Par Ghorban-Ali Khodabandeh
Les coups d’État se multiplient au Sahel et en Afrique de l’Ouest. Le putsch de mercredi 30 août au Gabon s'inscrit dans une tendance régionale plus large, alimentant l'audace de ceux qui pourraient être tentés de suivre cet exemple. Ce nouveau putsch enregistré en Afrique de l’Ouest doit être replacé dans le mouvement de contestation de la politique française depuis l’indépendance.
Un groupe d'officiers supérieurs ont mis fin mercredi au pouvoir du président Ali Bongo, quelques instants après l'annonce de sa victoire pour un troisième mandat. Si rien n'a filtré des intentions des putschistes, c'est une autre ancienne colonie française qui passe sous le contrôle de militaires, après le Burkina Faso, le Mali et le Niger. Le Gabon, ce pays de l'Afrique centrale qui est un producteur de pétrole et de manganèse n'a jamais réussi à faire profiter sa population de la manne des matières premières.
Force est de constater que la rhétorique de « l’émancipation » contre les anciennes puissances coloniales et leurs interventions récentes sert souvent à mobiliser les populations africaines contre les puissances occidentales en l’occurrence la France qui, durant des décennies, ont tenté de les réduire à l’esclavage.
-Fin de 56 ans de règne de la dynastie Bongo
Le renversement d’Ali Bongo par des militaires, ce mercredi 30 août, semble mettre un terme à une dynastie familiale qui domine le pays depuis l’arrivée au pouvoir d’Omar Bongo en 1967. Après la réélection d'Ali Bongo ce mercredi, un groupe de militaire a pris possession de la télévision publique, annonçant l'annulation des élections et la dissolution des institutions.
Ali Bongo a été placé en résidence surveillée « entouré de sa famille et de ses médecins », et l'un de ses fils, Noureddin Bongo Valentin, a été arrêté notamment pour « haute trahison », ont annoncé les militaires putschistes.
Ali Bongo avait été élu en 2009 à la mort de son père Omar Bongo Ondimba, pilier de la « Françafrique », qui dirigeait le pays depuis plus de 41 ans.
Le président gabonais venait tout juste d'être proclamé vainqueur de l'élection présidentielle et réélu pour un troisième mandat, malgré les très vives protestations de son rival, Albert Ondo Ossa, et le chaos général dans le pays.
Juste après la proclamation en plein cœur de la nuit de la victoire de M. Bongo à la présidentielle de samedi avec 64,27% des voix - son principal rival Albert Ondo Ossa, recueillant 30,77% des voix et dénonçant des fraudes massives-, un groupe d'une douzaine de militaires était apparu sur les écrans de la chaîne de télévision Gabon 24, abritée au sein même du palais présidentiel.
Les militaires ont décrété la dissolution de toutes les institutions du pays et ordonné la fermeture des frontières du Gabon jusqu'à nouvel ordre.
La corruption présumée et la mauvaise gouvernance sous la dynastie politique des Bongo, qui dirige ce pays d'Afrique centrale riche en pétrole depuis près de 56 ans, avaient suscité le mécontentement.
La Famille Bongo est au pouvoir depuis 56 ans, cela n’a pas gêné les soi-disant grandes démocraties occidentales. Pour gagner l’appui de la France qui pourrait intervenir à tout moment pour le destituer, Omar Bongo aurait accepté de mettre à disposition une partie des richesses du Gabon et en particulier son pétrole et son uranium, ressources stratégiques. Sur les questions de politique internationale, le Gabon s’est toujours aligné sur la France.
L’héritage d’Omar Bongo est illustré par 20 mariages déclarés outre les liaisons, 54 enfants dont plus de 20 vivent en permanence en France, 28 résidences luxueuses en France et plus de 70 comptes bancaires, dont la majorité se trouve à Paris. Son fils Ali a été mis au pouvoir pour préserver les intérêts de la France et ceux de la dynastie Bongo. Neuf membres de la famille Bongo font l'objet d'une enquête en France et certains d'entre eux font l'objet d'accusations préliminaires de détournement de fonds, de blanchiment d'argent et d'autres formes de corruption, selon Sherpa, une ONG française qui plaide en faveur de la responsabilisation.
Les puissances occidentales et le Parlement européen n’ont pas mené une cabale contre la corruption au Gabon, ils ne se sont pas indignés de cinq décennies de pouvoir, ou du fait que dans un Etat aussi riche, 33.2% d’une population totale d’un million et demi vivent au-dessous du seuil de la pauvreté. Ils n’ont pas été inquiétés par le fait que c’est l’exploitation des richesses illimitées de ce pays par la France qui le prive de la prospérité économique. Parallèlement, près de 40 % des Gabonais âgés de 15 à 24 ans sont au chômage, selon une étude réalisée en 2020 par la Banque mondiale. A noter que les recettes d'exportation de pétrole du Gabon s'élevaient à 6 milliards de dollars en 2022.
