TV
Infos   /   A La Une   /   Europe   /   France   /   L’INFO EN CONTINU   /   Point de Vue

Les musulmans français de troisième génération se rebellent contre le modèle occidental défaillant

US Rep. Ilhan Omar (D-MN) (L) talks with Speaker of the House Nancy Pelosi (D-CA) during a rally with fellow Democrats before voting on H.R. 1, or the People Act, on the East Steps of the US Capitol on March 08, 2019 in Washington, DC. (AFP photo)
Les musulmans français de la 3ème génération revendiquent leurs droits civiques.

Par Ramin Mazaheri

Suite au meurtre inexcusable et brutal du Franco-algérien de 17 ans, Nahel, par la police française, la France a vécu une semaine difficile de manifestations de masse qui ont tourné en violence - des « émeutes » pour les commentateurs réactionnaires.

Nous sommes déjà venus ici.

Trois semaines de manifestations contre le racisme en 2005 ont porté un coup irréparable à l’image internationale de la France, car c’était la première fois que le monde prenait conscience que le racisme systémique était tout aussi présent en France que chez ses alliés impérialistes, les États-Unis et le Royaume-Uni

Jusqu’en 2005, la France ne cessait de vanter les mérites de son modèle d’intégration universaliste (assimilationnisme des Blancs) qu’elle considérait comme étant supérieur au modèle multiculturel (ségrégationniste de fait) commun aux pays anglophones.

La rébellion a prouvé que la France aussi avait une sous-classe non blanche extrêmement réprimée, négligée et aliénée.

Je doute que la police française soit assez stupide pour répéter la tactique qui a fait passer la rébellion en 2005 à la vitesse supérieure : la police a tiré des gaz lacrymogènes sur la mosquée d’une banlieue parisienne clé, pendant le mois sacré du Ramadan.

Cela a prolongé les troubles pendant trois semaines, aboutissant à la déclaration de l’état d’urgence pour suspendre les droits démocratiques.

Cependant, cette fois peut être différente, et ce n’est pas à cause de l’avènement des médias sociaux, comme le président français, Emmanuel Macron, ne cesse d’insister. Ce sur quoi nous assistons, c’est la prise de conscience politique et l’activisme de la plus jeune génération de musulmans français.

L’immigration musulmane en France est si récente qu’elle peut être facilement résumée. Il est tout aussi facile de faire exploser le mythe commun selon lequel il y a eu une époque historique où le modèle français d’intégration a réellement fonctionné.

Il est inexact de dire que l’ère de l’immigration musulmane en France a commencé avec la reconstruction après la Seconde Guerre mondiale : ce qu’ils avaient principalement jusqu’en 1976 était une classe de travailleurs migrants musulmans masculins (ainsi que les « harkis » plutôt non représentatifs - des Algériens qui ont combattu aux côtés de la France pendant la guerre d’indépendance de l’Algérie 1954-62).

Cette année-là vit le Family Relocation Act, qui permit à ces travailleurs migrants de faire venir leur famille, et ce n’est qu’ici que l’on peut dire avec justesse que commençait une véritable ère complète des « Français musulmans ». C’était au milieu de la phase présumée « réellement travaillée ».

En réalité, c’était une phase où les musulmans français étaient silencieux, craintifs, trop accommodants et absents des scènes culturelles et politiques de la nation.

Il s’agissait d’immigrants frais, après tout : ignorés, exploités et soumis à des suppositions absurdes, ce qui est dans une certaine mesure l’expérience universelle de tous les immigrants de première génération.

Leurs enfants constituent la deuxième génération de musulmans français, et ce sont eux qui ont explosé en 2005 devant l’échec de la société française à reconnaître leur « francité » incontestable et authentiquement ressentie, et à les traiter avec liberté (dans le choix de la religion, habillement, idées, etc.), l’égalité (dans les questions économiques, politiques et de sécurité) et la fraternité (« francité » qui doit désormais intégrer la « françaisité » brune et noire).

En 2023, on assiste à une rébellion politique de cette troisième génération de musulmans français - pour exprimer les mêmes sentiments d’aliénation, de désillusion et d’insécurité.

Ne vous y trompez pas, il s’agit d’une affaire de jeunes : un tiers des plus de 3 000 personnes arrêtées ont moins de 18 ans, selon le ministère de l’Intérieur du pays.

Une question clé, dans le contexte des revendications françaises et occidentales de supériorité culturelle et politique, est : pourquoi les sentiments de la minorité musulmane sont-ils inchangés au fil des générations ?

La seule réponse est l’échec du modèle socio-politique employé.

L’année 2023 montre clairement, pour ceux qui ont gardé espoir après 2005, que le modèle français - l’assimilation raciale et ethnique sous l’égide d’une unité prétendument globale, daltonienne et strictement neutre - a échoué génération après génération.

Le modèle occidental alternatif, auquel la France s’oppose, est le « multiculturalisme ». Cependant, ce modèle a également échoué et est peut-être même pire : il est maintenant clair que ce modèle encourage pernicieusement la ségrégation de facto, la politique identitaire et les griefs sans fin et décourage si complètement l’unité qu’elle la rend impossible pour la nation.

