TV
Infos   /   Afrique   /   L’INFO EN CONTINU   /   Point de Vue

Niger : fin du néo-colonialisme français et la défaite totale de la stratégie de Macron au Sahel

US Rep. Ilhan Omar (D-MN) (L) talks with Speaker of the House Nancy Pelosi (D-CA) during a rally with fellow Democrats before voting on H.R. 1, or the People Act, on the East Steps of the US Capitol on March 08, 2019 in Washington, DC. (AFP photo)
Plusieurs dizaines de Maliens organisent une manifestation contre la France sur la place de l'Indépendance lors du 60e anniversaire de l'indépendance du Mali de la France à Bamako, Mali le 22 septembre 2020. ©Stringer

Par Ghorban-Ali Khodabandeh

Depuis le 26 juillet, le pouvoir au Niger est aux mains du Conseil national de sauvegarde de la patrie (CNSP), présidé par le général Abdourahamane Tiani. Ce militaire s’est présenté comme le nouvel homme fort du pays, en annonçant le renversement de Mohamed Bazoum. Le général a justifié le renversement de Mohamed Bazoum par « la dégradation de la situation sécuritaire » dans le pays.

Dans un autre communiqué, le CNSP a ensuite annoncé la suspension de la Constitution, la dissolution des institutions et la proclamation du général Tiani comme nouveau chef de l’État. Selon le texte, le CNSP exerce l’ensemble des pouvoirs législatifs et exécutifs en attendant le retour à l’ordre constitutionnel normal.

Des milliers de manifestants soutenant les militaires se sont ensuite réunis le 30 juillet devant l'ambassade de France à Niamey, capitale du Niger, réclamant le départ des troupes françaises du Niger.

En réponse, la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest, CEDEAO, a imposé de lourdes sanctions à Niamey et a demandé le 30 juillet le rétablissement, dans un délai d’une semaine, de l’ordre constitutionnel et le retour au pouvoir de M. Bazoum. Si ces exigences ne sont pas remplies, l’organisation se réserve le droit de prendre toutes les mesures nécessaires, qui peuvent inclure l’usage de la force. Dans la foulée, la CEDEAO a nuancé sa position en faisant savoir que ceci serait « la dernière option sur la table » pour rétablir le Président élu.

Les forces françaises restent enfermées dans leur base alors que la foule dans les rues de Niamey crie sa furie et son indignation contre le néo-colonialisme français en appui au coup d’État du général Tiani, chef de la garde présidentielle qui a déposé Mohammed Bazoum, syndicaliste enseignant et ami revendiqué de la France.

Alors que la CEDEAO n’a pas exclu l’usage « de la force » face à la prise de pouvoir de militaires au Niger, le Burkina Faso et le Mali ont prévenu qu’une telle intervention contre ce pays serait perçue comme « une déclaration de guerre » commune.

Le Burkina Faso et le Mali se sont déclarés disposés à quitter la CEDEAO et à adopter des « mesures de légitime défense en soutien aux forces armées et au peuple du Niger » en cas d’intervention militaire. L’usage éventuel de la force aurait des « conséquences désastreuses » et pourrait déstabiliser l’ensemble de la région, insistent les autorités transitionnelles des deux pays.

De plus, le Burkina Faso et le Mali ont décidé de refuser d’appliquer les sanctions économiques imposées par la CEDEAO contre le Niger, les jugeant « illégales, illégitimes et inhumaines ».

Par ailleurs, la France a réagi ce 4 août à la dénonciation des accords de coopération militaire par les putschistes au Niger en soulignant que «seules les autorités nigériennes légitimes» étaient en mesure de les rompre.

Le 3 août, les militaires au pouvoir ont annoncé, dans un communiqué lu à la télévision, qu'ils dénonçaient «les accords de coopération dans le domaine de la sécurité et de la défense» avec Paris.

Le coup d’État au Niger marquerait ainsi la fin de l’opération militaire française « Barkhane » au Sahel, en grande partie un échec en raison d’un manque de ressources et surtout d’un sentiment néocolonialiste sous-jacent.

La France, qui a évacué 577 de ses ressortissants au Niger les 1er et 2 août, compte 1 500 soldats déployés dans ce pays dans l’objectif annoncé de la lutte contre les groupes armés.

Force est de constater que même si le Niger est l’un des pays les plus pauvres du monde, il n’en reste pas moins riche en uranium. Il regorge en effet de riches gisements d’uranium qui rendent la France dépendante de ces ressources. Selon les médias français, le Niger y fournit de 15% à 17% d’uranium utilisé dans la production d’électricité dans l’Hexagone. La compagnie française Orano, l’ex-Areva, est opérationnelle au Niger depuis plus de 50 ans, exploitant, entre autres, une mine d’uranium géante près de la cité d’Arlit dont les réserves sont évaluées à 200 millions de tonnes.

