d'approvisionnements suffisants en eau et nourriture. La dernière fois que des pourparlers similaires ont eu lieu à Paris, au début du mois de février, ils ont débouché sur les grandes lignes d'un premier cessez-le-feu prolongé, approuvé par Israël et les États-Unis.
Que prévoit le plan discuté à Paris ?
Des responsables des États-Unis, du Qatar et de l'Égypte ont dévoilé un nouveau plan d'accord entre Israël et le mouvement palestinien Hamas, qui comprendrait un nouveau cessez-le-feu de six semaines et la libération d'une quarantaine de prisonniers israéliens détenus dans la bande de Gaza. La proposition, élaborée lors des négociations qui ont eu lieu à Paris, en France, prévoit également la libération de centaines de prisonniers palestiniens détenus dans les prisons israéliennes. Une délégation israélienne est arrivée à Paris en France, pour des négociations sur le cessez-le-feu à Gaza et l'échange de prisonniers. Les chefs des services de renseignement des États-Unis avec William Burns, d'Israël avec David Barnea et d'Égypte avec Abbass Kamel sont présents dans la capitale française, ainsi que le Premier ministre et ministre des Affaires étrangères du Qatar, Mohammed bin Abdulrahman bin Jassim. Une source du Hamas a affirmé que le plan discuté à Paris prévoyait une pause de six semaines dans les combats et la libération de 200 à 300 prisonniers palestiniens en échange de 35 à 40 otages détenus par le Hamas.
Les négociations les plus récentes sur un cessez-le-feu à Gaza ont échoué il y a deux semaines après que Benjamin Netanyahu a rejeté la proposition du Hamas d'une trêve de quatre mois et demi qui se terminerait par un retrait de l'armée israélienne.
Un cessez-le-feu d'une semaine avait été conclu entre le Hamas et Israël, du 24 novembre au 1er décembre, sous la médiation du Qatar, de l'Égypte et des États-Unis, au cours duquel les hostilités ont été interrompues, des prisonniers ont été échangés et une aide humanitaire extrêmement limitée a été livrée à Gaza.
Guerre de Gaza : quel rôle la France peut-elle jouer?
Les guerres sont d’implacables révélateurs de la politique des États. Celle de Gaza ne fait pas exception et révèle les faiblesses et les lacunes de la politique étrangère de la France. Le « soutien inconditionnel » à la politique d’Israël, apporté au plus haut sommet de l’État a mis depuis la France en porte-à-faux. En dépit des timides évolutions des déclarations d’Emmanuel Macron, cette approche est assimilée à un bloc occidental qui pratique allégrement le « deux poids, deux mesures » : soutien marqué et persistant à l’Ukraine, mais quasi inexistant au peuple palestinien.
En effet, il n’y a eu aucune spécificité de la position française par rapport à la position occidentale et même à celle des pays arabes ou de la Russie. Le rôle spécifique de la France a alors disparu, dans la mesure où le fil traditionnel de la politique étrangère française, c’est d’avoir une préoccupation plus particulière pour la question palestinienne. À partir du moment où, à tort, on a estimé que la question palestinienne était en voie de règlement par « neutralisation », le rôle spécifique de la France a disparu.
Alors que la France a été le pays occidental le plus populaire en Palestine et dans le monde arabo-musulman sous Chirac, les dirigeants français ont depuis atténué leur critique d’Israël, perdant de facto ce statut.
Depuis la déclaration européenne de Berlin, en mars 1999, la France, comme bien d’autres pays, a choisi de mettre le dossier israélo-palestinien sous la table. La déclaration d’alors, qui préconisait le droit des Palestiniens à l’autodétermination et celui de créer un État palestinien viable, est le dernier acte de diplomatie française et européenne envers les acteurs du conflit.
Depuis le 7 octobre, les demandes de l’Union européenne en l’occurrence la France affirmant le droit du peuple palestinien à établir son propre État indépendant conformément aux résolutions internationales, se sont peu fait entendre. La guerre israélienne sur Gaza révèle ainsi un fossé important entre les normes et la stratégie européenne guidant sa relation avec les Palestiniens et les Israéliens. En effet, aucune des déclarations européennes n’a critiqué les actions israéliennes qui sapent la solution à deux États, ou n’a mentionné les colonies, pourtant visées par une résolution européenne. Cela indique que l’approche suivie par l’Union a prouvé aux dirigeants israéliens que la continuation de l’occupation ne met pas en péril la relation entre les deux parties.
La guerre de Gaza a également révélé la force de la relation stratégique entre un certain nombre de pays de l’Union y compris la France et Israël d’une part, et l’alignement de ces pays sur les États-Unis d’autre part, ce qui a affaibli la capacité de l’Union à parler d’une seule voix et à influencer les politiques de l’entité israélienne envers les Palestiniens.