Quel est le fil conducteur ? C’est que ces deux approches sont appliquées dans un modèle libéral démocrate, et non influencé par la démocratie socialiste.

La Chine compte 56 minorités protégées par la Constitution, tandis que l’Iran a des sièges parlementaires réservés à ses minorités, pour donner deux exemples de gouvernance moderne.

Au contraire, aux États-Unis, la Cour suprême a invalidé cette semaine une version déjà assez peu généreuse de l’action positive.

Dans les pays qui ont connu une révolution depuis 1917, l’unité nationale entre les différents groupes identitaires est possible, mais dans les démocraties dites libérales, la seule unité autorisée est d’une nature tellement arriérée que la qualifier de « tribale » serait une insulte à notre modernité.

Le fil conducteur est qu’aucune approche ne fonctionne dans cette démocratie libérale, avec son adhésion au monarchisme manifestement élitiste, avec son culte forcé d’une élite d’un pour cent, avec sa néo-aristocratie qui tente de se faire passer pour une méritocratie et - surtout - avec sa volonté du XXIe siècle de fomenter toutes les fractures sociales à l’exception de la fracture de classe, afin de rendre les masses plus conquérantes.

De plus, comment la démocratie libérale pourra-t-elle jamais renoncer au racisme et à l’inégalité alors qu’elle ne renoncera pas à l’impérialisme ? Bonne chance pour trouver une réponse - ou même cette question - dans la couverture occidentale de la dernière rébellion française.

Et c’est le fait indéniable de ces rébellions constantes sur lequel nous devons concentrer notre questionnement, au lieu de nous concentrer étroitement sur cette nouvelle rébellion en cours.

La France a vu 15 millions de personnes défiler cette année contre un retour en arrière controversé du système de retraite et une répression brutale sauf la dernière promise ; avant la pause du coronavirus, les Gilets Jaunes ont subi un bain de sang politique tous les samedis pendant six mois.

En 2017, il y a eu des rébellions contre la brutalité policière en France suite à l’agression sexuelle par des flics sur un homme noir musulman ; depuis la grande crise financière, chaque printemps (et généralement chaque automne) voit des manifestations anti-gouvernementales généralisées dans toute la zone euro.

Au-delà du problème d’une population qui proteste constamment pour des changements majeurs dans leurs politiques gouvernementales, il y a le problème supplémentaire que ces manifestations sont réprimées par une violence massive parrainée par l’État.

La réponse libérale démocrate après la rébellion de 2005 n’a pas abouti à la résolution des problèmes. (Comment pourrait-il en être ainsi, demandons-nous sceptiques, de la démocratie libérale ?) La réponse était exactement le contraire de ce qui était nécessaire : la tristement célèbre intégration de l’islamophobie en France, qui est devenue un énorme vainqueur politique pour opprimer et dénigrer tout ce qui est islamique.

Cette ère n’est pas terminée, puisque Marine Le Pen apparaît comme la certaine vainqueur de l’élection présidentielle de 2027 ; elle n’est pas terminée, parce que la démocratie libérale a besoin de boucs émissaires, a besoin de divisions, a besoin de désunion pour se détourner de l’injustice de son règne d’un pour cent.

On dit que les syndicats et les groupes de défense des droits de l’homme organiseront une grève générale contre le racisme et la violence policière plus tard ce mois-ci. Ces groupes favorables aux libéraux démocrates ont eu la même réponse à l’énormité encore insaisissable de la rébellion des Gilets Jaunes : la grève générale de 2019-2020, la plus longue action syndicale de l’histoire de France.

Elle n’a pas atteint ses objectifs. Les élites de la démocratie libérale, comme toujours, ont simplement refusé de faire des compromis ou d’injecter l’opinion populaire dans ses politiques impopulaires.

De la réforme de l’une des forces de police les plus notoirement brutales au monde à la fin de l’instrumentalisation de l’islamophobie, à une véritable intégration et protection des minorités non blanches, à la création d’un avenir ouvert pour toute la classe ouvrière française - l’histoire montre que ces choses ne se produiront pas.

Le problème n’est pas l’islam, ni les musulmans européens, ni la nature française, ni la nature humaine - le problème est ancré dans les institutions libérales démocrates et leur refus de réformer ou d’accepter un compromis entre leur 1 % et leurs 99 %.

Chaque rébellion en France - ainsi que sa répression parrainée par l’État - ne fait que le prouver encore et encore.

Ramin Mazaheri est le correspondant en chef de Press TV à Paris et vit en France depuis 2009. Il a été journaliste d’un quotidien aux États-Unis et a réalisé des reportages en Iran, à Cuba, en Égypte, en Tunisie, en Corée du Sud et ailleurs.

(Les opinions exprimées dans cet article ne reflètent pas nécessairement celles de PressTV.)

Partager Cet Article
SOURCE: FRENCH PRESS TV