-L’effondrement du berceau de la Françafrique
Un peu plus d’un mois après le Niger, la France est confrontée à un nouveau coup d’Etat militaire chez l’un de ses plus anciens et fidèles alliés africains : le Gabon. Passé la stupéfaction perceptible dans les premières heures, les autorités françaises ont, comme au Niger, condamné le coup de force mené par les militaires.
Jusqu'à ce coup d'État, le Gabon, pays d'Afrique centrale riche en pétrole, était dirigé depuis plus d’un demi-siècle par la famille Bongo. Situation des expatriés, implantation des entreprises, éléments militaires, autant de facteurs qui en disent long sur la présence et les intérêts économiques, militaires et diplomatiques français au Gabon.
La présence française dans cette ancienne colonie s'est considérablement réduite au fil des années, mais Paris dispose toujours sur place d'une base, de plusieurs centaines de militaires et des dizaines d'entreprises.
De nombreuses entreprises françaises opèrent dans tous les secteurs au Gabon. Les plus importantes sont actives dans le pétrole, en tête, nous trouvons Total.
Le Gabon est le quatrième producteur de pétrole d’Afrique subsaharienne, il est membre de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) depuis 2016. Dans les minéraux, c’est la société Eramet, qui sévit et qui a mis ses activités en arrêt à la suite du coup d’Etat, les télécommunications (France Télécom), le transport aérien (Air France), Air Liquide et d’autres opérant dans le bois précieux, le transport maritime, l’eau potable et d’autres. Plus de 80 filiales des entreprises françaises implantées au Gabon ont réalisé un chiffre d’affaires de 3 milliards d’euros en 2020.
Les ressources naturelles de l’Afrique ont été à la base de la prospérité économique française après la vague d’indépendance formelle de la fin des années 1950.
Depuis, à chaque fois que les intérêts français étaient menacés, des coups d’État sont orchestrés pour placer les alliés et écarter les Africains nationalistes et patriotes. Quoiqu’on en dise, la tradition des coups d’Etat en Afrique a été instaurée par la France même si les appellations changent selon les contextes entre « Rétablir l’ordre républicain et préserver les institutions » quand c’est l’Hexagone qui mène le jeu et déstabiliser l’Etat et menacer les institutions quand ce n’est pas la France coloniale.
Les coups d’État en Afrique sont malheureusement devenus le seul moyen de défendre les intérêts des populations pauvres et désarmées face à des classes dirigeantes et des politiciens corrompus qui ont prêté allégeance à l’ancien colon aux dépens de leurs propres pays et nations.
Il y a cinquante ans, la France pouvait compter sur des partenariats basés sur un équilibre d’intérêts mutuels. Mais cette époque est bel et bien révolue, et aujourd’hui la France se trouve à naviguer dans un environnement de plus en plus précaire.
Le résultat est un héritage complexe qui combine les échos négatifs de l’époque coloniale et de la Françafrique, sans en tirer les bénéfices sécuritaires et économiques d’antan. La France est ainsi coincée dans un rôle qu’elle ne sait plus comment jouer, en essayant de jongler entre ses propres intérêts et une myriade de défis locaux sur fond de dynamiques sociales, politiques et économiques et un sentiment anti-français croissant au Sahel.
Conclusion
Les coups d’Etat au Niger, au Mali, au Burkina Faso et maintenant au Gabon, illustrent le ras le bol des pays africains, prétendument indépendants, mais vivant toujours sous le joug de la France, économiquement, militairement, politiquement et diplomatiquement. Aucun président de l’Afrique subsaharienne ne pourrait gagner les élections sans l’aval de la France. Après le Niger et le Gabon, si l’on rentre dans cette logique, le Cameroun pourrait tomber demain, puis la Côte d'Ivoire…
En tant qu’ancienne puissance coloniale, la France est en permanence dans une impasse stratégique et politique en Afrique face notamment à la présence chinoise et russe sur le continent.
Il est peut-être temps pour la France et l’Europe de quitter la posture hautaine s’agissant de l’Afrique, de considérer que dans les pays africains, il y a des élites patriotes qui peuvent diriger leurs pays sans assistance occidentale et sans parodies démocratiques.
Les pays africains ont besoin de développer leurs économies et d’adopter des recettes démocratiques correspondant plus à leurs cultures qu’à celles des anciennes puissances coloniales.
Ghorban-Ali Khodabandeh est un journaliste indépendant et analyste politique iranien basé à Téhéran.