La France ferme les yeux sur les crimes israéliens à Gaza
En quatre mois et demi, la guerre a déplacé des centaines de milliers de Palestiniens et poussé environ 2,2 millions d'habitants, soit l'immense majorité de la population de la bande de Gaza, au bord de la famine, selon l'ONU.
L'inquiétude grandit chaque jour à Rafah où se massent au moins 1,4 million de personnes, la plupart ayant fui les atrocités, et cible prochaine d'une opération de grande envergure annoncée par l'armée israélienne.
L'aide, dont l'entrée est soumise au feu vert d'Israël, est toujours insuffisante et son acheminement vers le nord est difficile en raison des destructions et des combats.
Les appels à des « pauses », « trêve » ou « cessez-le-feu » se sont multipliés ces dernières semaines pour faciliter l’accès de l’aide humanitaire.
Pour rappel, la France a accueilli en novembre, à l’initiative de son président Emmanuel Macron, une « conférence humanitaire » pour tenter de débloquer l’aide vers Gaza, rendue quasi-impossible par les bombardements incessants d’Israël. Reste à savoir si l’initiative du président français d’organiser des pourparlers sera à même de contribuer à sortir de l’impasse et « débloquer » les pourparlers en vue d’un nouveau cessez-le-feu à Gaza. En attendant l'issue des négociations diplomatiques, les frappes israéliennes et les combats se poursuivent à Gaza.
Livraison d'armes à Israël : le silence troublant de la France
Si la France est claire sur sa demande d’un cessez-le-feu à Gaza, elle l’est moins en ce qui concerne sa vente d’armes à Israël. Récemment, la pression s'est accrue de la part des parlementaires et des organisations non gouvernementales (ONG) sur la question des exportations d'armes françaises. Mais en vain. La France n'a toujours pas adopté de mesures punitives à l'encontre d'Israël et maintient son silence. Sur une éventuelle décision qui serait prise par la France d'imposer un moratoire sur l'exportation d'armes vers Israël, le porte-parole adjoint du Quai d'Orsay a indiqué lors d’un point de presse le 15 février courant, qu'il pourra revenir sur le sujet ultérieurement.
Cette réponse intervient dans un contexte où des parlementaires et le président d’Amnesty International ont récemment interpellé le Président français Emmanuel Macron pour demander l'arrêt de la coopération militaire avec Israël.
Selon le rapport 2023 soumis par le ministère français des Armées en juillet 2022 au Parlement, la France a exporté près de 200 millions d'euros d'armement à Israël entre 2013 et 2022, faisant de Paris l'un des plus grands exportateurs d'armes à Tel-Aviv, après les États-Unis qui constituent la première source étrangère d'approvisionnement pour Israël.
Ce document indique que les exportations d'armes de la France vers Israël comprennent divers types d'armements tels que des bombes, torpilles, roquettes, missiles, ainsi que d'autres dispositifs et charges explosives, de même que les matériels et accessoires connexes, et leurs composants spécifiques. Cette liste englobe des systèmes de haute technologie pour le guidage des missiles et des bombes, ainsi que des pistolets mitrailleurs.
La France viole le traité sur le commerce des armes
La Cour internationale de Justice a récemment clairement mis en lumière un risque de génocide à Gaza et les violations continues du droit international par Israël dans les territoires palestiniens occupés, principal obstacle à l’instauration d’un cessez-le-feu à Gaza. L'existence d'un risque génocidaire devrait en théorie obliger les pays exportateurs d’armes à cesser tout export d'armes, de matériels ou de technologies militaires vers Israël. Mais la France n’a pas changé sa stratégie de vente contrairement aux Pays-Bas où la justice a ordonné l'arrêt des livraisons d'armes en raison du risque clair de violations graves du droit humanitaire par Israël.
Pourtant, la France est signataire du traité sur le commerce des armes (TCA) de 2013, qui interdit à un État de vendre des armes s’il a connaissance que ces armes ou ces biens pourraient servir à commettre un génocide, des crimes contre l’humanité, des violations graves des conventions de Genève de 1949, des attaques dirigées contre des civils ou des biens de caractère civil et protégés comme tels, ou d’autres crimes de guerre.
Dans ces circonstances terribles, la France ne peut pas à la fois adhérer aux décisions de la CIJ tout en continuant à armer ceux à qui la Cour a ordonné de tout faire pour prévenir le génocide contre les Palestiniens de la Bande de Gaza.
En tant que membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, la voix de la France compte. Une décision digne de sa place pourrait permettre in fine de mettre en place un cessez-le-feu à Gaza, de contrer une escalade supplémentaire des atrocités israéliennes et d’éviter l’irréparable.
Ghorbanali Khodabandeh est un journaliste et analyste politique iranien basé à Téhéran.