Par Ghorban-Ali Khodabandeh
Entre le 22 et 24 août se tient en Afrique du Sud le 15e sommet des BRICS. Ce forum informel composé du Brésil, de la Russie, de l’Inde, de la Chine et de l’Afrique du Sud a gagné en importance cette dernière décennie, avec la montée en puissance de ses membres, surtout l’Inde et la Chine.
Jamais un sommet des cinq pays composant les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) n’avait autant attiré l’attention depuis la création de ce groupe politico-administratif. Le thème de ce 15e sommet s’intitule « Les BRICS et l’Afrique : un partenariat pour une croissance mutuellement accélérée, un développement durable et un multilatéralisme inclusif ». Mais les débats dépasseront largement la question du continent africain.
Au fil des ans, ce groupe s’affirme comme une alternative au G7, avec l’ambition de rebattre les cartes de l’ordre économique international et de contester le règne du dollar américain. Au côté de l'ouverture à de nouveaux membres, ou de la sécurité alimentaire, la question de la monnaie constitue un enjeu économique et géopolitique majeur des BRICS.
Les décisions qui seront prises pourraient affecter l’ordre mondial, notamment avec l’élargissement de cette structure à de nombreux pays, qui concernera très certainement le contrôle des voies maritimes, terrestres et certains détroits.
Les BRICS, un sommet pour la multipolarité et contre le dollar
Le 15e sommet des BRICS se déroule alors qu’un certain nombre de pays en développement entendent désormais peser sur les grandes orientations mondiales qui les affectent. Ces pays veulent en effet se libérer de la mainmise des principales puissances sur les instruments économiques et financiers ainsi que sur les monnaies avec la domination du dollar dans les échanges commerciaux.
Cette tendance est d’autant plus importante que le cœur du commerce mondial se situe en Asie et dans le Pacifique. Sur les dix premiers ports de commerce mondiaux, neuf se situent dans la région asiatique dont trois des cinq BRICS : Chine, Inde, Russie.
Parmi les enjeux de ce sommet des BRICS, se trouve donc la volonté de dédollariser le groupe en augmentant leurs échanges économiques avec leurs monnaies nationales. La volonté d’échanges économiques dans des monnaies autres que le dollar américain s’est accélérée avec le conflit en Ukraine : l’Arabie saoudite a pensé utiliser le yuan chinois pour la vente du pétrole.
Dans ce contexte, les BRICS se veulent l'avant-garde du mouvement de dédollarisation. Le dollar pèse pour 44 % des transactions sur les devises et maintient sa domination dans la finance mondiale et le commerce. Déjà en 2009, les BRIC avaient appelé à la création d'une nouvelle monnaie globale, alternative au dollar, sans qu'elle ait vu le jour depuis. Le projet d'une unité de compte commune a alors refait surface au cours des dernières années.
Ces derniers mois, les sanctions occidentales imposées à la Russie – gel des réserves en dollars de la banque centrale, exclusion des banques russes du réseau international de communication interbancaire Swift, interdiction des importations de pétrole de Moscou ainsi que les restrictions contre les pays indépendants ont relancé l’intérêt de nombreux pays émergents pour la « dédollarisation ».
S’adressant aux participants du sommet des BRICS à Johannesburg, le président russe Vladimir Poutine a estimé que le processus de dédollarisation dans les règlements entre les pays de cette alliance économique était irréversible.
Le président russe s’est donc félicité de la coopération au sein des BRICS qui est assurée par les principes d’égalité et de soutien des partenaires. Selon lui, les échanges commerciaux de la Russie et de ses partenaires ont dépassé les 230 milliards de dollars.
Lors de la réunion des ministres des Affaires étrangères du bloc, les sujets de discussion comprenaient la nécessité pour les BRICS d’effectuer des transactions commerciales et financières dans leur propre monnaie. Il s’agirait donc plutôt d’un nouveau système de paiement commun, qui aurait pour avantage de contourner le dollar tout en développant les échanges entre pays membres.