Ainsi le coup d’Etat au Niger, deuxième fournisseur d’uranium naturel de l’UE, (25,38 % des importations européennes d’uranium naturel), suscite l’inquiétude de la France et de l’Union européenne pour des raisons politiques, sécuritaires mais aussi économiques.

Certains s’inquiètent en effet de la faculté d’EDF à alimenter les 56 réacteurs français sans le précieux uranium nigérien, ce qui remettrait en cause l’indépendance énergétique française.

L’uranium du Niger présente un autre intérêt pour la France : il peut servir à produire des armes nucléaires. L’État français a renoncé à toute transparence sur ses approvisionnements en uranium depuis une dizaine d’années. Il a pourtant diffusé quelques chiffres, le 16 juin dernier, au sein du Haut comité pour la transparence et l’information sur la sécurité nucléaire. On y lit notamment que le Niger a représenté 35 % des importations françaises d’uranium concentré en 2020 et 34 % en 2021. Soit le premier rang en 2020 et le deuxième en 2021 derrière le Kazakhstan.

Les autorités françaises assurent pourtant que le coup d’Etat des militaires nigériens et un scénario de rupture d’approvisionnement du pays en uranium n’auront pas de conséquence à court et moyen terme sur la filiale nucléaire française.  Par contre, le problème est très clairement pour Orano. Au vu des proportions qu’ont les mines du Niger dans les ventes d’uranium de l’entreprise, en cas de rupture diplomatique avec le régime en place, les pertes financières risquent d’être importantes.

En mai dernier, le gouvernement nigérien avait annoncé la signature, à Niamey, d’un « accord global de partenariat » pour prolonger jusqu’en 2040 l’activité de la mine d’uranium de la Somaïr, une coentreprise entre Orano et l’Etat, près de la ville d’Arlit, dans le nord du pays. Une lune de miel qui risque de s’assombrir.

Mais il n’y a pas que les crises domestiques. La présence militaire de la France au Sahel à travers l’opération « Barkhane », qui dure maintenant depuis neuf ans et qui visait initialement à assurer la stabilité politique de la région, est considérée comme un échec majeur. En outre, les armées nationales de la région du Sahel suivaient en partie les ordres des Français, ce qui a créé un sentiment d’infériorité.

L’armée française a été chassée du Mali en 2022 après deux coups d’État militaires puis du Burkina-Faso en 2023 par les militaires d’Ibrahim Traoré. Maintenant c’est au tour du Niger, maillon clé de la stratégie militaire française dans la région.

La France et ses partenaires européens ont annoncé en février la fin des opérations Barkhane, ayant pour but d’apporter le soutien militaire aux autorités maliennes face aux terroristes. Le retrait des troupes européennes du Mali s'était intégré dans un plan de redéploiement dans le Niger voisin.

En juin, le représentant permanent russe à l’ONU avait déclaré que, suite au départ des forces françaises, le gouvernement malien avait recouru à son droit légitime d’entamer la coopération avec d’autres « partenaires internationaux capables de l’aider à garantir la sécurité et à protéger la population ».

Avec le possible retrait des forces militaires françaises au Niger, une époque s’achève, celle où la France se posait en gendarme dans la région cinq fois plus grande que la France prétendant avec tout juste 5.000 hommes restaurer la souveraineté de ces pays et leur apporter la paix.

La prise du pouvoir par les militaires au Niger est, selon de nombreux analystes,  « un coup à l'Occident » pour se désengager de la vision occidentale et c’est une tendance palpable dans tous les pays du Sahel.

En effet, même s’il ne s’agit pas d’une rupture totale avec l'Occident, à tout le moins, on se désengage de plus en plus de liens avec l’Occident. Dans ce contexte, le Niger s'achemine vers une sorte de décrochage avec les pays occidentaux. La même tendance est visible au Mali, au Burkina Faso.

« Il y a une vraie crise de la politique française vis-à-vis de ses anciennes colonies, cette crise ne se traduisant pas par les mêmes effets suivant qu'on est au Sénégal, en Côte d'Ivoire ou au Mali. Cela est un échec important pour M. Macron qui devra se remettre en cause profondément s'il veut une solution pendant son quinquennat. Les événements récents marquent la défaite absolue d'une certaine politique française », a martelé le professeur de l'Institut d'études politiques de Paris, Roland Marchal.

A vrai dire, les autorités françaises sont en panne de stratégie africaine. Dès son élection en 2017, Emmanuel Macron prétendait vouloir en finir avec ce qui avait été pendant des décennies la politique africaine de la France, pour miser sur les dynamiques des sociétés civiles et la jeunesse d’un continent en pleine mutation.

Or, la stabilisation de la situation sécuritaire dans la région dépend directement du refus des gouvernements des pays sahéliens de rentrer dans des schémas, des calculs et des visions hégémoniques.

Ghorban-Ali Khodabandeh est un journaliste indépendant et analyste politique iranien basé à Téhéran.

Partager Cet Article
SOURCE: FRENCH PRESS TV