Expansion des BRICS : un tournant géopolitique majeur
Un autre enjeu est l’adhésion de nouveaux membres au sein du groupe : en 2022 et 2023, 22 pays ont manifesté leur souhait d’adhérer aux BRICS. Des pays d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine souvent insatisfaits de l’Occident.
Les chefs d’État présents – le président sud-africain, Cyril Ramaphosa, ses homologues chinois, Xi Jinping, et brésilien, Luiz Inacio Lula da Silva, le premier ministre indien, Narendra Modi, et le ministre des Affaires étrangères russe, Sergueï Lavrov – évoqueront également l’élargissement de leur bloc à d’autres pays.
C’est précisément le second volet du sommet de Johannesburg : l’élargissement du groupe des BRICS à de nouveaux pays : 67 pays d’Afrique et du Sud global ont été invités par Pretoria pour assister à l’ouverture et à certains événements du sommet.
Vingt-trois pays, dont l’Indonésie, l’Arabie saoudite, l’Iran, l’Argentine, Cuba, le Nigeria, le Venezuela, la Thaïlande et le Vietnam, se sont déjà portés candidats pour rejoindre le groupe, séduits par le désalignement économique et politique proposé par les BRICS. Plusieurs autres États, dont les Comores, le Gabon et la République démocratique du Congo (RDC), ont manifesté une volonté informelle de le faire. Les Brics deviendraient alors les Brics +.
Il y a donc de nombreux pays candidats, ce qui montre l’attractivité de ce club. C’est notamment le cas de l’Iran et de l’Arabie-Saoudite. Si ces derniers intègrent le club des BRICS, cela marquerait un tournant, d’autant qu’ils sont de grandes puissances pétrolières. L’expansion est d’ailleurs déjà à l'œuvre, la Nouvelle Banque du Développement compte neuf membres et non cinq (l’Arabie-Saoudite, le Zimbabwe, l’Argentine et l’Egypte sont membres) et on peut parier sur un élargissement des BRICS lors de ce sommet.
Créée en 2015, la Nouvelle Banque de développement (NDB) vise à soutenir les projets d’infrastructure et de développement dans les cinq pays et d’autres en développement.
Les BRICS ont une population de 3,24 milliards d’habitants, soit 40 % de la population mondiale. En 2001, ils représentaient 8 % du PIB mondial. Désormais, ils seraient à 26 %, rattrapant ainsi le G7, son « homologue » occidental.
Selon les données de l’institut britannique Acorn Macro Consulting, les BRICS pèsent désormais 31,5% du PIB mondial en parité de pouvoir d’achat alors que le G7 ne représente « que » 30,7% de la richesse créée sur la planète. L'élargissement stratégique des BRICS aurait donc un effet sismique sur l'ordre mondial, principalement en termes économiques.
Conclusion
L’ambition des BRICS semble alors assumée. Fort de son nombre et de la diversité géographique de ses membres, le groupe tend à représenter un véritable contrepoids géoéconomique aux puissances industrielles traditionnelles du « Nord», G7 en tête.
Les BRICS, en s’ouvrant à d’autres pays émergents détenteurs des plus importantes ressources et richesses mondiales, peuvent devenir le plus important conglomérat économique au monde. Le 15e sommet des BRICS en Afrique du Sud devrait surtout rendre le système de gouvernance mondiale plus juste et contrebalancer la domination des pays occidentaux. Un processus dont les prémices s’écriront peut-être lors du sommet de Johannesburg. Et sans surprise, les États-Unis et l’Europe redoutent de voir se forger une alliance remettant en cause un ordre mondial qu’ils manipulent à leur guise et en fonction de leurs intérêts unilatéraux et impérialistes.
Ghorban-Ali Khodabandeh est un journaliste indépendant et analyste politique iranien basé à Téhéran.